Davos : à quoi rêvent les plus riches du monde ?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Tout pour favoriser les consommateurs connectés. Photo © Forum économique mondial, Davos 2017.

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Ils rêvent de la quatrième révolution industrielle, celle du numérique, de responsabilité sociale des entreprises et des gouvernants car le capitalisme mondialisé ne peut connaître de croissance sans progrès sociaux et démocratiques. Ils imaginent les nouvelles entreprises globales car, dans la communauté mondiale interconnectée, tous gagnent ou perdent ensemble.

Voilà, en très résumé, ce que dit Klaus Schwab, le fondateur et président de cette grand messe des « maîtres du monde » dont les débats hyper sécurisés ont lieu à Davos en Suisse.

Un leadership responsable ?

Le thème principal, dit-il, est précisément « responsive and responsible leadership ». Il faut dire que dans le contexte d’échec du capitalisme mondialisé, annoncé par la faillite de la financiarisation de l’économie après 2008 et dont nous ne sommes pas encore sortis, ce point est en effet central. Les big boss des multinationales les plus puissantes du monde cherchent un nouveau modèle de développement qui à la fois leur assure une croissance confortable des dividendes et une paix sociale que la seule robotique ne peut leur apporter. Il y a quand même encore des travailleurs dans la construction, dans la distribution, des paysans, des citoyens créatifs, des secteurs du non-marchand et culturels et autres, qui ne peuvent être remplacés par les robots.

Les leaders du monde s’inquiètent des fausses nouvelles lancées contre eux notamment par les réseaux sociaux. Ils ne précisent pas s’il s’agit de réelles fausses informations ou de contestations de plus en plus argumentées de leurs pratiques déloyales voire criminelles. Ils en appellent à plus de transparence et d’honnêteté dans leurs propres pratiques, comme antidote à ces « désinformations ».

Notons que ces dernières années, la grande bataille menée par les multinationales a été de maintenir le plus opaque possible le secret des affaires, à contrer au maximum les lanceurs d’alertes sur leurs dérives fiscales les plus éhontées, à porter plainte contre des journalistes qui osent révéler les pratiques les plus criminelles ou les plus antisociales des entreprises mondialisée. Et cela avec la complicité de nos leaders européens les plus puissants et de certains juges. L’affaire Luxleaks en est un bel exemple. L’affaire Barroso surtout, qui, en se recyclant chez Goldman Sachs après son mandat de président de la Commission européenne, une banque parmi les plus importants responsables de la crise des subprimes qui a ébranlé le monde, démontre le formidable hiatus qui existe entre les paroles lénifiantes de Davos et la réalité politique. *

On peut craindre que le souhait d’un  leadership de plus en plus interconnecté ne soit pas celui de la démocratie, à savoir du dialogue avec les citoyens et les peuples, mais une connivence de plus en plus étroite entre les riches et les gouvernants. Il est significatif que les documents de Davos insistent sur l’égalité des genres dans l’entreprise mais pas sur la redistribution des richesses, facteur universel d’égalité !

Soulignons dans la foulée le fait que, ces dernières années, les multinationales se battent comme des lions pour éviter toute ingérence du droit international dans leurs affaires, leur préférant les arbitrages privés qui sont en général en leur faveur et la responsabilité volontaire plutôt qu’imposée par la justice. *

A Davos, on parle aussi des « entrepreneurs sociaux » avec quelques merveilleux exemples de personnes qui se sont lancées dans des initiatives sociales remarquables. Magnifique mais il s’agit d’initiative locales qui ne répondent pas à la demande de « justice sociale ».

Intelligences artificielles : nos collaborateurs

Enfin, concernant notre relation avec les « intelligences artificielles », le rôle du leader, selon Davos 2017 devient le suivant : ces IA ne sont pas seulement des outils que nous dirigeons à notre gré mais plutôt des collaborateurs des humains. Cinq millions d’emplois sont directement menacés et d’autres suivront puisqu’il est démontré que de petits ordinateurs peuvent prendre plus rapidement des décisions que les humains. Journalistes, avocats et juristes, médecins, responsables de marketing et autres boulots de la connaissance sont menacés par l’accélération des avancées technologiques des IA.

Que fait le leader du futur ? Il demande à ses ouvriers de montrer lui-même au robot comment effectuer le geste adéquat dont ils seront dispensés dorénavant. Il forme ses employés aux nouvelles technologies plutôt que d’en embaucher d’autres, ils n’en seront que plus loyaux envers leur employeur.

Il faut répondre de plus en plus vite aux demandes des consommateurs de plus en plus exigeants, c’est connu. L’IA peut épauler l’employé en lui offrant sa vaste mémoire et ses moteurs de recherche pour trouver le plus vite et le mieux possible ce qui satisferait les demandes des consommateurs. De plus, les employés, ainsi délivrés des tâches mornes et répétitives, pourraient bien mieux exercer leur créativité et leur esprit critique. Ouf…

Plus loin, on trouve un texte très laudatif sur ces futurs systèmes qui, loin d’exclure les travailleurs, vont créer une économie circulaire, collective et connectée dans laquelle les individus sont plus forts individuellement parce que travaillant collectivement.

Mais on ne dit pas comment on va financer les millions d’humains déclassés parce que pas connectés et ceux qui sont indispensables à notre survie, ceux qui nous nourrissent, par exemple. A l’heure où les notions de revenus universels bruissent dans les discours de campagne électorale, il est bon de rappeler que nos élus et nos gouvernants ont jusqu’à présent échoué à exiger le financement des services sociaux, des écoles et universités (qui pourtant forment et soignent les travailleurs et leaders du futur) par ces très riches spécialistes en évasion fiscale - même légale - toujours immorale.

Il y a encore beaucoup à dire et à réfléchir à propos de ce grand « Barnum » de notre société mondialisée. Voyez vous-mêmes sur leur site. * En attendant, il nous faut rester vigilants car les traités de libre-échange, produits pervers du capitalisme mondialisé d’hier, sont toujours sur la table, prêts à être signés pour le plus grand bénéfice des plus riches du monde.

Ce qu’exigent les plus pauvres du monde

Les notables rassemblés à Davos prennent certainement connaissance du rapport d’Oxfam dénonçant les inégalités croissantes dans ce monde de l’économie mondialisée : https://www.oxfam.org/fr/rapports/une-economie-au-service-des-99

Ils sont certainement moins nombreux à lire le texte suivant, expression des voix des plus pauvres, des paysans africains notamment. Le voilà, in extenso, pour augmenter la richesse de nos réflexions.

Déclaration des Mouvements Sociaux à la 12e Edition du Forum des Peuples du Mali, Sommet Alternatif Citoyen au 27e Sommet Afrique-France.

Nous femmes, hommes, jeunes, étudiant-e-s, paysan-ne-s, commerçant-e-s, ouvrier-e-s, chercheurs, migrant-e-s, militant-e-s des mouvements sociaux, citoyen-ne-s d’Afrique, et d’Europe, mobilisés du 07 au 08 Janvier 2017 à Ouélessébougou, cercle de Kati, région de Koulikoro, adoptons la présente déclaration à l’occasion de la 12e Édition du Forum des Peuples du Mali, un Sommet Alternatif Citoyen au 27e Sommet Afrique-France qui a porté sur le thème central : « Les peuples du Sud exigent des alternatives pour un nouveau partenariat économique, social et sécuritaire entre la France et les États africains ».

Cet événement inédit en Afrique a réuni plus de 800 participantes et participants, venant des différentes régions du Mali, du Bénin, du Burkina Faso, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Conakry, du Togo, du Sénégal, du Maroc, de la Mauritanie, du Niger, de la RD Congo et de l’Europe représentant plus d’une centaine d’organisations et mouvements sociaux.

Face à la crise globale du système capitaliste et à la faillite du mode de gouvernance néolibéral dicté par les multinationales et les puissances de l’Occident, qui cherchent davantage à reconquérir notre continent, les résistances s’organisent un peu partout dans le monde pour construire des alternatives respectueuses des droits humains, de l’équité, de la justice sociale et environnementale.

La Coopération France-Afrique datant de plus de 56 ans n’a apporté aucun remède adéquat aux multiples défis que connait le Continent africain. Le sommet alternatif citoyen Afrique-France constate au contraire que la coopération françafricaine n’a servi que les intérêts économiques, politiques et géostratégiques des seuls dirigeants français, africains et leurs multinationales au mépris des peuples africains.

Les participantes et participants au Sommet Alternatif Citoyen se sont indignés des politiques de répression, de stigmatisation et de racisme des États du Nord à l’encontre des populations immigrées, reflet d’un passé colonial et d’un présent néocolonial.

Considérant qu’en dépit des accords sur le droit de libre circulation des personnes dans les espaces régionaux comme la CEDEAO, les participants voient ce droit être bafoué ;

Constatant que les accords commerciaux inéquitables comme ceux des APE (Accords de Partenariat Économique), que l’Union européenne est en train d’imposer aux pays de l’Afrique-Caraïbes-Pacifique constituent des instruments en faveur des grandes puissances capitalistes et des multinationales du Nord contre les peuples ;

Considérant que les peuples africains sont victimes des effets du dérèglement climatique causé principalement par les industries du Nord, de l’accaparement des terres agricoles, de l’agrobusiness et la destruction de l’agriculture vivrière accentuent l’appauvrissement des paysans et la dépendance alimentaire de nos pays ;

Étant donné que le système de la dette imposée par les Institutions de Bretton-Woods est un instrument de domination, de pillage et compromet le développement de l’Afrique et constitue une violation flagrante des droits humains ;

Considérant que le système de la microfinance et du microcrédit est un outil d’endettement et d’appauvrissement des victimes des programmes d’ajustement structurels entrainant la perte de la dignité humaine ;

Constatant, que les interventions militaires étrangères sur le continent et les accaparements de ressources naturelles qui s’en suivent plongent l’Afrique dans une nouvelle phase de domination impérialiste. Les peuples africains sont pris dans le piège d’une spirale de conflits qui entrainent l’utilisation de la violence et esclavagisme sexuel des femmes et des enfants comme armes de guerre, la prolifération des armes et la présence massive et permanente des forces étrangères sur nos terres ;

Considérant les limites du francs CFA qui se trouve être une monnaie de domination ;

Eu égard à ce qui précède nous, mouvements sociaux exigeons

1. L’arrêt immédiat de l’accaparement des terres, du pillage des ressources naturelles, de la destruction de l’environnement du continent africain

2. L’expropriation des terres sans indemnisation des grands propriétaires fonciers ;

3. La mise en place de politique publique sociale et environnementale basée sur la redistribution des richesses, la production vivrière pour garantir la souveraineté alimentaire, la justice sociale et environnementale ;

4. Le respect des droits humains fondamentaux, aussi bien à travers le droit à la libre circulation et d’établissement des personnes, qu’à travers le droit à avoir une vie digne ;

5. L’annulation des accords de libre-échange ;

6. La poursuite des débats sur la création de la banque du Sud et la création d’une monnaie unique africaine ;

7. L’arrêt de la criminalisation et de la persécution des migrant-e-s et la libre circulation des personnes ;

8. L’arrêt des accords de réadmission, de l’utilisation des Laisser Passez Européens et de l’externalisation des frontières Européennes sur le Continent ;

9. La suppression des visas et la liberté de circulation des Africains dans tous les États du continent ;

10. La sortie de tous les pays africains de la Cour Pénale Internationale(CPI) et la création d’une Cour Pénale Africaine ;

11. La fin du financement de l’Union Africaine par les fonds Européens ;

12. La mise en place d’audit citoyen de la dette extérieure et intérieure publique des États pour en déterminer les parts illégitimes, illégales, odieuses et insoutenables et de procéder à leur abolition pure et simple et le remboursement d’une dette écologique et la création d’un front mondial contre la dette ;

13. L’arrêt et l’annulation des contrats de concession de nos États avec les multinationales ;

14. L’arrêt et annulation des contrats de désendettement et de développement (C2D) qui maintiennent les peuples africains sous le joug colonial ;

15. L’arrêt de la vente des titres de dettes publiques sur les marchés financiers des pays les plus industrialisés aggravant la situation d’endettement des pays du Sud ;

16. L’arrêt de l’émission d’euro-obligations que certains de nos États (le Cameroun, la RD Congo etc.) sont en train d’effectuer sur le marché financier international ;

17. La renationalisation de toutes les sociétés d’État qui ont été privatisées sous la pression du FMI et de la Banque Mondiale et contre les intérêts des Africains ;

Nous, mouvements sociaux du Sud comme du Nord, nous nous engageons à poursuivre ce combat en développant une solidarité concrète pour que toutes nos luttes légitimes constituent les piliers du monde de demain.

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http://www.cadtm.org/Declaration-des-Mouvements-Sociaux

 

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