Angelo Galvan, le Renard du Bois du Cazier par Marcel Leroy

Libres propos

Par | Journaliste |
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La couverture du livre

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Lecture 3 min.

Les rituels du souvenir qui accompagnent la mémoire vitrifiée des grandes tragédies apparaissent souvent comme la musique de l’oubli.

La catastrophe du Bois du Cazier et ses 262 victimes échappent à cet ensevelissement mémoriel. Marcel Leroy n’est pas pour rien dans la survie de ce moment dramatique qui raconte une époque, celle des mineurs de fond, un monde où la solidarité semblait indissociable de la condition ouvrière. 

Le chemin qu’emprunte Marcel Leroy pour nous conduire dans la nuit du 8 août 1956 sur les hauteurs de Marcinelle jusqu’au charbonnage du Bois du Cazier est celui de ses propres souvenirs, de son passé, des liens qu’il a tissés avec les paysages, avec les hommes qui peuplent une région à laquelle il est lié comme elle lui appartient. C’est autant l’enfant de Gilly, le fils du médecin des mineurs qui nous raconte ce monde que le journaliste qui a recueilli les propos d’Angelo Galvan, ce chef-porion, qui arracha quelques survivants à l’enfer et remonta tant de morts du ventre brûlant de la mine. 

Lorsque durant l’hiver 1985-1986, Marcel Leroy se rend chaque dimanche auprès de Galvan, ce ne sont pas seulement des images tragiques que fait surgir le « Renard du bois du Cazier » mais aussi des souvenirs fraternels, un univers où son salut dépend des autres où l’on porte la responsabilité de la sécurité de ses compagnons. La couleur de ce monde là éclaire ce livre qui n’est pas seulement la recension d’une tragédie, mais surtout l’évocation d’une vie, d’une époque qui palpite dans ce récit. 

Les cahiers manuscrits que Galvan confia à Marcel Leroy trouvent enfin la lumière et témoignent pour l’histoire. La précision factuelle de ce journal de bord, dans sa sécheresse même, rend toute l’ampleur du drame. Ce que Marcel Leroy apporte c’est le quotidien de ce temps, l’image de visages oubliés qui s’imposent avec netteté. Cette humanité revient de l’ombre en pleine lumière, la mémoire réincarnée du peuple des mines, du charbon apparaît si vivante qu’elle nous bouleverse. La catastrophe du Bois du Cazier n’a pas encore pris place dans le sinistre registre des grandes tragédies, dans ce livre elle palpite encore. 

Extrait :

« En ce deuxième jour, le sauveteur fut confronté aux yeux grands ouverts des morts dont le corps avait doublé de volume. Avec Calicis, ils descendirent à 835 mètres, où subsistait un petit passage. Ils distinguèrent des chevaux, des chats et des souris, morts comme tous les humains dans ce lieu déserté par la vie. A genoux, mains devant lui pour sonder l’obscurité, à tâtons dans la nuit, Angelo au premier aiguillage, comprit qu’il touchait les cheveux d’un mort et eut un mouvement de recul. Il prit la main du cadavre et lut son matricule : 650. Le 188 était à ses côtés. Ils remontèrent puis redescendirent, comptant les victimes. A l’étage 907, le puits brûlait.

A ce moment de son  récit, Angelo me dit qu’il lui était arrivé de voir des marguerites empoisonnées par le charbon, ainsi que des arbres entiers dont on distinguait les feuilles. Qu’il avait eu la vision de ces hommes devenir pareils à ces fossiles. »

Angelo Galvan, le Renard du Bois du Cazier, par Marcel Leroy. Luc Pire édition.

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