Musiciens : silence, on tue !
Journaliste punk par Yves Kengen, le 29 octobre 2019

Voici la bête. On notera le look électroménager et la mise en scène délicieusement rétro…
C’est vrai que pour les musiciens, il y avait au moins une bonne nouvelle : les ventes de disques vinyle venaient compenser un peu la descente aux enfers du CD et de la musique payante, si l’on excepte les revenus riquiqui des plates-formes numériques genre Spotify ou Deezer – des clopinettes[1].
Le disque à l’ancienne est redevenu fashion, avec sa taille respectable offrant à la fois la surface nécessaire à un artwork de qualité et le son analogique, considéré par beaucoup comme tellement plus chaleureux et riche en harmoniques naturelles que le support numérique (stupidement appelé digital).
N’achetez plus de disques !
Las ! la joie sera de courte durée puisque, nous apprend «Le Soir» du samedi 26 octobre, on pourra bientôt «Graver ses vinyles chez soi au lieu de les acheter». Dites donc, voilà une nouvelle qu’elle est bonne ! Et le journaliste Frédéric Delepierre de s’esbaudir, sur ¾ de page, devant ce nouveau «progrès» technique, l’évocation du sort des créateurs trouvant refuge dans un encadré où la notion de droit d’auteur brille par son absence. Bravo l’artiste ! Le titre lui-même est une incitation au piratage – fallait-il vraiment ajouter «au lieu de les acheter» ?
Une telle annonce a pour effet de banaliser la gratuité de la musique –une gratuité toute relative, puisque pour pouvoir reproduire des œuvres sur son petit graveur domestique, l’amateur devra quand même débourser de 1000 à 3000 euros ; un montant qui profitera aux firmes technologiques et échappera, bien entendu, aux musiciens créateurs. Si l’on continue d’acheter des livres et de l’art plastique, il est devenu communément admis que la musique est désormais gratuite, offerte par pure bonté d’âme au bon peuple par les musiciens devenus philanthropes - contraints et forcés. Jusqu’au jour où ils en auront marre d’être pris pour des pommes.
Au bonheur des pirates
Soyons de bon compte : l’encadré mentionné supra précise que l’appareil miraculeux «devrait, à priori, séduire des artistes désireux d’immortaliser leur propre musique sur vinyle». Une phrase qu’on croirait sortie tout droit du dossier de presse du fabricant, soucieux de se dédouaner, tant on imagine assez mal l’intérêt qu’auraient les artistes musiciens à effectuer ce genre d’opération. Et, si c’était le cas, pourquoi préciser, dans le titre du papier, «au lieu de les acheter» ? Hum… On ne peut décidément pas penser à tout.
À l’inverse, on conçoit parfaitement à qui l’appareil en question va profiter : aux pirates qui trouveront, dans le «Phonocut» (c’est le nom du bouzin), un outil idéal pour inonder le marché de vinyles produits sans passer par la case Sabam – celle qui fait que les droits d’auteur seront payés aux créateurs.
Il ne reste plus qu’à espérer que ladite Sabam – dont le support accordé aux artistes est souvent discuté – voudra bien s’emparer du dossier et trouvera le moyen de remettre cette épatante avancée technologique sur les rails de la stricte légalité. Après tout, ce sont aussi ses propres revenus que la célèbre coopérative voit mis en péril…
Allez, encore bravo, et merci.
[1] Un million d’écoutes sur Spotify = 500 $
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