Uniforme à l'école?

Uniforme à l'école? Mais quid alors d'un traitement de fond quant au problème du vivre ensemble? Mesure slogan! nous sommes encore une fois confrontés à la prédominance de la forme sur le fond. Une solution facile qui semblerait évidente pour remédier au repli identitaire, au marquage religieux. Une mesure campagne qui détourne l'attention. Le salaire des professeurs? Leurs conditions de travail? Les classes surpeuplées? L'état des bâtiments scolaires? Les inégalités scolaires? Les écoles privées? Les écoles des riches et les écoles des pauvres? Non, on se jette sur ce qui séduit. Désolé, mais l'uniforme ne me séduit pas. Les marquages identitaires s'exercent justement par un uniforme. Donc apporter la même réponse à une dérive ne me convainc pas. Je pense aussi que le discours convenu sur la laïcité ne fonctionne plus, ce qui ne signifie pas que je ne la défends plus, elle qui demeure à mes yeux une valeur importante. Mais le discours actuel de la laïcité dérive vers la réaction et non vers l'action. La position combat est insuffisante si s'absentent de l'école la pédagogie et surtout la transmission.

Imposer ou interdire, c'est oblitérer la nécessité de l'apprentissage, de l'explication, du dialogue. On n'impose pas une société, on la construit dans l'échange. Ce qui nous demande de prendre le temps et d'accepter la contradiction, d'assumer le conflit, de ne pas l'ignorer et de ne pas le renforcer. Les liens sociaux sont en déperdition à cause de la numérisation des individus, de leur atomisation. Ces liens perdus démontrent une absence de compréhension de ce qui fait sens dans notre humanité commune. Pour la retrouver, ce n'est certainement pas avec un discours autoritaire que l'on pourra la réenchanter. Car ce qui manque de manière criante et désespérante c'est une revalorisation humaine de notre vie en commun dans un univers privatisé. Ce qui fait commun disparait. L'écrasement autoritaire de la Commune de Paris est un événement à cet égard significatif.

Je voudrais aussi rappeler que l'uniforme est surtout un marquage totalitaire: les chemises brunes, les chemises noires, le salut nazi. L'expérience La Vague menée dans une école californienne dans les années 70 par un professeur dans une classe, démontre que l'uniforme est un instrument considérable qui est séduisant pour les amateurs de conformisme et pour construire une autarcie. Depuis mon adolescence, je suis très réticent à tout uniforme qu'il soit militaire ou idéologique.

Les élèves, qui se rendent dans une école privée en uniforme, se démarquent de ceux qui vont dans une école publique, dans l'espace public, par ce procédé, il existe une séparation entre les jeunes: une compétition, une rivalité.  

Au contraire de l'uniforme, je pense que, certes, il existe un travail pédagogique à réaliser sur le vivre ensemble, la laïcité. Cependant, parallèlement, je considère aussi qu'il est nécessaire de transmettre les valeurs de tolérance par rapport à la singularité, à l'excentricité de certaines tenues vestimentaires afin de combattre le harcèlement qui est préoccupant dans le monde scolaire.  Se fixer uniquement sur un seul combat, c'est perdre l'autre qui est également fondamental. Je suis heureux de voir les garçons se laisser pousser les cheveux, porter du rose dans mes classes. 

Un uniforme pour diminuer les égalités scolaires? Quid de la fracture numérique qui n'existe pas seulement chez le troisième âge, mais qui se déclare très vite à l'école? Quid de la réelle gratuité de l'école? Des voyages scolaires qui sont onéreux? Des frais que l'enseignant doit payer pour exercer son métier? Cette mesure proposée par le président  français, qui semble se spécialiser dans le "il n'y a qu'à traverser la rue!", est spectaculaire. Surtout, elle semble oublier l'histoire des mouvements fascistes. 

J'aime le piercing d'Aline, la chevelure longue de Yassine, le pantalon rose de Michael, c'est ainsi que je défends la diversité de ma classe en tant qu'espace public. Si dans cet espace devait se manifester un uniforme quel qu'il soit, je commencerais à m'inquiéter. Mes réticences de mon jeune à l'égard du scoutisme rejoint mon aversion pour l'affichage tribal.

Transmettons la singularité et le vivre ensemble, les deux valeurs ne sont pas contradictoires. Il en est de même pour l'égalité et la liberté. Non à la liberté privée de l'égalité et non à l'égalité privée de liberté. Liberté, égalité mais aussi fraternité.