Pour fêter les 10 ans d’Ourcq Living colors, son fondateur, Da Cruz, a invité des amis street artists à peindre rue Germaine Taillefer. Parmi les bons amis de Da Cruz, Marko93, dont nous avons, dans ces colonnes, commenté trois œuvres : sa Frida 1 et 2 de la rue de l’Ourcq et les félins peints sur les vitres du ministère de la Culture dans le cadre de l’exposition Oxymores.
Marko propose une fresque atypique et innovante. Elle couvre une grande surface du mur ; environ 5 mètres de haut (soit la hauteur du mur) sur plus de 20 mètres de large. Elle représente deux singes. Soyons précis deux bonobos. Pour les commodités du propos (et parce que ça m’amuse), je les appellerai Bono, le singe punk et Obo, le singe au sabre laser. Deux bonobos très différents : Bono est coiffé d’une iroquoise rouge, Obo a la tête ceinte d’un fil de fer barbelé. Les deux compères entretiennent des relations de sens. Elles tiennent à la situation : Bono montrant son front désigne aux spectateurs Obo comme un peu fou. Il est vrai que le fil de fer barbelé entoure sa tête lui entaillant la peau. Dans sa main droite, la seule visible, il tient, tel DarkVador, un « sabre laser » (dont la hauteur du mur limite la longueur de la lame ! ). Obo est un singe noir dont la tête est plus claire. Quant à Bono, le bonobo punk, un peu noir, il est noir, comme tous les bonobos, mais aussi et surtout, bleu, rouge écarlate, orange, jaune, bleu ciel, et fluo. Sacrément fluo ! Je crois que toutes les couleurs fluo vendues dans le commerce sont présentes. Peu de traits communs : la forme des « visages » est différente, la taille, la posture, les couleurs. Bref, deux singes que tout oppose, le plus fou n’étant pas peut-être celui qu’on croit.
Si les enfants découvrant la fresque voient des singes, nous voyons deux personnages, « humains, trop humains ». Bono, nous le connaissons, il est déjà apparu dans le travail de Marko. Il était alors seul et sa coiffure arrachait des sourires. Va pour l’iroquoise ! Mais rouge pétant, portée fièrement par un gros mâle, c’est drôle. Obo fait ici son apparition dans l’œuvre de Marko. Le fils de fer barbelé renvoie à la couronne d’épines de Jésus montant au Golgotha. Le sabre laser et la posture de DarkVador sont une référence explicite à Marko lui-même qui se représente comme l’avatar de l’empereur du côté obscur de la Force, armé de son sabre de lumière.
Les interprétations restent ouvertes. Pourtant Marko, sur la gauche de sa fresque, fournit une piste en peignant en rouge : « Art is not dead ». Suivons cette piste, avec précaution ! La fantaisie qui amène un peintre à affubler un singe d’une iroquoise rouge et un singe christique est-elle une démonstration de la puissance de l’art ? Dans cette hypothèse, la fresque serait une défense et illustration de la force de l’art capable de générer des images « qui n’existent pas » (« Et pourquoi pas », aurait dit Desnos). Somme toute, est-il étonnant qu’un artiste ait un avis sur l’art ?
J’en resterai, quant à moi, à cette lecture (autorisant cela va de soi, le lecteur à avoir une interprétation différente). La référence « gênante » est la couronne d’épines. Il convient de pondérer son importance : des plaies s’écoulent de superbes coulures aux « jolies »couleurs (jaune pâle, rose, bleu ciel). A la limite, pour les esprits compliqués (comme le mien), on peut remarquer que du barbelé blanc s’écoule des couleurs tendres, et non du « sang ». Magie de l’art qui peut transformer le martyre de Jésus en fête colorée.
Dans cette fresque, Marko réinvestit des techniques qu’il maîtrise depuis plusieurs mois et inaugure les petits calligraphes. Dans mes précédents billets, j’ai déjà évoqué l’utilisation des « calligraphes ». Ces formes décoratives, dérivées de l’alphabet arabe, sont utilisées ici de deux manières différentes : avec une buse large pour colorer les fonds, superposés aux calligraphes de fond, de très fins calligraphes aux formes moins calquées sur celles de l’écriture. Ces délicats et subtils entrelacs, couleur fluo, sont utilisés comme des rehauts.
Marko avance sans rien oublier. Dans sa boite à outils, il garde sa capacité de représentation réaliste, les calligraphes de fond, les coulures. Il ajoute des ornementations originales, comme de médiévales enluminures.