Bertrand Meunier au Musée de la Photo, éclats de vies en Chine
Chemins de traverse par Marcel Leroy, le 30 septembre 2023

En grand format, tapissant des murs temporaires, ces planches-contact de Bertrand Meunier nous entraînent par les rues de la Chine en métamorphose accélérée. PhML
Musée de la Photo, Mont-sur-Marchienne. Xavier Canonne présente les quatre expositions de l'automne et leurs auteurs, Bertrand Meunier, Virginie Nguyen Hoang, Eva Claus et Camille Peyre. Quatre points de vue sur la marche du monde. C'est en Chine que nous transporte l'exposition majeure. Elle donne à ressentir comment vit un grand peuple. Bertrand Meunier, reporter photographe français, aime les gens croisés là-bas. Et sa compagne est chinoise. Aussi, de 1999 à 2019, jusqu'au temps de la pandémie, a-t-il accompli de nombreux voyages dans l'immense pays qui fait danser la planète. Il l'a vu changer à toute allure et il a perçu aussi comment se réduit régulièrement le champ de la liberté individuelle, quand le contrôle étatique est poussé à un paroxysme.
Selon Bertrand Meunier, "Erased", le titre de ce travail qui survole au moins vingt années de présence hypersensible, prend ici le sens de "fini" ou "changé". Artiste de la photographie argentique, membre du collectif Tendance Floue, il va au plus près de la vie de tous les jours, dans une volonté documentaire qui colle au boulot de reporter voulant dépasser l'instantané. Meunier nous raconte, dans la perspective de la durée, ce qu'il a vu, revu, perçu, retenu, trié pour être de loin en loin publié dans divers magazines et journaux, dont Newsweek et Libération. Viennent à nous 80 tirages argentiques extraits de ces milliers de photos. Et l'âme d'une population se révèle au travers de scènes du quotidien. En Chine, sans cesse on détruit du vieux pour refaire du neuf puis redémolir et les gens cherchent leur place dans ce tumulte.
Le visiteur se retrouve au centre de l'espace du musée occupé par "Erased", se glisse dans une construction temporaire aux murs tapissés de grands tirages. Apparaît un témoignage sur le contrôle social glaçant qu'exerce le régime de Xi Jinping sur des citoyens qui n'ont pas la liberté de s'exprimer car il y a des caméras partout. Ainsi, à Hong-Kong, expliquait Meunier, des gens ont manifesté contre la mainmise totale par la Chine sur le territoire en exhibant des feuilles A4 blanches. C'était déjà trop. Repérés par les caméras, identifiés via le contrôle facial, ces manifestants sont passés du côté de l'ombre. "J'aurais voulu pouvoir réaliser une photo de ces manifestants pour garder trace de leur courage" dit Bertrand Meunier.
Prolongeant les photos, des vidéos permettent de côtoyer au plus près ces vies trop encagées pour les moins privilégiés du système. Par le biais d'une histoire parmi des millions d'autres, Meunier met ce fait en lumière. Le hasard a fait qu'il acheta une caméra à l'intérieur de laquelle le vendeur avait oublié une carte-mémoire avec des images de sa vie privée. On le suit, 24h sur 24, dans sa chambre exiguë, avec sa compagne, se levant, s'habillant dans un espace presque carcéral pour aller bosser dans une boutique intercalée dans un complexe commercial en marge de la nature. La vie de nombre de Chinois des villes tentaculaires se déroule en permanence sous l'objectif des caméras. Elles captent le moindre geste d'insoumission possible. Du coup, ces vidéos révèlent ce qu'est une société asservie par une économie hostile à l'humain. Et qui définit un modèle...
Cette esquisse vidéographique d'une société, en provenance de la plus grande économie de la planète, celle qui donne le ton, contraste avec des photos qui ont une âme forte et attachante. Celle de ces femmes et de ces hommes dont le regard s'élève vers des caméras en se demandant ce qui se passe derrière les lentilles. Ces regards de femmes et hommes de Chine, tour à tour poétiques, énigmatiques, intrigués ou sidérés, allumeraient les warnings, comme on dit en langage mécanicien. Un SOS. Ne jamais accepter que l'humanité finisse écrasée par la loi du profit. De ce point de vue, "Erased" est une oeuvre de résistance qui nous concerne tous.
Du 30/9/23 au 28/1/24, Musée de la Photographie, Charleroi.
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