Ladmiral de la flotte Tavernier

l’œil et l’oreille

Par | Journaliste |
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Extrait de la bande-annonce. Quand on pense que le roman de Pierre Bost s'appelait "M. Ladmiral va bientôt mourir", on ne doit pas obligatoirement en conclure que Bertrand Tavernier avait prescience de la sienne: le film date de 1984.

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Lecture 4 min.

J'attends avec impatience le moment où je pourrai enfin lire ma nécrologie. Enfin, je ferai l'unanimité. Comme Bertrand Tavernier, par exemple. Un très grand cinéaste, lit-on partout. Question taille c'est vrai. Question intérêt du bonhomme c'est pas faux non plus. Question cinémathèque ça se discute. Et pourtant, je vais lui pardonner plein de films un peu disons vieille qualité française – celle que François Truffaut assassinait avec une mauvaise foi que la mienne n'arrivera jamais à égaler – parce qu'il a commis un petit chef-d’œuvre , un chef-d’œuvre mineur si l'on veut, mais un chef-d’œuvre, fût-il petit ou mineur, est un chef-d’œuvre, et le nombre d'artistes ayant réussi un chef-d’œuvre n'est pas aussi élevé que la perte d'un propriétaire de salle en période pandémique.

J'adore ce film. Mais lequel, à la fin? Calmez-vous, je vois bien que vous n'avez pas reconnu la photo qui orne cet article: Un Dimanche à la campagne. Pour vous dire, quand il est sorti je ne suis pas allé le voir, la projection presse était fixée à une date où je faisais autre chose (quel beau titre de western, tiens: Merci, Polly Valance) et comme c'était du Tavernier je ne suis pas allé le voir en salle car j'ai pensé que ce serait comment dire? un peu lourdaud, cette histoire d'un repas de famille avec le vieux papa, peintre dépassé, flanqué d'un fils ennuyeux, bon mari et bon père, époux d'une chieuse sans intérêt et père de notamment deux garnements de 1912, charmés de voir débarquer leur tante, la fille du peintre et donc la sœur de M. Gonzague Ladmiral qui prend le train pour rentrer alors qu'elle déboule en voiture... D'ailleurs elle ne fera que passer, vu qu'elle a un problème de cœur, secret bien sûr car une femme, en 1912, ça revendique la liberté mais si elle a un amant c'est oh là là pour tout le monde, la fille Ladmiral, dites donc, vous saviez que c'était une grue?

Trois fois rien? Eh bien oui. Mais entre la qualité de la photo, en beau pastiche de Renoir, celle de l'interprétation (fortiche, Tavernier, sur la distribution, en général), avec un Louis Ducreux discrètement pathétique, une Sabine Azéma virevoltante et adorable, et tout ce qui est entre les lignes des dialogues, comme des réflexions sur l'amour, la solitude, la gentillesse, la liberté, la parenté, la famille et l'art, aussi, n'oublions pas l'art, ce regard triste que pose M. Ladmiral sur son tableau ringard et pourtant beau, et en pensant cette voix off à la Truffaut qui donne de l'épaisseur aux mots banals, je le dis: il y a du charme et au-delà, de la beauté et de la bonté.

Comment je sais tout ça, alors, si je ne suis pas allé le voir? Eh bien un après-midi, il y a longtemps, mais des années après 1984, j'étais un brin désœuvré et j'ai poussé sur le bouton on de ma télévision (et noff sur le boutoff off de ma télévisioff) à la recherche d'un match de foot, d'un docu ou d'une émission, bref de quelque chose qui ferait passer le temps. Et là, j'arrive en plein déjeuner chez M. Ladmiral! J'avais même oublié jusqu'à l'existence de ce film et j'en suis tombé amoureux, me demandant comment je n'en avais jamais entendu parler et si ce n'était pas un Truffaut inconnu (François Truffaut est mort en 1984) – quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre que c'était un Tavernier!

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Je l'ai revu deux fois, dont une sur grand écran, à Paris, dans une salle près de la Sorbonne où j'avais mes habitudes. On le ressort de temps en temps: il avait ramassé plein de Césars. Allez, avec un peu de chance, une rétrospective? Ne le manquez sous aucun prétexte, ce n'est pas forcément ennuyeux, de passer Un Dimanche à la campagne.

Bref j'adore.

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