semaine 38
Portrait de Richard Tassart
"Street/Art", le blog de Richard Tassart

Virginia Bersabé, jeu de mains.

Le 05 septembre 2023

La première exposition à Paris de la plasticienne espagnole Virginia Bersabé à la galerie PDP fin mars 2023 avait éveillé mon intérêt par cette jeune artiste. Intérêt décuplé par la récente réalisation d’une fresque magistrale sur le mur du Carré de Baudouin dans le XXe arrondissement de Paris.

Virginia Bersabé a choisi de casser la continuité du très long mur du Carré de Baudouin. Elle a peint deux scènes différentes mais déclinant le même thème.

La première, située à droite du mur représente trois personnages attablés autour d’une tasse à café. De manière non conventionnelle, le cadre fait l’économie des visages et se resserre sur les bras et les mains. Trois femmes que le regardeur imagine âgées sont assises autour d’une table.

Les postures des trois personnages sont différentes : une seule main de la femme de couleur est posée sur la table près d’une tasse à café vide ; la femme à la robe bleue assise au milieu de la composition croise les bras ; la femme au gilet rouge étend ses bras sur la table. Le décor évoque une modeste salle à manger : une toile cirée recouvre la table ; on devine des plantes vertes.

Une lecture s’impose. Deux dames âgées de milieu modeste reçoivent dans leur salle à manger une amie. Après voir bu le café offert, les trois amies discutent de choses et d’autres.

Une scène, certains diraient banale, marquée par la sérénité et le partage.

Sur la partie gauche du mur, l’artiste a peint un portrait tronqué d’une vieille femme. Le cadre se focalise sur le haut du corps, les bras et les mains. Le personnage semble porter une blouse recouverte d’un tablier. Une blouse de cuisine violette protégée par un tablier à carreaux écru. La dame tient dans une main une boite de conserve, semble-t-il. L’attention du regardeur se porte sur les mains du personnage. Elles révèlent l’âge de la dame et son milieu social. Ses mains, dirons-nous, ont beaucoup travaillé. Elles portent les stigmates d’une vie de labeur. Les doigts sont déformés par l’arthrose. Pas de montre, pas de bijoux. La scène pourrait se dérouler dans une cuisine dont on voit en arrière-plan la géométrie de carreaux de faïence. Une femme sort d’un placard une boite de conserve qu’elle se propose d’offrir à l’invité invisible qui lui fait face.

 

Si les deux scènes ne sont pas reliées graphiquement, elles le sont thématiquement. Deux scènes de la vie quotidienne la plus triviale représentant des femmes âgées chez elles. Deux lieux distincts, une cuisine et une salle à manger. Un même milieu social. Des « travaux et des jours » ordinaires pour des femmes du peuple. Un fil rouge, le partage.

Si le message est porté par de nombreux signes, les mains des personnages sont les éléments centraux du sous-texte.

Regardons-les de plus près. La forme des doigts, la couleur de la peau, les ongles, témoignent non seulement du vieillissement mais aussi de l’usure provoquée par des décennies de travail manuel. Des « absences » sont significatives ; aucun personnage ne porte de montre ni de bijoux. Les ongles n’ont pas été l’objet de soins esthétiques. Bref, des mains abimées par le temps et le travail.

D’une certaine manière, le « portrait » des mains se substitue à la représentation des visages. Il n’est nul besoin de personnaliser davantage les acteurs des deux scènes ; leurs mains résument leurs vies passées et leur condition sociale.

Virginia Bersabé se présente davantage comme une plasticienne que comme une artiste-peintre. J’y vois le souci de rompre avec les formes académiques de la peinture, le portrait, la scène de genre, la nature morte etc.

Elle nous donne à voir, non pas le cadre attendu, mais le hors-cadre. Dans une scène de genre classique, nous nous attendons à voir une représentation des visages des protagonistes, ici le cadre est décentré et nous voyons leurs mains. Et cette peinture des mains nous émeut car nous comprenons les signes.

Il y a dans l’œuvre de Virginia Bersabé une rupture par rapport à une histoire de la peinture, une démarche elliptique d’une évidente subtilité et une dimension sociale.

Photographies ©RichardTassart.

Image: 

Mots-clés

entreleslignes.be ®2023 designed by TWINN Abonnez-vous !