Gaza anéantie, les Européens se défilent
Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 27 octobre 2023

Les femmes, les enfants sont les principales victimes des guerres. Des manifestants le rappellent à Bruxelles lors de la manifestation en faveur de la Palestine le 22 octobre 2023. Reportage photographique © Véronique Vercheval.



Une ado indignée veut comprendre le pourquoi et le comment de la tragédie qui se déroule sous ses yeux, dans l’impuissance généralisée de nos gouvernants, dans la bataille de slogans, de préjugés, de concepts dévoyés qui brouillent la compréhension de ces événements tellement complexes.
Voici ce que je lui envoie, glâné dans les agences des Nations Unies, des articles et reportages de presse européenne et israélienne, des prises de position politique diverses.
- Pourquoi pas un cessez-le-feu ?
L’instance la plus représentative des valeurs de notre monde est l’Organisation des Nations Unies dont le secrétaire général Antonio Guterres appelle sans cesse au cessez-le-feu afin d’entamer des négociations de paix. Il n’est pas écouté, par Israël d’abord ni par les fidèles alliés de cet Etat colonisateur : les Etats-Unis et les pays européens.
Quant à l’Union européenne, il a fallu cinq heures de discussions, de compromissions, de lâchetés pour que les pays européens aboutissent jeudi soir à une très timorée demande de « pauses humanitaires » et de « corridors humanitaires » au lieu d’exiger un cessez-le-feu immédiat et la reprise de négociations enfin sérieuses pour arriver à une solution durable et juste pour les Palestiniens et les Israéliens.
Pendant ce temps, sous les yeux du monde entier, l’aviation israélienne bombarde impitoyablement des milliers de civils palestiniens afin d’« éradiquer » quelques milliers de combattants du Hamas (30.000 selon l’armée israélienne). Le triste comptage effectué par les agences de l’ONU, malgré les pertes (57 employés tués) dans leur personnel resté courageusement sur place, dénombre 7028 Palestiniens tués dont 66 % sont des enfants et des femmes et environ 1600 personnes disparues sous les décombres tandis que près d’un million et demi de survivants sont déplacés dans leur « prison à ciel ouvert » qu’est Gaza. Beaucoup retournent chez eux pour y mourir car il n’y a pas moyen de survivre, sans eau, sans électricité, sans logement et en étant partout soumis aux bombardements aériens ou par les chars israéliens. (1)
Comment en est-on arrivé là ?
A ce sujet, nous donnons la parole à Michel Warschawski, un Israélien, pacifiste, qui, avec son épouse et depuis des décennies, tente de nous expliquer la politique criminelle de gouvernements successifs de son pays, à savoir l’instauration de l’apartheid, l’accentuation de la colonisation, la terreur assénée sans relâche sur les populations palestiniennes enfermées dans des camps de réfugiés, l’emprisonnement sans procès de milliers de civils y compris des mineurs d’âge, le vol systématique des ressources naturelles et notamment l’eau, enjeu vital pour tous les peuples du monde.
Une exception notable fut celle du Premier ministre Yitzakh Rabin, prix Nobel de la Paix 1994 et qui fut assassiné en 1995 par un fanatique juif parce qu’il voulait concrétiser un accord de paix avec le représentant de l’OLP Yasser Arafat (qui reçut lui aussi le Prix Nobel de la Paix et est mort empoisonné sans doute par les forces secrètes israéliennes, en 2004, parce qu’il voulait lui aussi un accord de paix juste et équitable pour les Palestiniens comme pour les Israéliens).
Dans un entretien donné au journal l’Humanité (2), Michel Warschawski explique :
« Il y a une image très pertinente de l’historien juif anglais Isaac Deutscher. Un fugitif est poursuivi par quelqu’un qui le menace avec un couteau. Il rentre dans la première maison venue pour y trouver refuge. Mais au lieu de dire ‘Excusez-moi, dehors je risque ma vie, il faudrait que je reste chez vous pendant un certain temps’, très vite, il se met à repousser les propriétaires de l’entrée vers le séjour, du séjour vers la cuisine, pour finir par les cantonner au débarras. Et à la fin il dit : ‘Ici, cela a toujours été à moi’. »
Le Premier ministre israélien Netanyahou ne s’en est jamais caché : il veut accomplir le projet sioniste du départ : toute la terre palestinienne sera occupée par les Israéliens, les Palestiniens seront chassés vers les pays voisins et notamment la Jordanie. On appelle cela de l’épuration ethnique. La colonisation illégale des terres palestiniennes par des colons juifs radicaux, extrémistes et criminels reproduit ce que des colons européens ont commis en occupant les terres ancestrales des Indiens américains, eux aussi chassés, traqués, parqués dans des réserves où beaucoup sont morts de faim. Et la propagande américaine a fait de ces colons des héros contre les « méchants » indiens…
Pour Israël, les méchants sont les « terroristes » palestiniens. Car la guerre actuelle ne se limite pas à Gaza : Itamar Ben Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, a distribué près de 15 000 armes à des colons, à des civils des villes mixtes et la chasse armée contre les civils, les réfugiés, les agriculteurs palestiniens et les Bédouins s’est accentuée ces derniers jours. depuis le 7 octobre, on dénombre 104 Palestiniens tués dont 31 enfants, par les soldats et par les colons. Il faut lire l’excellent reportage de Louis Imbert dans Le Monde pour comprendre que le terrorisme est le fait de ces colons armés soutenus par les soldats de l’armée israélienne. (3)
Oui, mais… Le Hamas : des terroristes ou des combattants ?
La plupart des médias occidentaux reprennent aveuglément le terme de « terroriste » pour qualifier les combattants du Hamas, sans réfléchir à ce que cela signifie. Sauf la BBC qui considère que ce n’est pas son job de qualifier un groupe ou l’autre de terroriste mais de rapporter des faits vérifiés et recoupés. Ce qui est le rôle fondamental - mais parfois oublié - de tout journaliste qui se respecte. (4)
Dans un article très didactique, Hélène Combis de Radio-France (5) explique que le nom Hamas est l'acronyme arabe de "Mouvement de la résistance islamique". Elle interroge le spécialiste du monde arabe et professeur au Collège de France, l'historien Henry Laurens. Celui-ci souligne la parenté de ce mouvement, apparu en 1988, avec le Hezbollah, qui utilise aussi le terme de "résistance islamique" : "Il est d'abord né dans l'expérience libanaise, et ensuite dans l'expérience palestinienne. C'est un mouvement nationaliste, il ne se bat pas et ne commet pas d'attentats à l'extérieur de la frontière. D'autre part, il a une idéologie sunnite, c'est un rejeton des Frères musulmans qui a pris cette forme-là lors de la première Intifada."
L’article se poursuit avec les explications du spécialiste du droit international François Dubuisson, enseignant-chercheur à l'Université libre de Bruxelles (ULB) selon lequel cette doctrine fondée sur la charia distingue le Hamas du mouvement laïc du Fatah, fondé en 1959 par Yasser Arafat notamment, qui s'inscrivait plutôt dans le panarabisme et la gauche anti-impérialiste : "Le Hamas est un mouvement qui a assez rapidement mis au centre de ses actions à la fois la lutte armée et les actions terroristes à partir du milieu des années 1990, en particulier pour lutter contre le processus d'Oslo qu'il récusait totalement."
Hélène Combis poursuit : « Pour donner au conflit colonial le visage d'une guerre de religion et "contrecarrer la création d'un état palestinien", Benyamin Nétanyahou aurait favorisé le Hamas au détriment du Fatah, comme l'explique la journaliste Lahav Harkov dans un article de mars 2019 du Jerusalem Post cité par Libération. Un article rendant compte d'une réunion entre Netanyahu et des parlementaires de son parti : "le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, a défendu le fait qu’Israël autorise régulièrement le transfert de fonds qataris vers Gaza, en affirmant que cela fait partie d’une stratégie plus large visant à maintenir la séparation entre le Hamas et l’Autorité palestinienne." »
Rappelons en effet la manière dont Israël a renforcé le Hamas à Gaza en y reléguant le Frère musulman Ahmed Yassine, tétraplégique et presqu’aveugle mais au charisme évident, fondateur du Hamas en 1987. Il était évident que ce mouvement islamiste allait affaiblir l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat qui avait reconnu l’État d’israël dans les frontières fixées par les Nations Unies. Ce que le Hamas rejetait avec force.
Qui fait respecter le droit ?
L’histoire de Gaza, ainsi contrôlée par les Israéliens, ne pouvait plus que s’écrire dans le sang. La guerre actuelle que la puissance occupante veut définitive est la sixième offensive menée contre cette enclave pourtant sous contrôle quasi total des Israéliens. Il y a eu la Guerre de Gaza de 2008-2009 (opération Plomb durci) , celle de 2012 (opération Pilier de défense) , en 2014 (opération Bordure protectrice), la Crise israélo-palestinienne de 2021 et les affrontements de mai 2023 (opération Bouclier et Flèche) suivis de la guerre actuelle, infiniment plus meurtrière de part et d’autre.
Et chaque fois, les Nations Unies ont été bloquées dans leurs efforts de paix principalement par les Etats-Unis, membre du Conseil de sécurité et protecteur d’Israël. Et chaque fois, l’Union européenne a privilégié ses bons rapports stratégiques et commerciaux avec Israël au détriment du respect des droits humains les plus élémentaires et du droit international qui s’impose à tous.
A notre chère ado indignée, il y aurait encore beaucoup à dire et à expliquer. Continuons à nous informer. Il ne faut pas désespérer. Et surtout, bougeons-nous car il y a urgence. Il faut obtenir un cessez-le-feu immédiat. Voici quelques pistes d’action.
Pour faire respecter le droit, il nous reste la force citoyenne : le mouvement BDS (boycott, désinvestissement, sanction) porté par la société civile, vise à faire plier les soutiens à Israël et à sa politique criminelle. Cela s’est répandu dans le monde et plus particulièrement aux Etats-Unis. (6)
Il y a les manifestations de citoyens solidaires du peuple palestinien.
Il y a les pétitions, les interpellations des dirigeants de nos pays.
Il y a les soutiens à donner aux organisations comme Amnesty International, Human Rights Watch, aux associations de solidarité comme l’ABP (Association belgo-palestinienne) ou, pour la France: Association France Palestine Solidarité, entre autres.
Il y a enfin l’accueil des réfugiés palestiniens, afin de démontrer que, pour nous, citoyens, la Déclaration Universelle des Droits Humains est bien le socle commun de l’humanité.
Pour bien comprendre cela, écoutez cette émission de Médiapart et particulièrement l'intervention d'Edwyn Plenel, à la fin:
https://www.youtube.com/watch?v=kZUTBEbZ8Qg
1. https://www.unocha.org/news/todays-top-news-occupied-palestinian-territory-sudan
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