« Chez toi, je suis un humain »

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Serge Noël, "la Belgique est devenue un laboratoire de techniques pour freiner les migrations." Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Des photos, comme autant de fragments d’humanité, comme autant de lumières qui éclairent d’innombrables actes de solidarité envers celles et ceux qui ont fui la guerre, la torture, la misère, les agressions racistes, sexistes.

Des photos qui nous transmettent les regards de ces enfants, de ces femmes, de ces hommes prisonniers dans le « flipper migratoire », piège atroce tendu par nos gouvernements aux migrants, qu’ils soient demandeurs d’asile ou piégés par l’extrême pauvreté.

Deux photographes ont arpenté le parc Maximilien, afin de témoigner et ainsi apporter leur aide à la formidable mobilisation de plus de 40.000 personnes qui s’activent dans les réseaux de la plate-forme citoyenne de soutien aux réfugiés. Ceux qui ont choisi de sortir de leur confort pour accueillir, loger, transporter, nourrir, vêtir, soigner ceux qui ont tout perdu. Ceux qui donnent des aides juridiques, médicales, technologiques (on demande instamment des smartphones, devenus indispensables pour relier les familles, les amis de ces migrants).

Vincent Verhaeren qui a connu de nombreux drames humains et de nombreux camps de réfugiés dans le monde, rappelle comment les « sans papiers » de Bruxelles ont accueilli les réfugiés pendant que les citoyens collectaient des tentes, des vêtements, des objets de toilette, de la nourriture pour pallier le manque d’accueil de l’Etat belge, dans ce parc Maximilien devenu un symbole poignant. Celui du combat de la vie face à la froideur administrative de l’Office des étrangers.

Jean-Frédéric Hanssens capte le sourire d’un enfant derrière les grilles, le contraste entre une publicité pour Actiris et l’errance, les cours de français improvisés par les bénévoles, les panneaux « refugees welcome », « demain sera métissé ou ne sera pas » et ces corps enveloppés tant bien que mal, à même le trottoir, sous la pluie et dans le froid. Espoir, désespoir…

Ces photos ont été exposées durant cette soirée-débat à la Maison de la Laïcité de Wavre, à l’initiative de l’asbl Play Again, présidée par Josiane Wolff, également Présidente de Laïcité Brabant wallon. Expositions et conférences-débats participent à la promotion des valeurs de laïcité, solidarité et fraternité pour lesquelles l’asbl se mobilise à travers l’expression artistique sous toutes ses formes. L'exposition et un nouveau débat sont programés durant le mois de janvier 2019 à Bruxelles.

Un programme bien illustré par la projection d’un petit film réalisé par des élèves du lycée Emile Jacqmain à Bruxelles, mettant en scène le drame vécu par un réfugié soudanais victime des mafieux esclavagistes alors qu’il fuit son village où sa famille a été massacrée. Les jeunes retracent ainsi son périple jusqu’en Belgique en passant par la Grèce. Une initiative d’une classe qui illustre ainsi la nécessité de faire respecter la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, 70 ans après sa proclamation.

Lors du débat lancé lors du vernissage de cette exposition, Serge Noël, poète et romancier, membre de SOS Migrants et actif dans le « JSP, journal des sans papiers » dont il anime les ateliers d’écriture traça les contours de ce drame : « on estime à 150.000 le nombre de femmes, d’enfants, d’hommes sans papiers, clandestins en Belgique. Peu ont accès aux soins de santé, sauf ceux qui ont la chance d’accéder à un CPAS et de disposer d’une carte médicale, mais pendant un mois seulement. Ils n’ont pas accès à des formations sauf par le biais d’associations qui dispensant des cours de langue afin de les aider à obtenir un titre de séjour. Beaucoup travaillent au noir, ce qui signifie que certains risquent leur vie pour 30 € par jour dans des chantiers dangereux. Il s’agit bel et bien d’un esclavage, souligne Serge Noël, ces gens n’ont pas d’accès à la justice, ils devraient pour cela payer 350 € pour l’établissement d’un dossier de régularisation, ce qui est impossible pour la plupart d’entre eux. Et le ministre de la Justice fait payer les avocats pro deo, soit 20 €, ce qui trop pour ces gens qui n’ont rien. »

Selon Serge Noël, la Belgique est devenue un laboratoire de techniques pour freiner les migrations. Ainsi, le secrétaire d’Etat Theo Francken ferme des places en centres d’accueil ouverts et privatise leur gestion assurée par des sociétés comme G4S dont on ne peut pas dire qu’elles soient exemplaires en matière de protection des droits humains. Pendant ce temps, il double les places en centres fermés. « Le gouvernement ne peut pas expulser 150.000 personnes mais il médiatise largement les expulsions de trafiquants de drogue, les acteurs de trafics divers histoire de faire peur, d’alimenter l’anxiété des Belges par rapport à ces étrangers. Pour contrer cela, nous avons créé le Journal des sans papiers » dans lequel on peut trouver beaucoup de témoignages positifs d’accueil de sans papiers par la population belge, dans des villages comme dans des grandes villes. »

C’est grâce à ce type de mobilisation citoyenne qu’en 2009, l’Union des sans papiers et des migrants avait obtenu une loi de régularisation et vu les premières expériences de migrants auto organisés et l’émergence d’une coordination des sans papiers de Belgique.

Mais la situation s’est aggravée à cause des guerres au Moyen-Orient et en Afrique accompagnée d’extrême pauvreté dans certaines zones africaines. Une régularisation de masse est impensable avec le gouvernement que nous subissons. « Il faut imaginer la vie angoissante que vivent les sans papiers, expulsés régulièrement de bâtiments insalubres qu’ils squattent, risquant sans cesse d’être appréhendés lors d’un contrôle en tram, en train et d’être ensuite expulsés, clandestins sans possibilité de soins de santé. », explique Serge Noël. Et, depuis octobre 2017, une loi fédérale vise à criminaliser les squatters. Heureusement, contre cela 65 communes se sont déclarées « communes hospitalières ».

Pendant que le combat politique se poursuit sur le terrain communal, des citoyens se sont engagés pour aider les migrants. Ils témoignent comme cette mère de trois enfants qui a déjà accueilli près de 400 migrants, des jeunes surtout, « des gamins comme mon fils de 15 ans » qui a eu beaucoup de mal à accepter leur présence jusqu’au moment où il s’est rendu compte qu’il s’agissait de jeunes comme lui. Elle raconte la peur de la présence de l’autre, cet étranger avec qui on arrive à peine à communiquer, la confiance qui s’installe, l’épuisement de ces jeunes ballottés d’un pays à l’autre au milieu d’épreuves terribles, les réseaux de solidarité qui fournissent tout ce dont ils ont besoin surtout lorsqu’ils ont perdu leurs maigres biens, jetés à la poubelle lors d’une opération policière, par exemple. Elle raconte le langage du cœur qui s’établit en même temps que l’apprentissage des langues : un peu d’anglais, un peu d’arabe, quelques mots de français. Et ce « gamin » qui, un jour, lui dit : « chez toi, je suis un humain ». Et elle qui précise : « Ils nous rendent notre humanité ».

Semira Adamu, il y a vingt ans

Le 22 septembre, il y aura vingt ans exactement qu’une jeune Nigériane était étouffée par deux policiers belges dans un avion lors d’une tentative d’expulsion. Son crime : elle avait fui son pays afin d’éviter un mariage forcé avec un homme âge, polygame, violent. Elle voulait devenir chanteuse, à Berlin. Mais son parcours passait par la Belgique où elle fut arrêtée et emprisonnée au 127 bis. Au lieu de bénéficier de la liberté, du respect des droits humains les plus élémentaires, elle y trouvera la mort.

« Ils ont tué une femme mais pas son combat », titre JSP, le journal des sans papiers, numéro 7 de septembre-octobre 2018.

http://www.bxlrefugees.be/

www.vincentverhaeren.com

https://fr-fr.facebook.com/jeanfrederic.hanssens, et « pixels mouvants » sur entreleslignes.be

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