Les yeux fixés sur le mur de sa cuisine, Frank touille son café. Le sucre s’est dissous depuis longtemps, mais la petite cuillère continue à tourner en rond dans le café noir. Frank ne sait qu’une chose : nous sommes le 30 juillet, dernier jour avant les vacances. Frank déteste les vacances. C’est pire : elles l’angoissent. Il tente de se convaincre qu’il s’agit d’une journée ordinaire. Allez Frank, reprends-toi ! Il boit son café d’une traite, il est froid, et part à son premier rendez-vous. Frank est agent commercial dans une société qui fabrique et commercialise des fontaines d’eau. Il préfère dire qu’il est vendeur, le meilleur de la firme, chiffres à l’appui. Vendre tient de la magie. Personne ne sait pourquoi une vente se fait. Les mécanismes d’une bonne vente sont inconnus. Il n’a qu’une seule certitude : la magie de la vente disparaît quand on arrête de vendre. Il le sait. Il l’a vécu. Il s’inquiète. Au printemps dernier, ses résultats étaient si bons qu’il avait pris deux jours de congé. Deux jours de détente dans un hôtel au bord de la mer. Une erreur. A son retour, la magie de la vente l’avait quitté. On ne devrait jamais se détendre. A son retour, Frank ne parvint plus à ensorceler ses victimes. Son argumentation tombait à plat. Et quand il parvenait enfin à hypnotiser le client, il gaffait. Un mot de trop dans la fragile formule magique et son interlocuteur reprenait ses esprits en disant : « Votre produit est intéressant, mais je vais réfléchir ! » Réfléchir c’est l’horreur ! La réflexion est l’ennemi du vendeur comme du magicien. Les bons de commande de Frank restaient vierges. Trois semaines sans rien vendre, il commença à paniquer. Avril fut désastreux. Au bureau, il évitait son patron. Devant ses collègues, il simulait des conversations avec des clients au téléphone et puis, il éloignait le combiné de sa bouche pour murmurer : « Il mord à l’hameçon, je le tiens ! ». L’angoisse de ne rien vendre lui donnait de douloureuses crampes à l’estomac. La nuit, il rêvait que son patron le congédiait et qu’il errait en ville sans un sou. Des huissiers noirs volaient au-dessus de sa tête pour s’emparer de sa mallette, de ses bons de commande, de ses costumes et de sa grosse voiture de fonction. Un soir de mai qu’il déprimait dans un bar, Frank rencontra un vague copain, un vendeur de voiture. Au premier coup d’œil, Frank et Jérôme comprirent que les affaires roulaient pour l’un et pas pour l’autre. - Ca va pas fort, hein, Frank, remarqua le vendeur de voiture. Frank lui expliqua que la magie de la vente l’avait quitté. L’autre se fendit d’un sourire méprisant: « C’est bizarre ! Ca ne m’est jamais arrivé ! ». - Tu as peut-être trouvé la formule magique, répondit Frank. - La seule formule qui fonctionne, déclara Jérôme, se résume en trois mots : BOUFFER L’AUTRE. Frank déposa son verre. Mais oui, c’est évident ! Il avait oublié le principe premier de la vente : la cruauté. Jérôme continuait sa démonstration: "Bouffer l’autre dans le cadre du boulot mais aussi en dehors. La vente est une philosophie de vie. Il faut se comporter en permanence en prédateur. En requin ! Ne jamais desserrer l’étreinte ! Jamais!" Frank opinait sans rien dire. Jérôme vida son verre et appela la serveuse. - Mon ami Frank va payer nos verres et mon ardoise. Devant l’air étonné de Frank, Jérôme ajouta : « Tu me dois bien ça ! Pour la leçon ! » - Heu … Evidemment ! La note était salée. Frank paya sans sourciller une somme exorbitante, le crédit de plusieurs semaines mais estima que la leçon en valait la peine. Frank suivit les conseils de Jérôme et la fréquence de ses crises d’angoisse diminua. Les ventes remontèrent lentement. Il ressentit à nouveau ce bonheur intense, la sensation de pouvoir absolu au moment précis où son interlocuteur signait le bon de commande. Mai fut meilleur, juin excellent. Frank vit arriver les vacances avec anxiété : Et s’il perdait à nouveau la magie de la vente ? Au bureau régnait la joyeuse animation qui précède les départs en vacances. Quand Frank croisa son patron, il lui parla de ses bons de commande. : « Excellent Frank, vous êtes notre meilleur élément, répondit le patron, la tête déjà à la Côte d’azur. Et, plus tard, devant le personnel de la boîte, il ajouta : « Cette année, vous êtes celui qui mérite le plus de prendre des vacances ! ». Cette remarque ne procura aucun plaisir à Frank. Toute la matinée, il encoda ses commandes et donna des coups de téléphone afin d’organiser les rendez-vous de la rentrée. Au bureau, tout le monde avait filé. Finalement, le concierge, qui partait aussi en vacances, supplia Frank de quitter la firme. Il devait fermer l’immeuble pour la quinzaine. Sa femme et ses gosses l’attendaient. Frank rentra chez lui. La nuit avant les vacances, il ne réussit pas à fermer l’œil. Le matin, l’angoisse était à son comble. Il envisagea même, un instant, d’aller visiter des clients, mais il y renonça. La plupart des responsables étaient absents et les entreprises fermées. Finalement, il prit une décision : il partirait lui aussi en vacances. - Pourquoi les autres et pas moi ? C’est une bonne manière d’évacuer mon stress ! Il fit sa valise, monta dans sa voiture et prit la direction du Sud. Après trois heures de route, il s’arrêta pour faire le plein. Un auto-stoppeur l’aborda. Ils allaient dans la même direction et Frank accepta la compagnie du jeune homme. L’auto-stoppeur parlait sans arrêt. De tout, de rien, de ses projets. Frank avait l’impression de n’avoir rien à dire. C’est vrai qu’il n’avait rien à dire. En dehors de son métier, rien ne l’intéresse. Il fallait réagir et vite. L’angoisse le prenait déjà à la gorge. Il se mit en tête de persuader l’auto-stoppeur de payer son voyage. Pourquoi ne participerait-il pas aux frais d’essence ? L’autostoppeur refusa tout net : « Ce n’est pas la coutume ! ». Frank se redressa alors sur son siège et mit sa brillante machine de vendeur en marche. Plus Frank développait son argumentation, plus le jeune homme perdait pied. Au moment où Frank arrêta la voiture pour débarquer le jeune homme, celui-ci, de mauvaise humeur, paya exactement la somme proposée par Frank. Il était aux anges. Cet argent avait été royalement gagné. De plus, Frank avait roulé l’auto-stoppeur de dix pour cent environ sur la consommation réelle d’une voiture de fonction dont il ne payait même pas l’essence. Quelle satisfaction ! Ses sensations étaient identiques à celles qu’il ressentait devant un bon de commande dûment rempli et signé. Frank s’installa dans une petite station balnéaire. Il négocia longuement le prix de la chambre avec l’hôtelière qui finit par lui accorder une ristourne. Les premiers jours, Frank se sentit apaisé. Il se comporta en simple touriste et fit la connaissance de Betty, une jeune femme seule, qui logeait dans le même hôtel. Betty le dragua ouvertement. Elle était blonde, blanche, grasse et appétissante. Elle plongeait ses grands yeux bleus dans ceux de Frank et riait délicieusement. Frank se laissa prendre au jeu. Après tout, il était célibataire ! Pourquoi ne connaîtrait-il pas lui aussi la joie des amours de vacances ? Ils se promenèrent sur la plage. Betty riait à toutes les phrases de Frank. Il se dit qu’un type normal emmènerait Betty dans sa chambre. Ils restèrent silencieux quelques minutes après avoir fait l’amour. Frank aurait voulu briser le silence et son malaise grandissant par une phrase banale, mais il ne trouvait rien à dire et Betty ne riait plus. La jeune femme prononça quelques mots sur la difficulté de l’existence en général et celle des jolies blondes grasses en particulier. Sa bonne humeur s’en était allée avec le désir. Frank se sentait à mal à l’aise. Il commençait à souffrir de crampes. Il ressentait très précisément qu’il n’existait pas quand il ne vendait pas Pris de panique, il se leva d’un bond et arpenta la chambre. Ses yeux tombèrent sur les prix affichés par l’hôtel. Il se rendit compte qu’il avait obtenu une réduction très importante en négociant avec l’hôtelière. Son corps se redressa un peu et une terrible envie de vendre l’envahit. Il lutta quelques secondes contre la pitié que lui inspirait la jeune femme et puis, il lança son attaque : « Betty, tu bois de l’eau minérale ? ». - Oui, évidemment. Il lui vanta la qualité de son eau, rappela le prix élevé des bouteilles plastiques et leur poids. Il se sentait fort et sûr de lui. Il se dit qu’il n’avait jamais été aussi bon. Chaque mot était judicieusement choisi, les silences calculés et surtout, il donnait l’impression à la jeune femme que cette vente ne l’intéressait absolument pas. Seuls, le confort et la soif de Betty avaient de la valeur à ses yeux. Par un heureux hasard, dans sa valise, il avait, pensait-il (il en avait la certitude), un ou deux bons de commande pour des fontaines d’eau de cinquante litres. Elle se défendit encore : « Cinquante litres ? Ce n’est pas trop pour une femme seule ? ». - Le pouvoir amaigrissant de l’eau de source est prouvé scientifiquement. Il avait frappé juste. La jeune femme était tourmentée par son poids.
Elle était prête pour le coup de grâce.
- Les gobelets en plastique sont offerts à l’achat de cent litres d’eau ! Il lui tendit son stylo. Betty, assise, nue, devant la petite table de l’hôtel, signa là, là, et encore ici. Elle se dit que le plaisir de Frank était plus grand au moment de la signature que celui qu’il avait éprouvé un peu plus tôt dans ses bras et puis, elle chassa cette idée ridicule. Frank vendit encore six fontaines pendant ses vacances. Il ensorcela deux couples de retraités, une famille, une autre femme seule, et l’hôtelière. Il gérait bien son stress. Dès les premières atteintes du mal, il trouvait une victime susceptible de satisfaire son besoin de vendre. Sur la route du retour, Frank planait au-dessus des hommes. Ses vacances avaient été un succès. Il avait jugulé ses angoisses et se sentait capable de vendre n’importe quoi à n’importe qui. La radio déversait des nouvelles économiques et Frank sentait combien il était un rouage du monde. Aujourd’hui, Frank reprend le travail. A 8h 30, il se rend chez son premier client quand une mauvaise pensée lui traverse l’esprit : « Et si, malgré tous mes efforts, j’avais perdu la magie de la vente pendant les vacances ? ». Le feu vire au rouge. La voiture s’arrête. Il fait déjà chaud. La vitre de la voiture est baissée. Chacun est à l’abri dans son véhicule. Personne à qui vendre quoi que ce soit. Un garçon de huit ans s’est planté devant la voiture. Colombien ? Syrien ? Gitan ? Sans prononcer un mot, le gosse lui montre une éponge. Il désire visiblement nettoyer le pare-brise en échange d’un peu d’argent. Frank qui lutte contre un début d’angoisse n’a pas la force de dire non. D’un mouvement de la tête, il marque son accord et le gamin se met au travail. Il passe rapidement une éponge sur la vitre et racle l’eau. - C’est mal fait, se dit Frank. L’enfant se présente à lui la main tendue. Pendant une seconde, Frank se demande s’il ne pourrait pas le rouler. Démarrer, argumenter, jouer celui qui n’a pas de fric en poche. Son angoisse s’évanouirait et tout serait réglé. Mais c’est un gosse. Frank veut lui donner une pièce. Zut ! Pas de monnaie. Le feu vient de passer au vert. Il sort maladroitement son portefeuille de sa veste et prend un billet. -Non, c’est trop ! se dit-il. Il veut le replacer dans son portefeuille, mais le gamin décide que ce billet lui convient. Il le prend dans la main de Frank et s’éclipse. Frank est effaré. - Quel culot ! Le feu est rouge. Frank retire précipitamment sa ceinture et sort de son véhicule. Il veut poursuivre le gosse mais il est déjà loin.
- Le salaud ! Le feu est vert. Autour de lui, les voitures klaxonnent. Des types lui montrent le poing et l’insultent. Des hommes en cravate avec des mallettes bourrées de bons de commande. Frank, en sueur, sent qu’il est passé de l’autre côté de la barrière. Trop fragile pour ce monde, il est exclu.
Quoi de plus énergisant pour un auteur que d’acquérir un nouvel ordinateur ? Bon, je l’avoue, il est loin d’être neuf. C’est un ordinateur portable d’occasion mais il s’agit d’une machine superpuissante que je n’ai pas pu m’acheter quand elle est sortie faute de liquidité mais que je peux m’offrir, aujourd’hui, pour quelques centaines d’euros parce que sa technologie et son design sont largement dépassés et parce qu’il a déjà été utilisé par un précédent propriétaire. Qu’importe ! Il est très enthousiasmant d’acheter un nouvel ordinateur même d’occasion. D’abord parce que j’ai vraiment eu l’impression, en sortant de la boutique, de porter mon œuvre future et tellement talentueuse sous le bras. Et puis, un nouvel outil crée l’émulation et l’envie comme, quand gamin, je recevais un nouveau stylo à la rentrée des classes. Cet ordinateur a déclenché une nouvelle et puissante envie d’écrire. Des phrases se bousculent dans ma tête comme des clients dans un magasin le premier jour des soldes. En pensée, je possède déjà le premier chapitre que, modestement, je trouve très réussi. J’ai l’impression que cet ordinateur va enfin me sortir de l’impasse dans laquelle je perds mon temps depuis plusieurs années déjà. A la maison, j’ai voulu me mettre immédiatement au travail. Le vendeur m’avait bien précisé que l’ordinateur était équipé d’un excellent logiciel de traitement de texte et sur ce point-là, il ne m’avait pas menti. J’ai pu facilement créer un nouveau dossier et à l’écran, s’est affichée une magnifique page blanche et lumineuse. Je pouvais me mettre au travail, j’étais prêt. Je le croyais. C’est alors que je me suis rendu compte que certaines lettres sur les touches du clavier étaient presque complètement effacées. L’ancien utilisateur avait dû les utiliser beaucoup plus que les autres. L’impact régulier des doigts avait presque eu raison de ces signes. Pourquoi ces lettres-là en particulier ? Pendant quelques minutes, je suis resté devant l’écran sans rien entreprendre. Toutes les pages que je comptais écrire s’étaient envolées mystérieusement. Bizarrement, mon enthousiasme m’avait quitté. Ces touches effacées me perturbaient. Qu’avait écrit l’ancien propriétaire de l’ordinateur ? Je pensais à son texte et plus du tout au mien. Quelque chose d’important avait été écrit sur ce clavier mais quoi ? Les phrases magnifiques que je me répétais comme on suce un bonbon, s’étaient effacées de mon cerveau. Je ne voyais plus du tout comment débuter mon œuvre. J’ai bien tenté de rassembler mes idées, mais la page restait blanche à l’écran. Qu’avait-il écrit si régulièrement que ses doigts avaient effacés les lettres ? Ma concentration s’était évanouie comme les lettres sur ces touches dégradées. L’obsession avec laquelle l’ancien propriétaire de cet ordinateur avait utilisé certaines lettres me perturbait. Qu’avait-il écrit de si fondamental ? Le N, le A, le I et le E avaient complètement disparu. Rien d’anormal. Ces lettres sont beaucoup utilisées en français. J’ai remarqué le même phénomène pour les signes T, S, E, O et U. En y regardant de plus près, je me suis rendu compte que le N et le V étaient aussi en passe de disparaître. L’ancien propriétaire avait probablement tapé les mêmes mots et seulement ces mots-là pendant des années d’autant que les autres signes paraissaient flambants neufs pour un clavier d’occasion. Qu’avait-il écrit et répété cet obsédé ? J’ai tenté de reconstituer ce qui avait été écrit avec tant de régularité en rassemblant les lettres effacées. Un véritable anagramme. NTSIEUOVA Du slovaque ? Du moldave ? une langue extra-terrestre ? VATNSIEUO Le langage crypté de la C.I.A ? NTIESAVUO Aucun résultat. J’ai eu l’idée de doubler certaines lettres. Le T par exemple qui était presque invisible. ANUOTTVIES Incompréhensible. NIOTTAVSEU Rien. C’est ma fille, fan de scrabble, qui a, finalement, découvert ce que je ne voulais pas voir. TOUT EST VAIN
- Pas du tout, il est dégueulasse et plein de sulfites.
Elle lui a mis l’étiquette de la bouteille sous les yeux et du doigt, elle a souligné deux fois « …contient des sulfites… » Il reconnait volontiers que sa balle était molle. Entamer un échange sur le vin dans un restaurant, rien que de très commun mais bon, elle aurait pu enchaîner sur les les écrits de Jean -Claude Pirotte, Rabelais et pourquoi pas Omar Khayyam et de là sur les interdictions religieuses. Mais non, elle a préféré lui renvoyer une balle impossible à remettre, une balle impossible à jouer. Depuis quelques temps, il trouvait que les conversations avec elle ressemblait de plus en plus à un match de tennis contre Djokovic. Il était incapable de renvoyer ses balles parce qu’elles étaient trop puissantes et trop rapides. En un mot, elles étaient terminales. Coup droit ou revers le laissaient à plusieurs mètres de la balle. Ils ne jouaient plus vraiment ensemble car il était un joueur de tennis médiocre alors qu’elle faisait partie du top. Ses balles flirtaient plus souvent avec les lignes qu’avec lui. - Tu vois, on va passer là, là et là. C’est direct, dit-elle, la carte étalée sur la table. De son côté, il trouvait que l’itinéraire proposé était un détour et le lui dit. - Tu te trompes encore. D’ailleurs, tu n’as jamais été capable de lire une carte ! A nouveau, il ne renvoya rien. Parfois, ses balles étaient limites. Dehors ou dedans ? Impossible de l’affirmer. Ils avaient bien consulté un psychothérapeute de couple, une espèce d’arbitre de chaise qui condescendait parfois à descendre sur le terrain mais qui ne trouvait jamais aucune trace de balles sur la terre battue et qui donnait systématiquement le point à Djokovic. N’est-il pas numéro un mondial ? Malgré le score largement en sa défaveur, il continuait à jouer parce qu’il aimait le jeu. Courir, espérer, sentir battre son cœur et même rater : C’est la vie ! Les coups ratés sont parfois les plus beaux. De temps en temps, il réussissait un coup correct qui le remplissait de fierté même si, au final, le point était encore perdu. Rien à faire quand on joue contre Djokovic. Pendant un match où le score était particulièrement sévère et les échanges impossibles, il abandonna la partie. Il suivit sa carrière de loin. On ne joue pas au tennis pendant vingt ans sans tisser des liens très intimes avec l’adversaire. Elle gagna encore des matches ? Certainement. Par abandon ? Le plus souvent. Et des tournois ? Evidemment. Les tournois du grand Chelem et les autres. Longtemps, elle est restée numéro 1 mondial.
Nos ancêtres ont utilisé la religion comme instrument « d’exportation de la civilisation ».
Ce fut le cas pour la conquête de Jérusalem en 1099 par Godefroid de Bouillon et Pierre L’ermite. Ce fut le cas du projet colonial dès la conquête de l’Amérique latine par Christophe Colomb - au nom de l’universalisme catholique - et en Afrique, au nom de la civilisation chrétienne.
Les peuples colonisés ont puisé dans leurs racines culturelles et cultuelles les ressources nécessaires pour s’opposer à l’envahisseur/prédateur/esclavagiste. Ce dernier, pour justifier ses conquêtes, revendiquait la mission divine, civilisatrice universaliste.
Parmi ces rebelles, citons, entre autres :
Les Indiens Mapuche au Chili
Les Kibanguistes au Congo
Les moines bouddhistes s’immolant par le feu au Vietnam pour dénoncer l’impérialisme guerrier durant les années 60-70.
Le peuple tunisien face à la prédation d’une dictature soutenue par le système économique néolibéral.
Avez-vous lu Franz Fanon ?
Peut-on supposer que, parmi ceux qui se ressentent comme les « damnés de la terre » et qui ont commis ces crimes odieux au Bataclan à Paris et en d’autres lieux du monde, certains considèrent, quelque part dans leur subconscient, qu’il s’agit d’un juste retour des choses ?
Quand nous sommes allés chez eux, c’est pour les dominer, les exploiter, les convertir. C’était cela le colonialisme.
Quand ils viennent chez nous, c’est pour travailler là où nous ne voulons plus travailler. C’était vrai pour les Marocains dans les charbonnages du Limbourg et les Marocaines dans nos bureaux à Bruxelles.
En outre, à propos de l’Islam, ne nous trompons pas. Cela fait plus d’un millénaire que l’Occident chrétien lui en veut d’exister et d’avoir choisi Jérusalem pour deuxième lieu saint.
J’entends dire ici et là en France et en Belgique que la communauté issue de l’immigration maghrébine serait aujourd’hui honteuse… Je demande à entendre et à comprendre, car je rencontre nombre de jeunes issus de l’immigration qui participent à un effort permanent pour s’émanciper de l’aliénation culturelle et cultuelle produite et reproduite (réactualisée) par le colonialisme.
L’écrasante majorité d’entre eux le font en adoptant les éléments nécessaires à l’élaboration d’une société modernes. Ces éléments sont d’ordre pacifique et national. Ils intègrent les aspects universels, notamment les valeurs de droits humains issues de 1789. Dans le même temps, ils entendent combattre l’exploitation dont ils se sentent victimes et puisent dans leur bagage culturel et cultuel les raisons de leur propre dignité, tant individuelle que collective.
Quand j’entends, lis ou vois le nombre de laïques athées ou agnostiques s’émouvoir et dire leur admiration envers le bon pape François, je me rends compte qu’en Occident aussi les ramifications culturelles et cultuelles sont parfois enchevêtrées et, aujourd’hui encore, largement utilisées. La belle image de François opposable à la barbarie sanglante de Daesh…
A propos de barbarie…
Les guerres de l’OTAN : Bosnie, Kosovo, Afghanistan, Irak, Libye, Syrie ont toutes pour motivation annoncée la défense du « monde libre ». Dans les faits, dès la chute du Mur et le démantèlement du Pacte de Varsovie en 1990, l’Otan va se découvrir une nouvelle mission en prétendant défendre les intérêts de la « Communauté internationale ». Une fois encore, l’OTAN, qui représente environ 10 % de la population mondiale, s’arroge le droit de la défense mondiale de la liberté, de la démocratie et de l’économie de marché.
En 25 ans, les guerres de l’OTAN ont causé des millions de victimes parmi les populations civiles et ce, quasi exclusivement dans les régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, c’est-à-dire dans le monde musulman.
Durant ces guerres très actuelles, ce sont les mêmes services de l’OTAN qui ont discipliné les services d’information et les mass médias en vue de nous fournir leur version des événements.
Si nous voulons contribuer à rétablir ce qui grandit l’humanité dans sa recherche de progrès vers plus de liberté, d’égalité, de fraternité entre les individus et les collectivités, nous devrons sortir de la vision unilatérale qui nous est imposée, celle du concept de « civilisation occidentale », de sa défense et de la lutte contre les terroristes ; à savoir tous ceux qui contestent notre hégémonie basée sur la force.
Toutes les guerres menées aujourd’hui par - ou avec - l’OTAN bafouent, violent l’ensemble des valeurs que nous prétendons défendre. Celles de la démocratie et de l’Etat de droit.
Dès l’Antiquité, des hommes, des femmes peut-être, ont imaginé de peindre de petits morceaux de verre, « de l’autre côté », à l’aide de pigments délayés à l’huile ou à l’eau.
Ainsi, on a retrouvé à Pompéi un portrait de jeune homme étonnant de présence dont l’expression des yeux rappelle les visages du Fayoum.
Petit rappel: en effet les fouilles archéologiques de la ville de Fayoum, non loin du Caire avaient fait connaître en 1887 des visages peints aux grands yeux ouverts, intercalés dans les bandelettes des momies pour en indiquer l’appartenance, premiers portraits funéraires sans doute… Le visage du jeune homme emprunte le même procédé.
Tout cela, date du premier siècle avant JC.
En même temps, apparaît une autre technique, « l’eglomise » qui consiste à fixer une mince feuille d’or ou d’argent sous le verre à l’aide d’un vernis, ensuite le dessin est exécuté à la pointe sèche. On en trouve un exemple classique dans certains décors de la somptueuse Sainte Chapelle à Paris au Xlllè siècle.
La Renaissance, avec son jaillissement de découvertes artistiques, va accélérer au XVIè siècle, à Venise l’invention de verre enfin transparent.
D’autre part, la diffusion de gravures sur bois ou sur cuivre, a fait connaître aux artisans des tableaux de maîtres aux sujets variés qu’ils vont copier et leurs peintures sous verre limitées aux sujets pieux pour une clientèle ecclésiastique, va se répandre auprès d’une clientèle aux moyens aisés, avec des commandes « sur mesure ».
C’est l’époque des découvertes géographiques, et on est à l’affût d’objets exotiques à collectionner chez soi. Les ébénistes vont créer des meubles de présentation appelés « cabinets de collections » en ébène, en palissandre agrémentés par des insertions de bois de rose, de citronnier ou d’autres essences de bois précieux.
Et les portes et ouvertures à secret seront souvent incrustées de fixés -sous-verre aux sujets divers : angelots, fleurs, sujets érotiques, selon les commandes personnelles des riches mécènes qui se libèrent, petit à petit, des contraintes religieuses imposées jusqu’alors.
On a vu que le verre a atteint, à l’époque, de plus grandes dimension, ce qui va faciliter la production de portraits sur ce support. Ainsi, en Lorraine, le peintre P. Jouffroy, s’est fait rapidement remarquer par ses portraits princiers, tel celui de Christine de Saxe en 1762, dont on peut admirer encore les déclinaisons raffinées des couleurs de sa robe, un camaïeu de beige, paille et champagne, relevé par les tons bleu profond de sa cape enroulée.
Au dix-neuvième siècle, la diffusion du verre favorise l’installation d’ateliers de fixés-sous-verre, près des sites de verreries. Les sujets populaires s’opposent ou plutôt, rivalisent avec les portraits sophistiqués ou les images pieuses revenues en quantité sur le marché. Cette production d’images vertueuses partie de Murano se répand partout, récupérée très vite par l’imprimerie ….
Les fixés-sous-verre se retrouvent dans le monde entier. En Asie, en Afrique dans une symphonie de couleurs éclatantes. Moins chers que des tableaux, on les retrouve sur les murs, sur des plateaux, des miroirs… Cette méthode de peindre introduite vers 1890 au Maghreb, parvient au Sénégal par l’intermédiaire des marchands arabes et berbères et par les lettres et marabouts musulmans.
La technique consiste à commencer par les détails et la signature avant d’aborder les fonds par les contours à la gouache et puis d’attaquer le centre. Certains artistes ont atteint la notoriété et font partie de l’école d’art de Dakar dont la réputation n’est plus à faire. Ainsi on peut acheter les sous-verre de Sea Diallo, M’Bida ou de la famille Gueye qui continue la tradition artistique de Papa Gueye avec bonheur. Les sujets d’inspiration sont infinis: vies de marabouts, du commerce des esclaves, de marchés colorés au village, assemblage stylisé de poissons dans les herbes, mamas épanouies en boubou et turban, gros plan sur drapés à la mode africaine, visages d’enfants au sourire éblouissant : un éventail de propositions positives !
En Chine, la méthode de peinture sous verre doit beaucoup à l’illustre père Jésuite
Giuseppe Castiglione (1688-1766) qui a jeté tant de passerelles entre l’Occident et l’Orient. Elles sont produites à Pékin, introduites à la Cour impériale, puis à Canton, le grand port commercial chinois d’où elles sont expédiées en Europe. Les sujets inspirés par des gravures françaises ou anglaises suivant les commandes vont bientôt, grâce à la mode des “chinoiseries” passer par des sujets” Reflets de Chine “ qui vont avoir au XIX siècle, un énorme succès. On y voit des scènes familiales dans des jardins éclairés aux lanternes, des courtisanes en tunique légère, des paysages fantastiques, des scènes de chasse, de guerre ou de mythologie qui constituent des collections particulières à l’étranger, très appréciées aujourd’hui encore.
Cette production fragile, a évolué dans son parcours et s’est transmise un peu partout en
Asie. On trouve des peintures sous verre au Japon, en Indonésie, chaque pays y ajoutant ses propres caractéristiques.
Il s’agit donc d’un art populaire qui a connu bien des échanges et des rencontres de cultures et qui mériterait une meilleure place.
Première quinzaine du mois d’août 2022, le M.U.R. Oberkampf a invité Kazy Usclef. L’artiste nantais a peint une œuvre qui surprend. Sur un fond d’un bleu nuit se détache une lune blafarde. Sur un banc public sont peints deux sujets : un squelette qui croise bras et jambes, et à côté de lui, un feu ardent. En partie cachée par le banc, couchée dans son prolongement, une sphinge. Dans le coin droit, un cône blanc et rouge posé sur le sol.
Pour y voir clair (la nuit est sombre !), simplifions cette équation à plusieurs inconnues ! Evitons de nous interroger sur la nuit, la lune, le banc, le cône rouge et blanc et concentrons-nous sur les éléments principaux : une sphinge, un squelette symbole de la mort et le feu. Avant d’en cerner les relations, il convient de détailler les trois sujets : le squelette est un squelette de fantaisie qui se croise les jambes et les bras dans une situation d’attente. Le squelette est une figure récurrente de l’œuvre de l’artiste et dans tous les cas de figure, il a la valeur symbolique de la mort. La mort peut attendre ! Elle attend avec une évidente patience. Le banc est accessoire ; il permet à l’artiste de situer sa composition sur deux plans : le sol et l’assise du banc. C’est sur le banc, voisin de la mort, que brûle le feu. La sphinge au visage si beau, à la chevelure rousse, aux traits réguliers et aux yeux bleus, paisiblement est couchée.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la sphinge est un « monstre fabuleux (né de Typhon et d'Échidna), à tête et buste de femme, à corps de lion et ailes d'aigle, qui proposait des énigmes aux passants près de Thèbes, et qui dévorait ceux qui ne parvenaient pas à les résoudre. » La sphinge est le pendant féminin, du sphinx. Notre sphinge a certes perdu ses ailes et son corps est davantage celui d’une panthère que d’un lion ! Ses attributs antiques ont été remplacés par le visage d’une femme moderne et alors que son aïeule inspirait la crainte, notre sphinge est placide et sereine, quoique sacrément redoutable.
Quelle histoire nous raconte l’artiste ? Car il s’agit bien de cela. Sa fresque nous raconte une histoire. Une histoire vieille comme le monde. La sphinge moderne fait ce que font toutes les sphinges depuis la nuit des temps, elle propose aux passants que nous sommes des énigmes et si nous n’y répondons pas nous encourrons le châtiment suprême, nous serons réduits d’abord à l’état de squelette, un état de passage, avant la crémation et les flammes de l’enfer.
Kazy Usclef modernise et adapte le mythe fondateur d’Œdipe[1]. Et cela avec un humour certain. D’aucuns pourraient penser que la fresque est une plaisanterie, une galéjade dont l’objectif serait de nous faire rire ou sourire d’un squelette humain trop humain et d’une sphinge postmoderne aux cheveux de feu comme les flammes de la damnation éternelle. J’ai une autre approche que je vous propose. La sphinge nous regarde et nous demande à nous passants de résoudre l’énigme…de la fresque. Quelle est sa signification ? Le passant qui ne trouve pas la solution de l’énigme est voué à la mort, en passant par la case squelette. Une mort virtuelle bien sûr car nous sommes dans un récit faussement mythologique. Le badaud qui ne prend ni le temps ni la peine d’interroger l’œuvre peinte et qui est incapable de donner le sens caché par l’artiste est un mort pour la peinture. Celui qui au-delà des apparences ne peut entrer en relation avec la psyché de l’artiste n’a pas accès à l’existence.
L’œuvre est atypique de la production de l’artiste même si des motifs sont présents dans nombre de ses œuvres. Sa fresque est « réservée » à ceux qui regardent, aux happy few qui savent que le street art peut proposer aussi une réflexion sur l’art. Son apparente simplicité formelle développe une interrogation essentielle sur les relations entre l’artiste, l’œuvre et le « regardeur ».
[1] L'énigme du Sphinx est une devinette qui, selon la mythologie grecque, fut soumise par le Sphinx à Œdipe, qui en trouva la solution. Il s'agit de déterminer « quel être, pourvu d'une seule voix, a d'abord quatre jambes le matin, puis deux jambes le midi, et trois jambes le soir ? », la réponse correcte du héros étant « l'Homme », lequel enfant marche à quatre pattes, adulte se tient debout seul et âgé s'appuie sur un bâton. L'énigme est un motif culturel récurrent dans les cultures classique et populaire.
Bien que nous le sachions pertinemment, nous oublions, presque à chaque instant, que nous avons 5 sens, des sens dont nous avons l'habitude de nous servir pour appréhender le milieu dans lequel nous vivons. Ces sens, quoiqu'il soient sollicités à tous instants, sont malgré tout très limités...Pour pallier ces manques de précisions, l’hominidé a inventé des appareils en tous genres au cours des siècles, qui vont lui permettre d'approfondir et de multiplier leurs perceptions, d'analyser au plus près ce même environnement qui l'entoure et qui le conditionne. Ces appareils mesurent, pèsent, analysent et observent, bien mieux que lui, les divers éléments qui constituent son entourage. Il y a aussi, et nous aurions tort de l'ignorer ou de minimiser son importance, l'apport des mathématiques, système qui peut prouver souvent la véracité de certaines intuitions qui elles, vont de pair avec La ou les connaissances...
D'ailleurs, au niveau de la Connaissance, c'est la même démarche : dès que l'humain a pu nommer les choses, dès qu'il pût raisonner sur leurs utilités et comprendre leurs fonctions, il a chercher à affiner ses recherches ; par l'expérience, alors qu'il doutait (et qu'il doute toujours), il a finalement acquis des certitudes et a augmenté son savoir, il en a fait état, et rédigé des livres sur cette Connaissance ; de la sorte, il a découvert des millions de choses diverses à différents niveaux jusqu'à ce que les machines, qu'il a inventées et conçues, en viennent à aller plus vite que son cerveau et ainsi, ont pu lui fournir les réponses qu'il a toujours cherchées et qu'il continuera à chercher encore et toujours.
L'Homme n'a pas de limites, il ne croit à rien d'autres de ce que ses sens lui ont fait découvrir. Il ignore donc sciemment tout autre système d'analyse qui ne viendrait pas de lui, ce qui fait dire par le philosophe Protagoras : l'homme est à la mesure de toute chose...(« théorie de la connaissance selon laquelle le savoir de l’homme ne peut se constituer que là où il y a pour l’homme quelque chose à percevoir »).
En conséquence, et a contrario, serait-il tellement invraisemblable de penser qu'il existerait « quelque chose » dont l'Hominidé serait incapable d'imaginer et de percevoir ?
Cependant, avec sa candeur d’homoncule, l'Homme face à ce qu'il ne comprend pas, est pourtant capable d'imaginer qu'un être suprême l'a conçu mais qu'il n'est pas capable de l'appréhender, c'est au-dessus de ses pouvoirs de perception...et ainsi, il reconnaît son impuissance, par manque d'outil adéquat, pour analyser cet « être »... si cela en est bien un !...et il conclut, puisque cet « être » est quelque chose de bien supérieur à lui-même, qu'il ne peut s'agir que d'un dieu omnipotent, qu'il lui est redevable puisque ce dieu l'a créé, pense-t-il, qui peut tout, qui sait tout et qui n'a de compte à rendre à personne ! Ce Dieu (auquel il a jugé indispensable, par respect, d'y mettre une majuscule) sait tout sur lui et sur le monde puisque qu'Il a tout créé...un Dieu qui se place très justement au-dessus de la mêlée, à qui on ne demande pas de se justifier, un Dieu inanalysable! C'est que les hominidés n'ont pas de système analytique inné, et qu'ils sont bien obligé de reconnaître qu'ils n'ont pas forcément la faculté précise pour en créer un : ce sens très particulier offert par son créateur pour l'analyser ! Le «qu'est-ce que Dieu ?» n'a pas de réponse, parce que Dieu n'en a pas besoin.....
Mais...(heureusement il y a un mais)...l'homme vient d'admettre que ce Dieu ne peut pas être en dehors de sa création, et qu'en plus, lui, sa créature, reconnaît qu'il n'a pas obtenu, dans sa conception, la faculté d'apporter les preuves de Son existence afin de pouvoir dire qu'Il existe !!! Reconnaissons-le : il (c'est à dire nous) ne peut croire en Lui qu'en ayant la Foi, ce qui est paradoxal pour un homoncule dont le but ultime (à part se reproduire) est de tâcher de comprendre ce qu'il vient faire ici-bas parmi un environnement dont il dépend !
Dès lors qu'il serait débarrassé de cette contrainte de « croire sans preuve » en un Dieu omnipotent et définitivement nombrilique, l'être humain peut (et veut) continuer à penser qu'existerait peut-être un autre univers, un monde parallèle, où apparaîtrait/existerait une ou des entités qui pourraient interférer de temps à autres, dans la continuité (hic et nunc) du monde dans lequel il vit !
Penser que ça existerait (peut-être) est une chose, mais y croire en est une autre, car ce serait retomber dans le système de la foi sans preuve, avec tous ses inconvénients, ses malentendus, ses perfidies, ses exactions diverses, ses décisions arbitraires, ses dogmes aberrants, sans oublier la prise de pouvoir inévitable par celui ou celle qui aurait été « Le » (ou la) privilégié(e), le porte-parole, l'intermédiaire de Celui à qui (mais qui?) on aurait communiqué les vérités dites essentielles et sans doute, les plus invraisemblables auxquelles on croit...
Bien heureusement encore, le doute existe toujours et n'a jamais été interdit ; il est toléré, mais pas trop, vu qu'il soit très mal vu par les intrigants qui ont quelque chose à gagner puisqu'ils se rangent du coté où il y a quelque chose à gagner !!! Souvenons-nous de la vie éternelle, qui ne vient qu'après la mort, dont on ne revient pas pour dire que « si-si-si c'est vrai, j'en reviens et j'y retourne, c'est tellement mieux là-bas qu’ici... donc qu'ici-bas ! » ...
Il faudrait absolument l'admettre (pourquoi ne pas l'admettre?) : le ou les mondes parallèles existent, et d'ailleurs les savants fous ou normaux (la folie est peut-être la norme...), l'admettent aussi et pensent qu'il existe des mondes que nous ne percevons pas, alors qu'ils nous influencent parfois, du moins le croit-on ! Pourquoi ne pas y croire alors qu'au su et au vu de certaines aberrations terrestres qui ne sont explicables que par la présence de ce ou ces mondes parallèles...
Donc ces mondes « doivent » exister !
Donc il y aurait des interférences, des intrusions de l'un d'un autre monde chez et au travers d'un encore autre monde, le nôtre par exemple.....on pourrait établir une liste exhaustive de ces manifestations de l'« au-delà » : les voix que certain(e)s entendent, avec ou sans poltergeists, ceux qui sont photographiés à certains endroits, à certains moments, tout comme ces apparitions que certains voient et d'autres pas, et aussi les possessions liées à l'hystérie par des « démons » qui veulent obliger et diriger les personnes « possédées », sans oublier les multiples et délirantes apparitions d'Ouftis et crott'circle de toutes sortes et de toutes formes, (nommées aussi Pan par les français), avec les intrusions des hommes-noirs menaçants, sans compter les tables tournantes et les esprits frappeurs de tous styles!!!!!
Acceptant tout ceci, on à la permission de se demander à quoi riment ces intrusions dans notre monde qui est notre réalité ! À quoi ça sert ? Quel est le but ou plutôt : qui sont-ils et quels sont leurs buts.....et aussi : est-ce que cela représente un danger pour la survie de l'être humain...mais, folle espérance, peut-être veulent-ils nous rendre éternel ?
Lors d'un de mes rêves à moitié éveillé, un concept s'est imposé dans mon esprit : « Nous sommes fondamentalement différents » me signifiait « une voix »...
Alors que je me posais des questions sur notre réalité et l'impossibilité de percevoir quelque chose d'autre que ce que nous faisaient découvrir nos 5 sens, cette hypothétique possibilité d'un « ailleurs » ne pouvait qu'avancer des arguments pour confirmer ce que je pressentais, c'est à dire l'existence d'un monde différent du nôtre qui agirait, interférerait dans notre réalité sans pourtant vraiment le vouloir tout en le voulant quand même... comme si ces interférences ne dépendaient que de nous, comme si nous étions responsables des apparitions mystérieuses de faits et de choses improbables, voix sépulcrales, apparitions et disparitions soudaine et instantanées!....
Et mes doutes commençaient à mettre en évidence certaines probabilités, peu ou pas vérifiables, mais tellement séduisantes dans leur acceptation rassurante, tellement possibles dans la mesure où le doute allant dans le sens rassurant ou dans un autre, (moins rassurant), nous ferait accepter une autre réalité n'ayant aucun rapport avec la nôtre, à part la contiguïté affirmative de certaines de ces vibrations qui prétendent être « le reflet », « l'odeur, la « présence » ou son ombre, de quelqu'un que nous aurions peut-être connu et aimé !!!
Être persuadé de l'existence d'un ou de mondes parallèles auxquelles nous n'avons pas accès, essayer de trouver des explications et des « preuves » sur ces événements que certains d'entre nous citent et que relatent d'autres informations, venant d'autres milieux, des infos qui nous parviennent par bribes, malgré des mises en garde et la prudence de ceux qui les transmettent, ne font qu'accentuer le déséquilibre entre le cartésianisme qui nous empêche d'être sûr de nous et de rêver à une autre réalité qu'on peut à peine imaginer tant elle va à l'encontre de « la (bonne) santé mentale » !!!
En analysant de plus près les affirmations des voyants qui prétendent recevoir des messages de l'au-delà pour on ne sait quelles obscures raisons, on ne peut qu'accepter et déduire que ces messages venus d'ailleurs, font partie de ces mondes « d'à coté », et que ces communications sont émises par des entités bienveillantes (ou non)...Cependant, comment les décrypte-t-on, ces messages ? Par quel langage commun, avec quel système de traduction?... Cependant, puisqu'elles n'apparaissent pas à nos yeux et qu'elles sont seulement perçues par notre cerveau, on peut aussi affirmer que ces entités «sont vivantes » comme nous, mais d'une autre façon sans doute, inconnue pour nous ! Et aussi qu'elles ont le pouvoir de s'introduire dans nos cerveaux (toujours pour on ne sait quelles obscures raisons)(peut-être pour nous prouver leur existence ?) ... On pourrait aussi aller plus loin et affirmer que ces voix et leurs prédictions à court ou à long terme, que ces présences sont omniprésentes jusqu'à influencer notre vie quotidienne et peuvent même décider de notre avenir .....aaah! l'Avenir!
L'avenir est proche ou lointain, c'est selon ce que l'hominidé a de la notion du temps (le temps qui passe, soi-disant!)
Mais voilà, le temps ne passe pas : il est immobile, il n'existe que hic et nunc, ici et maintenant. Et voilà que nous avons inventé l'avenir et pensé que le passé existait encore bien après que le présent soit terminé. Notre imagination et nos rêves les plus fous ont fait le reste : on repense avec regret aux bons moments passés sous la couette, ces moments qu'on voudrait revivre et on a même imaginé un appareil qui fixait le moment présent...oui, d'accord, peut-être pas sous la couette...
On les imprime ces souvenirs et on les met dans des albums ou sur cloud-internet et on se les repasse non-stop pendant qu'on peut encore les regarder sans attraper maux de tête ou du flou dans la vision !
Le paradoxe pendant notre court passage dans la réalité, c'est que, en même temps que nous vieillissons, nous nous recréons et nous nous réinventons à chaque hic et nunc... Ce qui nous fait dire, à chaque instant de cette subtile décadence, que le temps passe trop vite et qu'il faudrait le ralentir !...tout ça pour que la jouissance de l'instant soit de plus longue durée !
En plus d'avoir inventé ce temps qui passe, nous avons inventé le moyen de le mesurer : les années, les mois, les jours, les heures, les minutes, les secondes et les fractions de seconde...le 1000ième de seconde est-il la mesure de l'ici et maintenant ? A moins que ce soit le 10.000ième ?
Avec une caméra de prises de vues, on a 24 ou 25 images par seconde au 50ième de seconde pour se voir bouger grâce à la persistance rétinienne...et comment faire pour encore se voir bouger entre la 1ère et la 2ième image de celles pris au 10.000ème de seconde ?
Il faudra six cent mille images pour espérer nous voir bouger, pour autant que nous ayons bougés dans la réalité !!!!!
Voilà de quoi être soumis à une sacrée sidération!
Les êtres étranges venus d'ailleurs sont-ils au courant de notre perplexité quant à cette notion du temps "qui passent et qui ne passe pas"?...telle la flèche de Zénon qui vole et qui ne vole pas et qui n'arrive jamais au but!
A pas peur de l'avenir en rose...
PS : Décidons des capacités de ce monde parallèle : les entités peuvent s'introduire dans nos cerveaux et peuvent y faire passer des messages dont quelques uns signé de certains défunts connus ou méconnu !!! Capacité de copier nos acquis car elles n'ont pas besoin de l'inné qu'elles connaissent depuis toujours puisque l'inné est commun à tous les hominidés (!) _Elles copient les logiciels de celles des défunts et leur font dire ce qu'elles veulent aux parents qui les invoquent...
L’association Art Azoï a sollicité Rouge Hartley, street artiste à laquelle j’ai consacré déjà plusieurs billets, pour « faire le mur » du Carré de Baudouin, rue de Ménilmontant, au mois de juillet. Bien lui a pris car Rouge a peint non pas un mur mais une œuvre.
Une œuvre déroutante. Longue de plusieurs dizaines de mètres, elle ne se laisse pas saisir d’un regard. Le regardeur, au pied de l’œuvre, en saisit mal le sujet et la mise à distance, parce qu’elle provoque une naturelle perte de définition, fait jaillir quelques séquences de la fresque sans toutefois pouvoir la considérer dans son ensemble. Par ailleurs, l’artiste ne cerne pas les objets représentés par des traits forts. Au contraire les aplats de couleurs se juxtaposant confondent les limites. Ainsi la majeure partie de la composition mêle sur un fond d’un bleu très intense une superbe harmonie, mariant des grenats, des roses, des jaunes. Quelques couleurs vives rythment la longue fresque.
Identifier de manière précise le sujet n’est guère chose facile pour les raisons qui ont été dites infra ; il convient de s’en tenir à des hypothèses. Mon hypothèse est la suivante ; sur un plan, peut-être un meuble, installé en extérieur sont posés différents objets, des vases, des étoffes et des fleurs. C’est une nature morte. Bien singulière au demeurant : si un vase est posé sur son fondement, d’autres vases que nous pouvons imaginer en cristal sur couchés voire cassés. Les fleurs ne forment pas un bouquet ayant une savante composition, mais couchées sur un plan horizontal, mêlées. Alors que la nature morte dans notre tradition occidentale est un modèle de rationalité, la nature morte de Rouge n’est pas un modèle loin s’en faut et illustre un désordre.
J’en viens à penser que Rouge revisite le thème des très classiques natures mortes de notre histoire de l’art et s’amuse à en inverser la problématique. Les savantes et géométriques compositions des natures mortes anciennes, au maniérisme de l’exécution qui confine parfois à une volonté de copier le réel, elle propose une nature morte caractérisée par le désordre des objets et l’« imprécision » voulue de l’exécution. Par ailleurs, Rouge change le cadre. Elle « sort » le sujet, qui « scène d’intérieur » devient une curieuse scène d’extérieur. Quelques indices le montrent : le contraste chromatique entre la nature morte proprement dite et un espace situé à droite de l’œuvre peint d’un bleu profond et un saugrenu tournesol qui clôt la composition. J’ai même cru reconnaître un coq !
Doit-on réduire la fresque de Rouge à un exercice de style parodiant un exercice de style classique ?
La fresque est certes cela mais pas que cela. Car l’impression qui domine de ces cristaux cassés, de ces étoffes froissées, de ces fleurs couchées, est l’absolue beauté de l’œuvre. Magnifique contradiction apportée aux poètes et aux artistes qui ont associé comme une vérité d’évidence l’ordre et la beauté. Rouge fait la démonstration que la beauté ne nait pas de l’ordre. La beauté est aussi dans le chaos, dans le désordre.
Comment ne pas voir dans la volonté de Rouge d’estomper les limites des objets représentés un désir d’ « obliger » le regardeur à prendre, au sens propre, de la distance. C’est du trottoir d’en face qu’on discerne le mieux les contours des objets mais en s’éloignant le regard perd en précision. L’imprécision permet au regardeur attentif d’être sensible au climat de l’œuvre et l’oblige à faire un bout du chemin pour donner à l’œuvre une signification.
La fresque qui incite au questionnement n’est pas pour autant un manifeste. Si manifeste il y a, il est dans le triomphe de la couleur et de la peinture. Rouge n’a pas écrit un savant traité pour apporter la contradiction aux peintres classiques, avec des pigments et des pinceaux elle crée des images. Et ces images se passent de commentaires sur l’art : elles sont de l’art dans sa plus belle expression.
La civilisation des boulots de merde plastifiés n’est, au café du coin, que rarement le sujet de conversation. Là, entre deux chopes, c’est plutôt cancans et plaisanteries douteuses ponctuées de ouaf, ouaf, ouaf rarement contagieux. Les scies du social en bistrot son assez désolantes
Parmi les situations rarement évoquées, il y a aussi celle condensée comme suit : « De nos jours, le moindre acte nécessaire à la vie est automatiquement et immédiatement relié, dans sa réalisation même, à une mécanique économique sur laquelle le sujet n’a presque pas de prise et dont il observe les effets destructeurs sur le monde et sur les autres. Nous sommes tous les militants assidus et humiliés, d’une économie que nous sommes cependant toujours plus nombreux à abhorrer. » La citation est un peu longue, mais cela valait la peine.
On peut sans doute se demander si ces gens « toujours plus nombreux » le sont vraiment. Au bistrot, c’est douteux. Mais ce qui intéresse ici est le fait que le collectif, auteur de ces lignes, Paul Colrat, Foucauld Giuliani et Anne Waeles, est composé d’enseignants en philo engagés dans une parole libératrice trempée dans le christianisme, ce que le titre de leur ouvrage indique sans ambiguïté : La communion qui vient - Carnets politiques d’une jeunesse catholique, publié au Seuil en 2021. Il m’a été prêté pour commentaire par un ami chercheur de vérité qui a fait choix d’entrer dans les ordres. Autant le dire.
Et dire encore, d’emblée, que venant du camp du goupillon, cette caractérisation de notre temps frappe comme inattendue et réconfortante. Notre trio utilise même carrément le terme de « capitalisme », mot tabou jusqu’il y a peu − la plupart des professionnels de la langue de bois, telle la Commission européenne, persistant à parler « d’économie de marché », ce qui rend difficile à distinguer en quoi le monde a changé depuis l’agora de la Grèce antique.
Recenser l’ouvrage n’est pas ici le lieu (je serai long assez comme cela), mais bien, mû par un mouvement d’irritation devant ce tic, fréquent chez qui aujourd’hui veut exprimer son point de vue sur le monde, consistant à forger un néologisme [1] pour le condenser, comme si rien dans le vocabulaire courant ne pouvait y pourvoir, comme s’il avait fallu attendre les auteurs du néologisme pour enfin y voir clair − une manie, soit dit en passant, quelque peu prétentieuse.
À vendre : néologismes
Il en va ainsi, chez notre trio, du concept de « dépolitisation », qu’il utilise en un sens nouveau. Ici, en effet, le terme s’oppose à une « surpolitisation », qu’il définit comme l’état d’une humanité dont le moindre des actes de la vie quotidienne est ordonné par la machinerie économique ; pour reprendre leurs mots : « La surpolitisation est l’inscription du pouvoir au plus profond et au plus intime de nos existences. » D’aucuns auront noté que, déjà, ils auraient pu faire appel au lexique existant et préférer parler d’une humanité « surdéterminée » (Althusser) par la généralisation d’une « suradministration » (Adorno) généralisée. Essayez de rouler à plus de 30 km/h à Bruxelles ou d’allumer une cigarette dans un café, vous serez vite fixés [2].
Si, pris négativement, la dépolitisation consistera alors à « se défaire [de cette] emprise déresponsabilisante sur nos vies » ne fait pas en soi problème et, comme ils notent, peut par exemple être repérée dans la révolte des Gilets jaunes contre ce qu’ils ressentent comme une « dépossession » de leur existence, c’est bien ce terme-là, manié avec une précision autrement percutante par David Harvey qu’on aurait aimé plutôt voir.
Dire que les sujets contemporains du capitalisme sont des êtres « dépossédés » est tout de même plus parlant, et adéquat, que de les décrire comme étant « surpolitisés ».
Pour Harvey, voir son Brief History of Neoliberalism, 2005, en Oxford University Press paperback [3] : « La réalisation substantielle principale du néolibéralisme a été de redistribuer plutôt que de produire richesses et revenus », constat dont il rappelle qu’il en a décrit le mécanisme ailleurs, à savoir par le biais d’une « accumulation par dépossession ».
Sur un point central, cependant, les deux analyses se rejoignent : l’état d’aliénation [4] de l’humanité a ses racines dans une « mécanique économique ».
Bureaucrates de tous les pays...
Si l’on joint à la notion de dépossession, matérielle et mentale des êtres humains celle d’une société suradministrée du philosophe Theodor Adorno et, due à l’anthropologue David Graeber, celle, tellement apte, de la prolifération de « boulots de merde », on a comme l’écheveau de la trame de ce qui aujourd’hui se trame. Un monde surrégi par un corset de normes bureaucratiques infantilisantes et tentaculaires. Une humanité dépossédée de ses outils et fruits de travail et de pensée. Et la diffusion d’un sentiment apathique d’inutilité par l’extension sans fin d’activités professionnelles qui n’ont aucun sens : les boulots de merde.
D’une brève recherche sur la bureaucratie qui gagnerait à être systématique, il ressort ainsi, rapporte dans The Spectator (6 février 2016) le parent indigné d’un malade mal soigné en Grande-Bretagne, que seule une personne sur quatre dans le système hospitalier britannique y exerce des fonctions médicales. De même, dans une lettre ouverte publiée par La Libre (11 juin 2018),signée par 400 directeurs de l’enseignement libre catholique, il est fait état de la « charge administrative titanesque » qui détourne le corps enseignant de ce qui devrait être le « cœur du métier », apprendre à lire, écrire et calculer.
Ce n’est pas neuf. Saint-Just, déjà, n’avait pas de mots assez durs pour les quelque 30.000 agents administratifs auxquels, à l’époque, fort peu dans le peuple « donneraient leurs voix ». Balzac, de même, jugeait (Le curé de campagne, 1833) que « un peuple qui a quarante mille lois n’a pas de loi ».
Plus près de nous, il y a évidemment Bernanos, sur un versant connexe, avec son brûlot contre la machin-ation de l’homme (La France contre les robots, 1947), Valéry, qui invitait à examen critique comment les lois successives modifient « le domaine des possibilités de chacun » (Fluctuations sur la liberté, 1938) et, froidement glacial, le philosophe Theodor Adorno avec son concept de « société suradministrée » aux relents totalitaires dont il rappelait en 1942 que le modèle, imité des États-Unis, est celui d’un « capitalisme d’État intégralement planifié ». Rendre toutes et tous serviles par consentement.
À faire et être quoi ? L’exécutant d’un boulot imbécile.
La marée noire, c’est au supermarché
Sans doute serait-il intéressant d’être à même de pouvoir pister l’essor de cette production d’encombrants inutiles. À prendre conseil chez cet orfèvre de l’observation historique qu’était Walter Benjamin, il faudrait aller renifler du côté de Louis-Philippe, à la fin du 18e siècle, pour voir les appartements d’une bourgeoisie aliénée se décorer « d’une foule d’objets », bibelots et verroteries dérisoires, une saturation qui n’aura de cesse d’enfler au siècle suivant avec l’invention du grand magasin qui invite à « errer dans le labyrinthe de la marchandise » avec, touche finale, contemporaine, nos zones commerciales et supermarchés [5] : plus l’être humain « prend conscience du fait que son mode d’existence lui est imposé d’en haut par l’organisation de la production - en d’autres termes, plus il se prolétarise, et plus il sera transi par l’haleine glacée de l’économie marchande. [6] »
Là, c’est le pétrole qui fournit les pentes glissantes. Détail anecdotique, mais révélateur : voici peu, dans telle grande ville européenne, de jeunes manifestants idéalistes bloquaient un carrefour pour réclamer, au nez et à la barbe des bagnolards immobilisés, la destitution de l’économie avaleuse de pétrole. Ces gentils militants étaient cependant singulièrement aveugles au fait que leurs vêtements, sacs et téléphones mobiles sont largement composés de plastique ou de nylon, donc des dérivés du pétrole. Bref, qu’en combattant la marée noire, ils en sont eux-mêmes une flaque. Voilà qui, certes, prête à confusion. Il faut de bons yeux pour flairer dans les plastiques synthétiques ce qu’au fond, ils sont : du pétrole durci, inodore, non adhésif, agréable au touché, léger et, atout majeur, bon marché. Ce pétrole-là, pourtant, est omniprésent.
Une analyse remarquable du chercheur Adam Hanieh parue dans le New Left Review (n°130, juillet-août 2021) condense avec force détails l’histoire de la « colonisation de tous les aspects de la vie quotidienne » par ces dérivés bon marché (déchets !) du pétrole et, partant de la « chimicalisation de l’industrie », laquelle a tôt perçu le profit qu’il y aurait à remplacer bois, verre, coton, laine, papier et métaux par cette providentielle matière secondaire synthétique. Où ? Aux États-Unis, au premier chef, qui s’est livrée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à un pillage en règle des acquis technologiques allemands (les brevets, sans compter les quelque 5 millions de documents techniques microfilmés par un « commando » de managers et de chimistes déguisés en militaires des forces d’occupation US), détrônant par là le cartel allemand IG Farben, jusque-là « leader » mondial, au profit des DuPont, Dow et Monsanto.
« Chimicalisation », le mot est faible. Comme indique Hanieh, entre 1950 et 2015, la production mondiale de plastiques a été multipliée par 200. Mieux : « il est impossible d’imaginer un futur sans pétrole aussi longtemps que le pétrole demeure la base matérielle fondamentale de la production des marchandises. [7] » Quelques chiffres encore : en 2018, 51% de la production de plastiques est issue d’Asie (la Chine, 30% du tonnage mondial, ce dernier de 400 millions). Un GSM : c’est 30 à 50% de plastique. Les trois plus gros producteurs de déchets plastiques : Coca-Cola, Pepsi, Nestlé. Les trois plus gros producteurs de plastique à usage unique : ExxonMobil, Dow, Sinopec. Les trois principales productions consommatrices de plastique : l’emballage (36%), les textiles (14%), les biens de consommation (10%) [8] . Comme quoi, comme quoi...
Conclusion
De ce cabotage en économie politique, il est loisible de faire une proposition de rigoureuse recherche tendant à prêter main forte aux tentatives de comprendre le monde dans lequel clapote l’humanité. Primo, qu’il serait éclairant de savoir (chiffrer, mesurer) dans quelle proportion le salariat remplit des fonctions socialement parfaitement inutiles et, pour qui les exécute, souvent déprimantes. On pense à la bureaucratie paperassière, publique et privée, scorebording, programmation stratégique, systèmes d’évaluation et tutti quanti, mais aussi à la production de gadgets et babioles jetables en matière synthétique. Secundo, il serait tout aussi éclairant de savoir (chiffrer, mesurer) dans quelle proportion l’industrie dite « productive » se voit investie dans la mission marchande de produire des biens socialement parfaitement inutiles. Évidemment, ce qu’il y aura lieu d’entendre par « socialement inutile » aura un caractère subjectif prêtant à discussion, mais, ça, c’est le but du jeu.
Ceci pouvant difficilement être qualifié de conclusion, comme se doit d’avoir toute divagation académique, la parole sera donnée à ce grand pessimiste devant l’éternel qu’était Theodor Adorno, ce par une citation goûteuse extraite du travail effectué en 1956 avec son pote Horkheimer pour produire un Nouveau Manifeste [9] : « Si le monde était organisé de telle sorte que tout ce qu’on fait servirait de manière transparente la société en son entier, et que les activités n’ayant aucun sens étaient abandonnées, je serais très heureux de consacrer deux à trois heures par jour à travailler comme liftier. » Moi, aussi.
Et donc selon le nouveau ministre de la Défense français, directement relayé dans la presse belge par le chef de la Défense nationale belge, il faut reconvertir nos économies en « économie de guerre ». En bref, ne laissons pas nos industries rater de juteux contrats d’armements que nous offre la guerre en Ukraine, le tout bien sûr au nom de nos valeurs démocratiques.
Dans le même temps, Madame von der Leyen appelle à lever un nouveau train de sanctions contre Moscou. N’a-t-elle pas constaté que se sont essentiellement les économies européennes qui trinquent dans la mesure où M. Poutine avait anticipé cette situation en cherchant, bien avant la guerre, à diversifier sa clientèle pour le gaz et le pétrole russe lorsqu’il s’aperçu que les Européens, pliant devant les exigences américaines, avaient bloqué l’ouverture du gazoduc Nord Stream 2. Il est étonnant de constater que c’est Mme von der Leyen qui, aujourd’hui, tient les rênes de la direction européenne. On la retrouve parcourant le monde en lieu et place de M. Borrel sensé être le Haut Représentant des institutions européennes aux relations extérieures, quant au Président du Conseil, Charles Michel, il peine à encore exister. C’est elle aussi qui, dès à présent, nous invite à nous serrer la ceinture notamment, en abandonnant nos voitures, réduisant l’usage des climatiseurs et anticipant son annonce sur l’obligation qui nous sera faite de réduire à 19° le chauffage en hiver, d’éteindre les éclairage publics …. Toutes ces mesures prônées par les écologistes pour améliorer notre climat, n’avaient pas jusqu’ici trouvé en Mme von der Leyen une telle avocate.
Qu’est-ce qu’une économie de guerre ?
C’est celle qui autorise l’Etat à prendre toutes les mesures nécessaires à la survie de ses institutions et à la protection des citoyens. Cela peut donner froid dans le dos lorsqu’on se rappelle les mesures adoptées à ce titre par le gouvernement du maréchal Pétain. Les Conventions de Genève, adoptées en 1947 et complétées en 1949, stipulent quelles sont les obligations de la puissance occupant un autre pays. Aujourd’hui, il y a lieu de s’inquiéter de la manière dont ont été prises les décisions de la Commission européenne centralisant toutes les mesures prises à l’encontre de la Russie et dont M. Stoltenberg, S.G. de l’OTAN se félicite de la bonne coordination avec ses services. De même, il y a lieu de questionner nos parlementaires sur les choix opérés par nos différents pays en matière de livraisons d’armes pour combattre l’envahisseur russe. Nous prétendons le faire au nom de la défense d’un pays, l’Ukraine, qualifié de pays partageant nos valeurs démocratiques. Or, il faut être lucide : l’Ukraine n’a jamais été identifiée comme tel avant l’invasion russe. Ceux qui, au nom de la solidarité atlantique, livrent des armes défensives et offensives aux Ukrainiens et qui proclament vouloir « aider les Ukrainiens à gagner la guerre » en mettant nos économies en « état de guerre » sont des irresponsables au vu des résultats obtenus jusqu’à présent : des réfugiés en masse, des morts par dizaines de milliers , des destructions sans fin, et des perspectives encore plus dramatiques pour les prochaines semaines, parce qu’ils s’obstinent à vouloir faire plier M. Poutine.
Nos parlementaires doivent d’urgence se préoccuper de la traçabilité des armes livrées, car ne sont-elles pas déjà partagées par des groupes d’obédience fasciste ? Ils ont aussi l’obligation de nous préserver des dangers que représente « l’économie de guerre » : dérives démocratiques comme la censure de la presse russe, par exemple, contrôles renforcés pour forcer les économies de gaz, privations vécues par nos concitoyens, victimes des spéculations et hausses du coût de la vie, provoquées à l’occasion de cette confrontation guerrière.
Non, nous ne sommes pas en guerre et nous refusons la volonté de certains d’en découdre avec la Russie quel qu’en soit le motif. Il serait temps de se mobiliser sérieusement pour relayer les appels de plus en plus nombreux de ceux qui, depuis le Grand Sud mais aussi en Europe, aux Amériques, en Ukraine et en Russie, appellent à mettre fin de toute urgence à ce conflit des plus périlleux pour notre humanité. Ce 8 août, rappelons-nous les largages des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki et empêchons que de tels crimes se reproduisent.
Nos responsables politiques, au lieu de jouer des biceps, doivent mobiliser toutes leurs énergies et des moyens financiers importants pour rendre à l’ONU et à son Secrétaire général A. Guterres le rôle qui est le leur pour forcer des négociations en vue de mettre un terme à la guerre en Ukraine et instaurer un processus de paix respectueux des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes sans être les jouets des affrontements présents et futurs entre grandes puissances.
Les guerres actuellement en cours, bien trop meurtrières et destructrices nous appellent à la raison et à travailler collectivement à un nouvel ordre international en mesure de recréer les conditions d’un vivre ensemble plus pacifique, plus socialement responsable, plus respectueux de l’ensemble du vivant et plus réellement démocratique. C’est pour ce faire que nous devons nous mobiliser et forcer les porteurs d’étendards guerriers à laisser la place aux porteurs de la branche d’olivier.