semaine 48

Résistances féministes : quatre femmes puissantes

Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 22 septembre 2023

Le Prix International Henri La Fontaine pour l’Humanisme a été attribué à Lailuma Sadid, journaliste afghane en exil. Photos © Jean Frédéric Hanssens

Quatre femmes ont témoigné de la résistance des femmes qui au péril de leur vie parfois, défendent les valeurs de dignité, d’égalité et les droits humains dont un, essentiel, le droit à l’éducation. Quatre femmes puissantes par leurs combats pour les droits humains. (1)

Ce 21 septembre 2023, le prix international Henri La Fontaine pour l’humanisme a été décerné à une journaliste afghane en exil, Lailuma Sadid, qui poursuit une action de soutien à des écoles clandestines pour petites filles dans son pays écrasé par la dictature des talibans.

Le choix de l’Hôtel de Ville de Bruxelles pour abriter cette cérémonie n’est pas dénué de sens, explique le bourgmestre Philippe Close: il est le symbole des libertés communales et c’est dans cette commune que se trouve le premier institut de formation pour jeunes filles créé en 1897 par Jonathan-Raphaël Bischoffsheim et dont Henri La Fontaine fut président du conseil d’administration pendant presque quarante ans. Cet inlassable défendeur de la Paix dans le monde, Prix Nobel de la Paix en 1913, était aussi un grand féministe, épaulant l’action de sa sœur Léonie, créatrice de la Ligue belge du droit des femmes, la première association féministe de Belgique. Le combat des femmes pour l’égalité des droits a déjà une longue histoire en Belgique et en Europe. Il n’est pas terminé mais il peut inspirer une solidarité accrue avec les femmes opprimées dans d’autres pays du monde.

Ava Basiri, une voix iranienne

En Iran, l’émancipation des femmes a été violemment réprimée lors de l’instauration de la République islamique en 1979 et le combat a repris, porté par une jeunesse qui a décidé de s’exprimer, au contraire de la « génération grise » qui s’était murée dans la peur. Ava Basiri, activiste pour les droits humains en Iran, lauréate du prix « la voix des sans voix » 2023 décerné par le Collectif des femmes (Belgique), raconte cette explosion de la parole qui a envahi les rues. Elle décrit la terrible répression qui a frappé non seulement des jeunes mais aussi des enfants tués impitoyablement par les forces du régime iranien tandis que des milliers de manifestants étaient emprisonnés et des centaines condamnés à mort.

Elle explique cette double vie menée en Iran où, contrairement à ce qui se passe en Afghanistan, l’éducation est possible et accessible à tous, filles et garçon de même que l’accès à du travail salarié pour autant que les femmes respectent les obligations religieuses. L’État intervient surtout dans la vie publique des gens, mais si une femmes change d’emploi, il arrive souvent que des enquêtes soient faites pour savoir si la famille va bien à la mosquée, si on n’y boit pas d’alcool, etc.

La situation est donc bien pire en Afghanistan où les femmes n’ont plus la moindre possibilité de choix, elles sont inexistantes aux yeux des talibans qui interdisent tout, jusqu’à la musique lors de mariages…

Ava se dit chanceuse d’avoir des parents de confession bahai qui lui ont donné une éducation laïque, universaliste, humaniste basée notamment sur l’égalité fondamentale des deux sexes. (2)

Rhodi Mellek, kurde syrienne

Rhodi Mellek nous transmet l’exemple extraordinaire de femmes combattantes, les armes à la main s’il le faut, pour le droit à l’autodétermination de leur peuple. Elle vibre au slogan « Femme. Vie. Liberté » scandé par les femmes iraniennes, elle qui a vécu au sein d’une famille activiste des droits humains affrontant la pression sociale traditionnelle avec comme principales victimes les filles mariées trop jeunes, les femmes victimes de « crimes d’honneur ». Et puis, il y eut la révolution de 2014 lorsque le Parti de l’Union Démocratique proclame une constitution du Rojava, cette partie du Kurdistan attaquée plus tard par l’Etat islamique. On y affirme l’égalité des sexes, les droits des minorités ainsi qu’un système de confédéralisme démocratique. Cela a permis aux femmes de trouver petit à petit leur place dans une société autrefois patriarcale où, à présent, un co-présidence homme/femme est prévue et où les femmes combattent Daesh à côté des hommes. Il sera difficile de revenir en arrière, explique Rhodi Mellek. A présent, une femme battue va en justice et obtient ses droits, les assassinats « d’honneur » sont punis de 20 ans de prison contre 1 mois auparavant ! Des formations sont dispensées aux hommes comme aux femmes pour contrer les préjugés et anciennes convictions concernant le statut des hommes et des femmes, pour affirmer l’égalité des sexes et choisir de se battre sur un champs de bataille ou par des idées.

La Syrie est un pays laïque, explique Rhodi mais la laïcité n’est pas appliquée dans la société, des universitaires ont été emprisonnés par le régime d’Assad alors qu’ils se battaient pour la liberté de pensée et la fraternité entre les peuples. La religion doit rester dans la sphère du privé, le système politique organise la cohabitation tout en protégeant les convictions différentes.

Sophie Bessis, la résistante tunisienne

Historienne, journaliste et essayiste, Sophie Bessis est aussi consultante pour l’UNESCO et l’UNICEF pour l’Afrique. Elle replace donc ce thème de la résistance des femmes dans un contexte plus large historiquement et géographiquement. Elle souligne d’emblée que la résistance est aussi ancienne que l’oppression et qu’elle adopte des formes diverses, adaptées au contexte. Elle avertit : on constate des phénomènes de régression partout dans le monde, voyons l’interdiction de l’avortement aux Etats-Unis, le voile imposé par les systèmes patriarcaux, la résistance masculine à l’égalité sans doute par peur de perdre le contrôle du corps des femmes… Un proverbe turc dit que la situation sera difficile tant que l’honneur des hommes sera entre les cuisses des femmes. L’honneur doit se déplacer et les femmes doivent jouir des droits et de la liberté ! On a cru cela possible dans le monde arabe lors des « révolutions démocratiques » de 2011, on a cru possible de se débarrasser des dictateurs et de l’immobilisme mortifère. Et les femmes ont joué un rôle majeur. Car la lutte pour les droits des femmes est inséparable de celle pour la démocratie. En Iran, on a vu que de nombreux hommes ont compris que le combat des femmes est aussi le leur.

Les révolutions arabes ont ouvert la boîte de Pandore, toutes les forces de la société se sont libérées, y compris les radicales islamistes comme Daesh. Et l’on a vu aussi les coups d’arrêts aux émancipations démocratiques comme au Liban par des forces oligarchiques et au Soudan par un coup d’État… De plus en plus, le combat des femmes fait partie du combat global.

Le paradoxe est que les femmes sont les plus nombreuses dans les universités, elles accèdent aux emplois salariés, elles ont le droit de vote. Donc, cette sortie de l’invisibilité a provoqué chez les hommes des réactions virilistes importantes, proportionnelles à l’émancipation des femmes. Mais si le statut de la femme change, toute la société change. Et cela marche !

Par contre, Sophie Bessis explique l’autre paradoxe : souvent ce sont les femmes elles-mêmes qui véhiculent l’idéologie dominante car elles font partie du système patriarcal où les fonctions maternelles et domestiques sont pour elles le seul moyen d’exister. La mère est sanctifiée au détriment de la femme. Cela cesse dès qu’il y a une autre possibilité d’accéder à une existence sociale.


Françoise Tulkens, Lailuma Sadid et Daniel Sotiaux, président de la Fondation Henri La Fontaine.

Lailuma Sadid, journaliste afghane en exil

La lauréate du prix Henri la Fontaine 2023, qui a grandi en Afghanistan, a vécu la fermeture des écoles des filles en 1996 déjà lors de la première prise de pouvoir des Talibans. Ayant déménagé dans un petit village du nord du pays, elle a pu contribuer à l’ouverture d’une école secondaire pour les filles qui a compté plus de 10.000 diplômées.

Sa famille s’est installée à Kaboul à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et à l’université, Lailuma a refusé de porter la burqa. En 2003, elle fut la première journaliste à se dévoiler devant la caméra ce qui lui a valu de nombreuses menaces de mort et des insultes comme « infidèle », « courtisane »… Et l’interdiction de passer à l’écran.


Lailuma Sadid  Photos © Jean Frédéric Hanssens

L’Afghanistan est le pays le plus dangereux au monde pour les femmes, privées de liberté et des droits fondamentaux, clame-t-elle. Il n’y a plus d’accès pour elles à un système d’enseignement ni au travail. La liberté d’expression n’existe pas : la presse et les réseaux sociaux sont sévèrement réprimés. Tout est interdit, même les promenades dans un parc, les filles sont forcées de se marier même si elles ne le veulent pas. Les Talibans fouettent des femmes indociles en public… Et les Etats-Unis continuent à envoyer de l’argent à ce régime pourtant illégal. Le monde libre doit envoyer un signal fort et efficace pour aider les femmes, mettre fin à ce régime dictatorial, sexiste et d’apartheid qui a installé l’esclavage des femmes alors que nous sommes en 2023. « Je soutiens trois classes secrètes pour filles. Je suis leurs travaux de temps en temps. C’est une goutte d’eau par rapport aux immenses défis que les femmes affrontent dans mon pays. Je m’engage à continuer à soutenir les femmes partout dans le monde et à partager ce prix avec les femmes en Afghanistan.

Françoise Tulkens, l’indignée

Ancienne vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme, professeure émérite de l’UCLouvain et présidente de cette sixième édition du prix HLF pour l’humanisme, Françoise Tulkens est une juriste indignée à la manière d’Henri La Fontaine et de Stéphane Hessel : la dignité par le droit et la dignité du droit pour protéger les opprimés : « solidarité, justice sociale et féminisme sont au coeur des droits humains », s’exclame-t-elle. « La situation des femmes actuellement est inacceptable, indigne, honteuse, cruelle, absurde ». Il faut donc saluer l’exemple de ces femmes qui résistent au péril de leur vie, qui soutiennent des enseignants posant ainsi des jalons vers l’émancipation, protection contre l’obscurantisme.

En Afghanistan, des centaines de milliers de filles n’ont plus accès à l’enseignement alors qu’il s’agit d’un droit fondamental, clef de l’exercice des autres droits de la personne humaine. Or, ce pays a ratifié en 1983 le pacte international qui consacre ce droit. De même, ce pays a ratifié la convention des Nations Unies visant à éliminer les discriminations sur base religieuse et culturelle à l’égard des femmes. La justice internationale devrait pouvoir agir. Et Françoise Tulkens d’évoquer le Tribunal international des crimes contre les femmes qui s’est tenu à Bruxelles en 1976 (3).

Elle décrit aussi les nombreuses affaires de violences contre les femmes qui arrivent en justice, y compris au niveau européen, ce qui démontre la nécessité de poursuivre le combat féministe dans notre propre pays. C’est suivre ainsi l’exemple de Léonie La Fontaine qui a démontré, avec sa Ligue belge des droits des femmes, que le pacifisme et le féminisme vont de pair. Françoise Tulkens nous rappelle aussi que l’égalité est un concept crucial pour le combat des féministes et qu’il nous concerne tous et toutes. Le contraire de l’égalité c’est l’inégalité . Et si ce concept est enfin arrivé dans notre constitution, en 2002, c’est grâce en partie au combat des femmes travailleuses, notamment celles de la FN à Herstal qui revendiquaient en 1966 « à travail égal, salaire égal ». Nous n’avons pas assez rendu justice à ces femmes en grève héroïque. Ce fut un bel exemple de courage. La force de la résistance à l’oppression, c’est le courage, insiste Françoise Tulkens. Le courage de défendre les principes que l’on se donne à soi-même, sans espoir de réussite. « Vos exemples de courage me boostent », dira-t-elle en conclusion de son hommage à ces quatre femmes « puissantes ».

(1) Le titre de cet article fait référence au livre « Trois femmes puissantes », de Marie Ndiaye, prix Goncourt 2009, trois femmes qui disent non aux humiliations et luttent pour la dignité.

(2) https://journals.openedition.org/civilisations/3458

https://www.bahai.org/fr/beliefs/

(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Tribunal_international_des_crimes_contre_les_femmes

- Autres infos: https://www.henrilafontaine.be/la-fondation/

 

Mots-clés

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site n'est pas devenu payant! Mais malgré le bénévolat de ses collaborateurs, il coûte de l'argent.

C'est pourquoi, si cet article vous a plu (et même dans le cas inverse), nous faire un micropaiement d'un ou de quelques euros nous aiderait à sauver notre fragile indépendance et à lancer de nouveaux projets.

Merci à vous.

Nous soutenir Don mensuel

entreleslignes.be ®2023 designed by TWINN Abonnez-vous !