"La nuit serait éternelle, sans la nuit" (Robert Davreu)
Chemins de traverse par Marcel Leroy, le 23 octobre 2023

La lumière tombe, le soleil se couche et roulent les consciences, aux confins des tempêtes du monde Photo © Marcel Leroy
Il y a des jours où l'on se demande où l'on va, dans ce monde qui craque, alors que l'humanité semble oublier la notion d'altérité. De retour vers le village, la lumière décline et à l'horizon le soleil lutte comme pour ne pas se noyer, lancerait alors un vague appel à la notion de conscience. A la radio de bord de la bagnole peut-être en ce moment faudrait-il que sonne le "Blowin' in the wind" du grand Dylan. L'artiste nous a donné cette chanson d'une force qui ne s'use pas, qui évoque le long chemin qu'un être peut accomplir pour accéder à son humanité. Une chanson qui vous porte c'est tout l'or du monde.
Ecoutant cet hymne on se dit qu'il devrait y avoir, quelque part, plus de ces lieux où les ennemis parlent pour se trouver des points communs, des clairières où laisser les armes et les idées fixes, des salles de classe où écouter la personne qui s'évertue à vous apprendre à lire, écrire, penser, s'exprimer. L'autre soir, quittant un lieu où échanger des idées était encouragé et vécu avec intensité me revenaient ces voyages avec Wajdi Mouawad, durant les années 2010. Dans le cadre de Mons 2015, capitale culturelle de l'Europe, le dramaturge, comédien, écrivain né au Liban pendant la guerre, avait accompagné des jeunes de Mons, Namur, Nantes, Montréal et de l'île de la Réunion. Ils auraient 20 ans en 2015 et je me demande comment ils vont, en 2023...
Avec pour base de réflexion le travail d'une troupe de théâtre présentant les sept tragédies de Sophocle, l'idée était d'interroger l'existence en empruntant des chemins inédits. Chaque voyage, au fil de cinq années, portait sur un thème. Ecrire, lire, compter, penser, s'exprimer. J'accompagnais en tant que journaliste les cinquante jeunes qui avaient choisi de vivre cette odyssée. A la fin, tout le monde était tiraillé par les questions auxquelles il faudrait toute une vie pour trouver des réponses. D'où ce journal de bord, "En route avec Wajdi". Au travers de ce reportage qui ne me quitte pas, se révélait la nécessité de s'arrêter et de prendre le temps de réfléchir et d'écouter, alors que tout court si vite sur la trame des écrans des smartphones.
En marge de l'Ukraine et de la Russie, d'Israël et de la bande de Gaza, de la mort de deux supporters de foot venus à Bruxelles pour assister à un match, de l'assassinat de professeurs dans des écoles de France, du réchauffement climatique et des autres tragédies annoncées, sans doute faudrait-il, plus souvent pousser des portes pour parler plutôt que de se battre. Même si cela prend des siècles, ne jamais perdre de vue, quand la nuit tombe, que le soleil va renaître après la nuit. Et me revient cette phrase du traducteur littéraire et poète Robert Davreu, rencontré grâce à Wajdi. La voici, cette phrase: "La nuit serait éternelle, sans la nuit".
Souvent, en route, cette phrase semble s'inscrire sur le pare-brise, quand les essuie-glaces battent comme un coeur. Voulait-il dire, le poète, que sans la mort il n'y a pas de vie? Que sans lutter contre les ténèbres la possibilité de lumière n'existerait pas? Sais pas, sais pas. Mais l'espoir de l'aube reste là, au fond de nos errances. Et me revient aussi, avec la vague, cette autre réflexion, de Wajdi Mouawad: " Ce qui est écrit est écrit, la parole est cachée, comme la semence".
Même occultée par la nuit la lumière veille...
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