Eric David, militant du droit international
Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 31 août 2023

Eric David, lors de la présentation du livre "Juger les multinationales" en novembre 2015 au centre Wallonie-Bruxelles International à Bruxelles. Photo © Jean Frédéric Hanssens.
Eminent professeur de l’ULB, Eric David l’était assurément mais il était aussi un homme cultivé, esthète, sportif, joyeux de vivre, engagé dans de belles causes comme celles d’Amnesty International, d’Oxfam, du Tribunal Russell sur la Palestine, des droits des Sahraouis ou dans la défense des opposants iraniens au régime des Ayatollahs.
Il était donc, armé de la rigueur des textes de droit, un militant qui mettait ces droits au service des causes justes, conformément à son profond respect pour les droits humains reconnus universellement et que le droit international concrétise et précise tout au long des soubresauts de l’histoire.
Voilà pourquoi il a enquêté avec Pierre Galand sur le financement du génocide au Rwanda et a analysé la responsabilité juridique des différents acteurs du génocide qui a frappé principalement les Tutsi.
Il était fier d’avoir été expulsé du Maroc, manu militari, alors qu’il souhaitait y défendre des prisonniers politiques sahraouis injustement traités dans des prisons marocaines et visés par des simulacres de procès. A ce sujet, il avait aussi analysé le thème de la compétence universelle de la justice belge.
Il était placé sur la liste noire du régime iranien parce qu’il défendait les droits des « moudjahidines du peuple », opposants aux ayatollahs et défendant un pouvoir laïque pour l’Iran.
Lors des diverses sessions internationales du Tribunal Russell sur la Palestine, il était un des experts juridiques les plus innovants dans la formulation des « arrêts » de ce tribunal des peuples et notamment sur la question de l’élargissement de la notion d’apartheid qui ne devait plus être limitée à l’histoire de la colonisation de l’Afrique du Sud. L’apartheid comme système d’oppression d’un peuple, tel qu’illustré par le régime imposé par les gouvernements israéliens sur la population palestinienne occupée, est bien un crime contre l’humanité car il contrevient au droit international et aux conventions pertinentes telles les Conventions de Genève. Cette notion a finalement été reprise par de grands organismes de défense des droits humains comme Human Rights Watch et Amnesty International et soutient les mouvements populaires apparus un peu partout dans le monde de « boycott, désinvestissements, sanctions » dénonçant les agissements criminels de l’État d’Israël à l’encontre des populations palestiniennes.
Un conférencier tout public
Nous avons accompagné Eric David lors de nombreuses conférences-débats à l’occasion de la parution du livre « Juger les multinationales ». Lors de celles-ci, il rendait compréhensible pour tous les publics les évolutions du droit concernant les entreprises prédatrices causant des dommages énormes non seulement à l’environnement mais surtout aux populations exploitées et spoliées dans les pays les plus pauvres. Il avait une énorme confiance dans la force du droit et des institutions chargées de le faire respecter ; pas besoin de créer d’autres instruments, disait-il : les tribunaux pouvaient s’appuyer sur un corpus de droit suffisant. Sauf que, devait-il bien convenir, les systèmes judiciaires, même dans nos pays prospères, n’ont pas les moyens matériels pour s’opposer à la puissance économique, financière et politique de ces multinationales. Le recours est donc l’intervention d’instances des Nations Unies, elles-même affaiblies par les pressions des grandes puissances.
Refuge de l'indignation publique
Eric David a consacré ses dernières années à l’écriture d’un ouvrage magistral, « Nuremberg. Droit de la force et force du droit » dans lequel il analyse comment ce procès exceptionnel a façonné la justice internationale. Le simple fait que des criminels aussi monstrueux que les dirigeants nazis aient bénéficié d’une procédure équitable apparaît comme une avancée civilisationnelle remarquable. Outre cette dimension morale, l’histoire de ce procès sur les crimes majeurs commis par les nazis façonne aussi bien les individus que les sociétés et donc l’humanité. L’actualité guerrière illustre les zones laissées dans l’ombre par ce tribunal qui était bien celui des vainqueurs : on n’a pas condamné la passivité de certaines puissances face à la montée du nazisme, ni les bombardements alliés sur des populations civiles, ni l’agression de la Pologne par l’Union Soviétique de Staline, entre autres exemples. Il reste, explique Eric David, que « le procès et le jugement de Nuremberg ont laissé une trace indélébile dans l’histoire des relations internationales par le progrès apporté au droit international, marqué par une interprétation progressiste de ce droit, la détermination plus précise de certaines de ses règles, le précédent procédural d’un procès pénal international, l’affirmation du droit comme refuge de l’indignation publique, le conditionnement aux droits humains comme réponse aux atrocités humaines. »
Eric David était, disait-il, un « indécrottable optimiste ». En plus de ses livres, ses articles et ses cours, il nous laisse en héritage cet enthousiasme et cette passion de la justice. A nous de poursuivre, chacun à sa manière, cette œuvre pour le bien de l’humanité.
- Tribunal Russell sur la Palestine. https://www.russelltribunalonpalestine.com/en/index.html
- Eric David et Gabrielle Lefèvre. « Juger les multinationales ». Ed. GRIP/Mardaga. 2015.
- Eric David. « Nuremberg. Droit de la force et force du droit ». Ed. Racine. Décembre 2022.
- https://www.lesoir.be/534357/article/2023-08-31/le-professeur-de-droit-i...
- « L’exercice de la compétence universelle en Belgique dans le cas du Sahara occidental », in Sahara occidental. Quels recours juridictionnels pour les peuples sous domination étrangère ?, s/ la dir. de V. Chapaux, Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 36-42.
- https://www.laicite.be/in-memoriam-%c2%b7-eric-david/
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