Le bonheur d’apprendre à l'école

Zooms curieux

Par | Journaliste |
le

René Liegois nous présente le diagramme du projet éducatif qui débute par une citation d'Edgard Morin "Une éducation et une pensée simplifiante ne peuvent préparer à une société complexe" "Photo © Jean-Frédéric Hanssens

commentaires 0 Partager
Lecture 8 min.

Penser, anticiper, comprendre, construire : les recettes du bonheur d’apprendre et d’accéder ainsi à la complexité. Une pédagogie de la connaissance par l’apprentissage, par le jeu, par la fête.

A l’heure où la Fédération Wallonie-Bruxelles est en passe de boucler le « Pacte pour un enseignement d’excellence », les témoignages se multiplient sur la mise en pratique de pédagogies alternatives un peu partout dans le monde. Or, notre pays peut se vanter d’avoir été un des pionniers en la matière.

René Liegois parle avec passion et humanité de sa longue expérience d’enseignant à la recherche de la méthode qui lui semble la plus adaptée à l’évolution de notre société. Une société de transmission des informations et non plus de l’accumulation, une recherche des savoirs, basée sur un esprit critique avec l’enseignant comme médiateur et qui permet l’accès à la connaissance.

La pédagogie Freinet

René Liegois a eu la grande chance pendant ses études de rencontrer le pédagogue révolutionnaire Célestin Freinet en 1955. Une rencontre décisive pour le jeune instituteur qui se donne pour but de faire vivre les connaissances dans le cadre d’une pédagogie active. Il essaie cela dans ses classes, il crée une correspondance scolaire, une imprimerie pour publier les travaux des enfants. Bref, il met en œuvre une coopération entre les enfants plutôt qu’une concurrence, une recherche d’autonomie plutôt qu’une dépendance à la structure scolaire. Et ce malgré les obstacles comme le désaccord d’un directeur d’école alors même que les parents approuvaient la démarche. Ils avaient compris ce système sans dictée, sans tables de multiplication à apprendre par cœur. Une méthode comprenant la rédaction d’un journal, sa fabrication, le calcul du coût de production…

Cette pédagogie de l’autonomie, René Liegois l’a appliquée en tant qu’instituteur à Forest, dans un quartier très défavorisé, surnommé d’ailleurs « le ratte carré », un fragment de ville à la Zola à la place de l’usine Audi actuelle, un quartier dans lequel des maisons à trois étages ne disposaient que d’un point d’eau. Et pourtant, cette pédagogie convenait parfaitement aux enfants, les aidait à s’en sortir. Ils se sentaient reconnus et avaient la sensation d’exister grâce aux quelques lignes qu’ils publiaient dans le journal scolaire. Une véritable pédagogie de l’éveil pour ces enfants qui bénéficiaient de peu de stimulations intellectuelles dans leur famille. C’était aussi la reconnaissance d’une autre forme d’intelligence de ces enfants, et non pas celle, formatée, de la pédagogie traditionnelle. Ici, chacun découvre son talent et le cultive.

Le principal obstacle est cependant l’énorme travail que cela suppose pour les enseignants qui exercent un suivi plus individuel des élèves, une personnalisation de leur enseignement puisque chaque enfant apprend à son rythme. Un système trop lourd lorsqu’on est seul mais bien plus viable à plusieurs.

Le Plan d’Iéna

La méthode ? René Liegois, alors nommé conseiller pédagogique, cherche un modèle permettant une autre relation avec les enseignants, la piste pour créer une équipe pédagogique, en lieu et place du modèle traditionnel de chaque enseignant responsable de sa classe. Il découvre ainsi le « Plan d’IENA », une conception globale de l’école selon Peter Petersen, et qui date de 1924, déjà.

Contemporain de Célestin Freinet (1896-1966), Peter Petersen était professeur à l'université d’Iéna, à laquelle était attachée une école d'application et d'expérimentation. C’est en 1927 qu’il publie "Le petit Plan d'Iéna" après son intervention au Congrès de l'Education Nouvelle à Locarno. « Dans les années 1930, le mouvement national-socialiste va tenter de récupérer, sans succès, le mouvement pédagogique. Il en sera de même après la guerre en Allemagne de l'Est. Nommé doyen de l'Université en 1945, il sera démis de ses fonctions en 1948 et en 1950 l'Ecole Petersen sera fermée et sa pédagogie interdite. Elle ne sera rouverte qu'en 1991 sous le nom de "Ecole du Plan d'Iéna". En Allemagne, les idées du plan d'Iéna sont passées dans les directives nationales et aux Pays-Bas, plus de 200 écoles fonctionnent dans le cadre du "Nederlandse Jenaplanvereniging" (Association des écoles du plan d'Iéna). », explique René Liegois

L’objectif de Petersen est décrit ainsi dans ce « petit plan d’Iéna » : "Comment façonner la communauté éducative de telle sorte que le petit de l'homme acquière, en son sein, la meilleure formation possible, à la mesure de ses ressorts internes et que rendu plus riche, plus valeureux, il soit propulsé dans une communauté plus large comme membre agissant? Autrement dit: à quoi doit ressembler la communauté de vie dans laquelle et par laquelle un homme peut, à partir de son individualité, réaliser toute sa personne?"

Et René Liegois d’appliquer ces principes comme directeur de son école de Forest : « la communication, le travail, le jeu, la fête sont les quatre activités des enfants. On apprend par le milieu qui nous entoure, on découvre les matières par la curiosité, on brise la division traditionnelle des classes en groupes d’âge au profit de regroupement par cycles : de 5 à 8 ans, de 8 à 10, de 10 à 12 ans. Il n’y a plus de classes sauf administrativement et les enseignants se partagent le boulot, » sourit René Liegois, « ils travaillent en équipe et se partagent le matériel nécessaire à cette pédagogie innovante. Cela donne une alternance de moments de liberté et de contraintes pour les enfants, un apprentissage de l’autonomie mais aussi de la vie en groupe, ce qui favorise aussi l’entraide entre grands et petits. »

Exemple : le matin se réunit le groupe de base des 5 à 8 ans pour un entretien d’une vingtaine de minutes dans un coin salon. Les enseignants donnent la parole aux enfants, par exemple en faisant circuler un bâton de parole, les sujets émergent et l’on constitue des ateliers de travail (magasin, maths, lectures, etc.). Les enfants choisissent leur atelier. A midi, ce sont les groupes de besoin, des travaux avec les tuteurs à savoir les plus grands qui aident les plus petits. Une école en « communauté de vie », dit-il.

Le processus est constamment évalué par rapport aux objectifs qui peuvent être modifiés en fonction de l’évolution de chaque enfant. Il n’y a pas de redoublement mais bien une individualisation permanente d’ailleurs suivie par les parents à qui les enseignants remettent un schéma de l’évolution de leurs enfants. « Les talents des jeunes sont ainsi mis en évidence, ils développent une capacité de penser par eux-mêmes en vue de s’intégrer pour changer la société car ils ont acquis l’habitude des conseils de classe et des conseils d’école. », précise René Liegois.

Quid en Belgique ?

La Fédération Wallonie-Bruxelles est en pleine discussion sur le « Pacte pour un enseignement d’excellence », certains éléments de cette pédagogie d’Iéna y sont repris, concède René Liegois mais il y constate encore 20 ans de retard… Les directeurs d’école sont encore trop accaparés par les problèmes administratifs, chacun reste dans son coin. Sauf à Liège où l’administration a pris en compte la pédagogie de type Freinet. Pourtant, toutes les expérimentations sont possibles en Wallonie-Bruxelles pour autant que l’on respecte les socles de compétences défini dans le programme. Ce type de pédagogies est donc peu appliqué. On est loin des 200 écoles fédérées en Hollande.

Reste que ces idées de pédagogies adaptées à notre temps et surtout à l’évolution comportementale des enfants progressent un peu partout. Et René Liegois de citer entre autres le projet Clisthène à Bordeaux et un projet à Maasmechelen (Nicola Tesla), une pédagogie action avec mise au boulot des jeunes. On y met le temps au service de la pédagogie et non l’inverse.

Le temps, une clef indispensable pour accéder à l’excellence !
_______________________________________________________
Lire par ailleurs:
Sur la pédagogie:
http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/8309
http://www.icem-freinet.fr/archives/educ/70-71/16/43-46.pdf

http://www.clisthene.org/le-projet/

Sur le bonheur :
http://www.cles.com/debats-entretiens/article/l-ecole-doit-redevenir-un-lieu-qui-stimule-l-esprit-creatif-et-le-bonheur

Sur le pacte pour un enseignement d’excellence :
http://www.enseignement.be/index.php?page=25703&ne_id=4814

Ils ont entre 10 et 12 ans et travaillent ensembles. Photo © Michel Léonet

Un atelier d'élèves de 4 à 12 ans. Photo © Michel Léonet

L'organisation spatiale d'une classe. Photo © Michel Léonet

Des consignes et explications sont données aux 8 à 10 ans réunis. Photo © Michel Léonet

Le matériel pédagogique pour les mathématiques destiné aux élèves de 8 à 10 ans. Photo © Michel Léonet

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

Les élèvent de 5 à 8 ans se retrouvent dans le coin-salon. Photo © Michel Léonet

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte