semaine 49
Portrait de Richard Tassart
"Street/Art", le blog de Richard Tassart

C’est pas intéressant !

Le 09 novembre 2023

J’ai souvent, peut-être trop souvent, entendu dans ma tête une petite voix toute fluette qui, alors que je regardais une œuvre de street art, me disait « C’est pas intéressant, passe à autre chose ! »

Un jugement sans appel, péremptoire et définitif qui clôt tout travail d’analyse. L’œuvre est rejetée sans avoir été l’objet d’un examen, quasi spontanément, sans plus d’interrogation sur les raisons du refus d’aller plus avant dans sa découverte.

L’œuvre est condamnée parce qu’elle n’éveille pas l’intérêt du regardeur. Quid de l’intérêt que nous portons ou que nous ne portons pas à une œuvre. Pourquoi ne suis-je pas intéressé par une fresque alors que tant d’autres suscitent mon intérêt ?

Le moyen le plus simple pour apporter quelques éléments de réponse est de prendre un exemple.

J’ai choisi de vous montrer une œuvre de David Duits. La fresque est de grandes dimensions et représente un homme noir assis sur une banquette, qui appuyé contre le coin d’un mur en brique, semble dormir. Il écoute de la musique, des écouteurs sur les oreilles. Il tient sur lui, fort serré, un sac à dos. A ses pieds est posé un sac de voyage. La facture est réaliste.

J’ai écarté sans autre forme de procès cette œuvre sans avoir une claire conscience des raisons de ce refus de voir. Autant que je puisse retrouver le souvenir de ce moment, je crois me souvenir que c’est le caractère ordinaire de la scène qui m’a amené à la « censurer ». De plus, le traitement réaliste de la peinture accentuait sa « banalité ». La fresque était pour moi une copie d’une photographie, par ailleurs médiocre, d’une scène banale, c’est-à-dire, d’une scène réelle que tout un chacun peut être amené à voir dans le train-train de sa vie quotidienne.

A y regarder de plus près, que voit-on ? Un homme seul, exténué par l’errance, qui dans un endroit sordide dort, consolé par l’écoute de la musique. Cet homme modestement vêtu d’un jean et d’un polo sert sur sa poitrine son sac à dos et protège de son corps son sac de voyage pour qu’ils ne soient pas volés par d’autres hommes encore plus pauvres. Il est à parier que ce sont ses seules richesses.

En fait, la fresque raconte une histoire. Une histoire universelle mille fois racontée, celle de ses hommes sans feu ni lieu, qui cherchent à survivre. Un drame. Celui de l’immigration, celui de la misère.

C’est parce que cette scène est « ordinaire », d’une atroce banalité, que j’ai refusé inconsciemment de la voir. Dans un souci de protection.

L’exemple de l’œuvre de Duits illustre un des mécanismes inconscients qui sont à l’œuvre quand nous observons une œuvre.

Plus que sur la forme de l’œuvre, notre perception génère une construction de la signification, signification qui ne passe pas par les mots de la langue. En fonction de ce qu’il convient d’appeler le « fond », du sens de l’œuvre, nous faisons un choix : nous acceptons de regarder l’ « œuvre » en face ou nous l’écartons pour des raisons qui ont tout à voir avec notre sensibilité, notre culture, nos expériences de vie.

Méfions-nous, en conclusion, de l’immédiateté de nos émotions. Derrière ce qui nous apparait comme s’imposer à nous avec la clarté de l’évidence, il y a, bien cachés, des choix qui parlent de ce que nous sommes profondément. Nos choix, surtout ceux qui sont inconscients, nous révèlent et, en ce sens, les œuvres d’art sont de puissants révélateurs de notre personnalité.

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