Laurent Tillon / Être un chêne

Des Chemins d’écriture

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 6 min.

Laurent Tillon

Être un chêne

Sous l’écorce de Quercus

Actes Sud, collection « Mondes sauvages »

320 pages, illustrations de l’auteur, 22 euros.

Chers lecteurs que j’ai abandonnés depuis deux mois (le temps que je quitte définitivement Marseille pour le Haut-Var), je vous retrouve en cette fin d’été avec le désir, sans doute lié à mon installation dans un petit village, de vous parler encore un peu de nature, voici donc qu’après le géologue inspiré qu’était Elisée Reclus, j’ai découvert un biologiste, ingénieur forestier à l’Office national des forêts, Laurent Tillon.

Bien entendu, si je me suis intéressée à lui, c’est aussi parce l’écriture fait partie de sa démarche car c’est bien un roman qu’il nous livre ici, le roman des 240 premières années de la vie d’un chêne, longue vie qui débute en 1780, entre landes et marais, précurseurs de l'actuelle forêt de Rambouillet où vit l’auteur qui va y découvrir et nous parler de « son » chêne, Quercus.

Roman de la biologie végétale, roman sociologique, « Être un chêne » est tout cela, il nous raconte la lutte du petit gland pour s’enraciner, devenir plantule, les informations souterraines que reçoit l’arbre en devenir pour se nourrir, s’épanouir, ses transformations pour lutter contre ses prédateurs, ses alliances avec d’autres espèces, la « timidité » de ses branches qui leur permet de ne pas se blesser entre elles, son tronc, véritable laboratoire où s’élaborent des invasions, des luttes, des recherches, où blessures et guérisons alternent. Pour faire face à tous ces défis, le jeune chêne, appliquant sans le connaître le principe de Spinoza, devra savoir « persévérer dans son être ».

Roman historique également car dès sa naissance le chêne accompagne la marche de l’Histoire et va subir des prédations dues à l’homme qui, dès que l’agriculture s’est développée, a façonné le paysage selon ses besoins. Il a besoin des glands du chênes pour nourrir ses cochons, de bois pour son habitat, pour son chauffage, pour la flotte du roi (avant la révolution, la construction d’un navire demandait entre 3 et 4000 chênes adultes), le chêne est, parmi toutes les autres espèces, la plus prisée.

Mais l’homme n’est pas qu’un prédateur, l’auteur nous rappelle qu’en 1829 est créée la 1ère école forestière et le service des Eaux et Forêts, institutions qui vont favoriser la connaissance, l’apprentissage et l’entretien des forêts. La longue vie d’un arbre implique des choix à long terme qui peuvent s’avérer mauvais sur la durée, des erreurs sont commises qui entraînent des dégâts parfois irréversibles…mais ce que nous (dé)montre Laurent Tillon c’est que, comme l’homme, la nature a une force de vie qui l’entraîne vers d’autres voies, inédites…notre arbre « saura » résister en utilisant des capacités d’adaptation surprenantes que nous découvrons.

La forêt est un monde en constant mouvement, mouvements géologiques, climatiques, le chêne également : mouvements internes sous son écorce, souterrains par le complexe système racinaire en symbiose avec d’autres espèces comme le champignon, mouvements physiques – même le roncier tapi près de l’arbre et qui a protégé ce dernier lors de ses premières années va « bouger » pour recevoir la lumière que le chêne grandissant lui retire, en développant des racines nouvelles…

Ces mouvements vont être perçus différemment par l’homme au fil du temps, de Charles Darwin et sa théorie de l’évolution à David Henry Thoreau, tous deux précurseurs d’une pensée dite écologique aujourd’hui et qui à l’époque a peu à peu éloigné les croyances qui tenaient lieu de savoir.

A bientôt 200 ans, Quercus ne grandit presque plus, il a atteint sa taille de maturité. Mais les luttes ne sont pas terminées, il doit faire face maintenant aux particules nocives de l’air, autour de lui, beaucoup d’arbres ont été décimés et les spécialistes s’interrogent, les chercheurs s’activent…en 1992 a lieu le premier « Sommet de la Terre » à Rio de Janeiro, qui réunira 178 pays, on y parle de la planète, de la terre, de la biodiversité, de la forêt. Quercus résiste en échangeant avec d’autres espèces, via son système racinaire, des sucres, des molécules de défense.

Quercus résiste encore et encore, Laurent Tillon insiste : opportuniste et « diplomate », l’arbre accueille des parasites divers et sort vainqueur de leur double mission qui consiste à lui soutirer des tissus pour se nourrir tout en nettoyant les brèches ouvertes, lui assurant ainsi la guérison des blessures infligées !

En scientifique et observateur passionné l’auteur nous promène dans la forêt où vit Quercus et nous fait découvrir, en plans rapprochés, encore tant d'autres choses : que les chauve-souris Murin de Bechstein qui vivent en colonie dans le creux des arbres changent de nid chaque nuit pour échapper à leurs prédateurs, que le bois mort est nécessaire car il offre des refuges aux insectes qui nourrissent le pic noir, espèce revenue en France au milieu du XXème siècle… que les tempêtes sont, certes, des catastrophes qui nous privent de considérables espaces forestiers mais qui offrent des perspectives nouvelles à des végétaux et à des animaux…

C’est certain, vous ne regarderez plus les arbres, les forêts de la même façon lorsque vous aurez terminé la lecture de cet étrange objet scientifique et littéraire.

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