semaine 38

Chant d’adieu pour Ali Kaddour

Chemins de traverse par Marcel Leroy, le 19 septembre 2023

A Marcinelle, pensées pour Ali, en mémoire de tous les exilés, avant le retour au pays qu’il aura fallu quitter Phto © Marcel Leroy)

Au Bois du Cazier, « Algérie, mon beau pays », la chanson de Slimane Azem, disait le lourd chagrin d’avoir quitté ses proches pour gagner sa vie au loin.

Alors que la question des migrations fait les grands titres, quand Lampedusa affronte une autre tragédie, l’histoire d’Ali Kaddour, et la cérémonie du rapatriement de sa dépouille, donnent à méditer sur ce que c’est que de quitter son pays, les mains vides, pour essayer de survivre…

Bois du Cazier, 22 mai 2023. Au pied de la stèle de marbre blanc où sont gravés les 262 noms des mineurs tombés le 8 août 1956, salué par des mineurs en habits de travail, le cercueil de bois qui porte le nom d’Ali Kaddour s’apprête au voyage du retour.
Abdelkader, neveu d’Ali, accompagnera son oncle jusqu’à Affensou, un village d’Algérie, accroché aux montagnes de Kabylie. Ali avait quitté en mai 1955 sa patrie dans la fougue de ses vingt ans pour gagner sa vie dans le nord de la France, avant de devenir mineur de fond à Marcinelle.
C’est là qu’il a été retrouvé par les sauveteurs, à l’étage 1035, dans la taille 2 Gros Pierre Levant. Lors des dernières funérailles collectives, en septembre 56, Il fut inhumé dans la parcelle 34 du cimetière de Marcinelle auprès de ses compagnons.

Passèrent de longues années. Jusqu’en 2019, quand Michele Cicora lança son vibrant appel lors de la cérémonie anniversaire pour que soient identifiés les morts « inconnus », ainsi que mentionné sur leur sépulture. Parmi eux, son père, dont il rêve toujours de ramener la dépouille en Italie, même si l’ADN n’a pas parlé, dans son cas, hélas.
Mais la quête de Michele, relayée par les médias, eut des échos jusqu’en en Kabylie, via les réseaux sociaux…
C’est donc grâce à Michele qu’en Algérie la famille Kaddour découvrit où reposait son fils émigré. Et demanda son exhumation pour qu’il revienne enfin à la maison.

En ce lumineux matin de mai, tout le monde a le cœur serré quand s’élève la voix d’un autre émigré kabyle, le regretté chanteur Slimane Azem. Brisant le silence, un appareil diffuse « Algérie, mon beau pays ». La voix de Slimane est chaude et rauque, forte et entêtée comme le vent des cimes qui déferle sur les rochers et les esprits. Simple mais riche de nuances, la musique renforce des paroles qui disent la nostalgie des décors et des gens, la douleur de la séparation, la volonté de vivre debout et le rêve de revenir auprès des siens.
La chanson dit ceci, à peu près : « Algérie, mon beau pays, je t’aimerai jusqu’à la mort. Loin de toi, moi je vieillis, jamais je ne t’oublierai… »

Slimane Azem, né en 1918 en Kabylie, mort en 1983 à Moissac, en France, où il avait émigré, ne revit jamais sa terre natale. Musicien, chanteur, auteur, compositeur, il fut aussi un interprète et fabuliste kabyle. Ouvrier dans la sidérurgie, il a travaillé au métro de Paris, été envoyé en Allemagne pour le STO (Service du travail obligatoire), puis ouvrit un café dans le 15e arrondissement.

Porté par le mal du pays c’est là qu’il chanta avec sa guitare ses premières odes à la terre natale. Il connut le succès, devint un artiste engagé, rebelle, indépendant toujours, kabyle dans l’âme. Il a laissé une centaine de chansons dont cet « Algérie, mon beau pays », dont la portée est actuelle, alors que tant d’humains cherchent une terre d’asile.
Une rue de Paris et un parc public de Moissac rappellent le nom de l’artiste.

Ce matin, au Bois du Cazier, la chanson de l’émigré s’élevant pour un autre travailleur émigré est le symbole de ce charbonnage où s’éteignirent des travailleurs de douze nationalités. Dans l’air léger la mélodie monte vers le grand terril et imprègne les pensées.

Hors du temps, Slimane aura chanté pour Ali qu’il n’a pas connu et qui repose désormais auprès de ses parents dans la terre qui l’a vu naître, puis s’en aller très loin des montagnes et des siens.


Cette chronique sera publiée aussi dans la revue de l’Amicale des mineurs et des charbonnages de Wallonie

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