semaine 48

Regards jeunes sur les droits humains

Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 23 octobre 2023

Le drame des migrants illustré par Laïcité et Humanisme en Afrique Centrale. Reportage photo © Véronique Vercheval

Hady Salomé-Dahan

Les Ambassadeurs de l'expression citoyenne.

Les élèves de l’Académie des Arts de la Ville de Bruxelles.

Les jeunes de Dynamo commentent leur vidéo.

HK chante "Indignez-vous!".

Musta Largo et André Reinitz chantent la paix en arabe et en hébreu.

(...)

« Ce qui était vrai autrefois est aujourd’hui mensonge.

Tout n’est qu’épreuves et difficultés.

Je suis consternée par les lois d’aujourd’hui.

Je suis très confuse. »

(…)

Chanteuse de rue chilienne, Babela évoquait ainsi l’émouvante Violeta Parra qui a fait connaître au monde entier la musique populaire chilienne. Cette chanson « Plus les années passent », illustre bien le désarroi qui envahit nos esprits en ces temps de guerres et de massacres de populations civiles non armées. Qu’il s’agisse d’Ukrainiens, de Palestiniens, d’Israéliens, de Congolais de l’Est de la RDC, de Yéménites, d’Irakien, de Syriens…

Et pourtant, il nous reste cette « boussole » morale qu’est la Déclaration universelle des Droits humains (DUDH) dont nous célébrons le 75e anniversaire. Une boussole éclairée par Stéphane Hessel, ambassadeur de France rescapé des camps de concentration nazis, résistant, collaborateur de ceux qui ont élaboré la DUDH sur les cendres de la deuxième guerre mondiale et de l'incommensurable génocide des Juifs. Stéphane Hessel, décédé il y a dix ans, avait réveillé les consciences notamment des plus jeunes avec son fameux livret « Indignez-vous », suivi de l’indispensable « Engagez-vous ! ».

Cet appel à s’engager a été lancé à des jeunes Belges par l’association Forum Nord Sud pour un Contrat de Générations. C’est par la chanson « Indignez-vous ! » que le chanteur, rappeur et romancier Kaddour Hadadi (HK) lança l’événement, en hommage à Stéphane Hessel, à la grande émotion de son épouse, Christiane, venue témoigner de leur long combat pour les droits humains. Quant à la prestation chorégraphique des jeunes chiliens Gonzalo et Florencia Rojas, elle nous dessinait avec joie et grâce l'égalité entre hommes et femmes.

Slam, théâtre, vidéo et poésie

Le défi a été brillamment relevé : ce vendredi 20 octobre, le Palais des Académies accueillait Hady-Salomé Dahan, jeune artiste pluridisciplinaire en slam, performance et divers arts visuels. Sans ménagement, mais avec le sourire, elle nous a renvoyés à nos perversités coloniales et aux imaginaires africains et afrodescendants, aux mixités culturelles, à la représentation de nos corps par nous-mêmes et les autres. C’est avec ce regard qu’elle nous a détaillé le non-respect des droits humains.

Un réquisitoire implacable qui a été illustré ensuite par un projet visuel de Laïcité et Humanisme en Afrique Centrale (LHAC) sous forme de tableau vivant autour du symbole d’une barque chavirée. L’insupportable tableau du drame de la migration par la Méditerranée et le sinistre bilan de 2500 hommes, femmes et enfants morts ou disparus en 2023. Un tableau qui montre à quel point les articles 3, 13 et 14 de la DUDH sont bafoués : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » ; « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. » ; « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. ».

C’est ce même article 13 que l’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome avait sélectionné comme thème de son message vidéo à l’assemblée tout en nous encourageant à porter partout ces droits humains, les défendre, les promouvoir et pourquoi pas, les améliorer.

La poésie, ce mode littéraire que Stéphane Hessel aimait tellement, au point d’illustrer la plupart de ses interventions de poèmes d’auteurs divers (avec une préférence pour Apollinaire), a été choisie par des élèves de l’Académie des Arts de la Ville de Bruxelles. Ils nous ont déclamé, d’affilée, « La réalité bleue du serpent », une fable qu’ils ont écrite sur les ressentis des jeunes d’aujourd’hui face au monde qu’on leur propose.

Dynamo, association qui s’occupe des jeunes de la rue, présentait le travail vidéo de jeunes décryptant des questions telles le vote des jeunes, l’égalité des genres, le féminisme en Corée du sud, l’occupation en Palestine. Ils ont été suivis par « Les Ambassadeurs de l’expression citoyenne », des jeunes déjà bien formés aux débats citoyens dans des associations, des écoles, des groupes et des événements divers concernant les jeunes, mais pas que : l’évolution de la société, les injustices, le conflit israélo-palestinien, etc. Leur discours slamé était bien celui d’ambassadeurs transmettant un message ferme pour le rétablissement de la justice et des droits universels. Percutants ! Un de ces ambassadeurs s’est d’ailleurs exprimé dimanche 22 octobre sur le podium dressé au Rond-point Schuman, devant près de 40.000 personnes venues clamer leur solidarité et la justice pour le peuple de Gaza, écrasé par les bombes. Il démontrait, comme les autres « artivistes » venus au Palais des Académies, que les citoyens, quel que soit leur âge, sont unis autour des valeurs morales contenues dans la DUDH, un texte certes perfectible, mais qui devrait avant tout être respecté par les pouvoirs politiques et économiques qui dominent et tuent notre monde.

Paroles de sages pas toujours sages

Ils étaient quatre « sages » à répondre à ces réquisitoires et suggestions des jeunes. Deux femmes, deux hommes incarnant de longs combats pour les valeurs morales contenues dans la DUDH.

Christiane Hessel, veuve de Stéphane, souligna avec émotion que « la culture politique doit être plus encore enseignée aux jeunes. Car c’est au travers de la culture que l’on découvre les valeurs. » Ajoutant : « Il faut revenir à la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’enseigner aux enfants, car tout est contenu là-dedans ! ».
Une injonction qui rejoignait parfaitement la politique de la ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir venue soutenir cette rencontre et expliquer comment elle entend renforcer l’apprentissage à la citoyenneté et aux droits humains pour les enfants et les jeunes.

Françoise Tulkens, magistrate et qui fut vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’Homme, s’est dite bouleversée par le drame des migrants : « Lampedusa est le symbole de la dérive morale du continent européen. » « Les jeunes nous disent ce qu’il faut faire : s’engager, se révolter pour défendre les droits humains. » « Lorsque fut élaborée la DUDH, le monde se réveillait de l’horreur. A présent, il faut en effet ajouter d’autres droits, mais ne pas oublier son caractère universel, car il s’agit bien des droits de tous. La DUDH est en quelque sorte le premier chameau de la caravane. Après lui, il y a eu les droits des peuples, les droits des Africains, les droits des Européens… Le problème est que tout cela n’est pas appliqué. C’est cela la mort de la démocratie et de l’État de droit, sauf si on continue à s’indigner, à résister. » (…) « Voyez les droits des femmes. Ils semblent acquis et pourtant, l’égalité n’est pas inscrite dans la Constitution, voyez le sort très pénible des femmes emprisonnées, les violences de genre dans l’enseignement supérieur, etc. » « Elle conclut : « Le droit est un moyen pour une vie bonne. Cette Déclaration est vivante. Il faut avancer, agir plus que jamais et rendre confiance dans ce qu’il y a de meilleur. »

Riccardo Petrella, président de l’Agora des Habitants de la Terre, dénonce avec une verve toute italienne la « spoliation de l’avenir » : « Les dominants détiennent l’âme, l’esprit de la vie. On nous a volé les droits ; les dominants sont des prédateurs, ils ne veulent rien changer, car ils croient qu’ils vont s’en tirer. Nous ne pouvons pas rester modérés dans notre indignation. L'Union européenne et les autres veulent nous faire croire que la technologie, la digitalisation, les biotechnologies vont nous sauver. Ce sont des menteurs, des mystificateurs. L’humanité a traversé des crises, elle est ressuscitée. Elle crée ses propres bactéries qui détruisent la méchanceté du système. Il faut cesser de pérorer sur les droits. On sait où se trouvent les causes : ce sont les gouvernements, les entreprises multinationales, le système dominant contre lequel il faut lutter, lutter, lutter ! »

Alexis Deswaef, avocat et vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme, propose, plutôt qu’une réécriture de la DUDH qui ne mettra jamais tout le monde d’accord, un complément : « les droits du futur » : le droit à la vérité, le droit de la fraternité, le droit de la biodiversité… Car le combat n’est jamais gagné. Exemple : en Belgique avec l’enfermement des enfants étrangers, interdit et puis qu’on menace de ré-autoriser. Voyez aussi les visites domiciliaires, le droit à l’avortement remis en cause… Pendant que s’ouvre en Belgique un nouveau procès pour génocide au Rwanda, un autre génocide se déroule à Gaza sans que la communauté internationale n’y mette fin. Comme cela s’est passé au Rwanda. « Oui, la DUDH et les autres conventions internationales sont une belle boîte à outils… Mais elle est mise de côté. Actuellement en Belgique, des migrants sont expulsés de bâtiments vides qu’ils occupent faute de logements décents et l’État belge se revendique de ne pas respecter la loi. Les droits humains ne s’usent que lorsqu’on ne les utilise pas ! »

La paix, en arabe et en hébreu

Entre les différents actes de ces prestations et prises de parole, la musique à l’accordéon et au piano d’André Reinitz alternait avec les contes magiques de Musta Largo. Ils nous ont offert un magnifique symbole : une chanson pour la paix, interprétée en arabe et en hébreu. Signe fort que l’entente entre les peuples et les cultures différentes est possible. Or, les dominants ne le veulent pas et les institutions des Nations Unies, dont c’est la tâche, sont affaiblies par les grandes puissances.

Le message de paix et de justice est entre les mains des jeunes. Le partage enthousiasmant qui a eu lieu au Palais des Académies se poursuit en 2024 par la campagne européenne « All Right’s », lancée par la petite-fille de Stéphane Hessel, Sarah Lecarpentier.

http://enseignement.be/index.php?page=26793&navi=4035

https://ambassadeurs.org/

https://www.revages.fr/

A lire :

« Engagez-vous ! », Stéphane Hessel. Entretiens avec Gilles Vanderpooten . Préface de Christiane Hessel. Illustré par Pascal Lemaître. Ed. De l’Aube. Janvier 2023.

Extrait : « Parmi les engagements vraiment précieux que peut prendre la nouvelle génération, c’est d’agir cette fois pour le développement, en coopération avec les jeunesses des pays pauvres. Les générations de vos parents ont surtout connu la période où l’on essayait de faire des choses, mais sans en avoir les moyens ni la stratégie. Aujourd’hui, j’estime que quelqu’un qui a 25 ans et qui a un contact humain avec des Asiatiques ou des Africains peut trouver le moyen de donner un sens à sa vie en les aidant à surmonter leurs propres difficultés. »

Et : « Ce qui nous indigne actuellement, c’est que la planète va mal, que l’on ne fait pas ce qu’on devrait, qu’on laisse faire. Là aussi, le mot résister peut avoir un sens concret : protester contre l’action des grandes compagnies pétrolières ou contre des gens dont l’action est contraire à la nécessité de prévoir et de combattre ces dégradations. »

 

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