Tanzanie 1980, de Dar Es Salam au Kilimandjaro

Question d’optique

Par | Journaliste |
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Reportage photo © Jean Frédéric Hanssens

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Lecture 17 min.

De Dar Es Salaam au Kilimandjaro

Nous sommes arrivés à Dar Es Salaam après avoir transité par Copenhague et Djedda en Arabie Saoudite. C’est ce que l’on appelait à l’époque les billets d’avion routards.
L’atterrissage fut plus que mouvementé. La piste en réfection avait obligé le pilote à s’y prendre par deux fois avant d’immobiliser au sol, dans un bruit infernal, son Tri réacteurs Mc Donnel Douglas DC10.

C’est en dalla dallas (taxi collectif) que nous avons rejoint un petit hôtel situé non loin du centre ville. Ambiance de nuit africaine garantie, agrémentée du flap flap des ventilos.
Tôt le matin, nous partons à la recherche d’un ticket de train pour nous rendre à Moshi, au pied du Kilimandjaro. La gare est à 8km du centre ville.
Nos billets en poche, une promenade dans la ville s’impose. R.A.S. sur le plan architectural, juste le musée national. Nous embarquons le lendemain à l’aube à bord du train en seconde classe. Nous sommes prêts à parcourir 440 km en un peu plus d’une vingtaine d’heures de voyage. Mais quel voyage !
A chaque arrêt, c’est un véritable marché mobile multicolore qui longe les wagons. Bras tendus et dans une parfaite cohue, hommes, femmes et enfants proposent cacahuètes, corbeilles de fruits, bananes, mangues, citrons, viandes, poissons séchés, œufs durs, boissons, artisanat, produits de nettoyage, ustensiles de cuisine, cigarettes, enfin tout ce qu’il vous faut pour vivre dans le train pendant au moins une semaine. A chaque départ, au son du vibrant klaxon c’est toute la machinerie qui se met à trembler dans un vacarme abrutissant. À bord, l’atmosphère est bon enfant. A la nuit tombante, tout le monde s’organise pour passer la nuit dans un confort tout relatif. Nous somnolons de sursauts en sursauts, à chaque soubresaut du wagon et ils sont nombreux. Les fenêtres ouvertes et couvertes de moustiquaires nous apportent un peu de fraîcheur tant attendue en ce mois de juillet. Nous aspirons à voir poindre l’aube et à l’arrivée à Moshi.

La gare des bus de Moshi et le Kilimandjaro au levé du soleil..

Le Kilimandjaro situé près de l’équateur est le plus haut sommet du continent africain. Ses neiges qui ne seront plus éternelles vers 2040, réchauffement climatique oblige, culminent à 5.895 mètres d’altitude. Il trône au beau milieu des vastes plaines d’Afrique de l’Est, territoire privilégié de la faune sauvage.
Nous trouvons un bus qui nous mène à Marangu gate. C’est le point de départ que nous choisissons pour entamer l’ascension. Il existe 7 points de départ, dont la voie Machame, réputée plus difficile, et plus longue (6 à 7 jours). Notre voie, la route Marangu, est plus aisée, et nous mène au sommet en 4 jours et deux jours pour la descente. Inconscients du danger pour la santé, nous redescendrons en 10 heures. Nous sommes contraints de prendre au minimum un porteur par personne pour soutenir l’emploi dans cette région très pauvre et qui ne vit pratiquement que grâce à l’industrie touristique.

Le temps de faire des achats, nourriture et boissons, nous démarrons au quart de tour. En fait l’ascension se fait assez aisément, avec un peu plus de 1.000 mètres de dénivelé par jour. Le seul danger réside dans la capacité à l’organisme de pouvoir assimiler ce changement rapide d’altitude, ainsi que la forêt équatoriale humide et chaude (1.800 à 2.800m) qui peut provoquer des œdèmes pulmonaires. C’est ce que nous lisons en arrivant à Mandara hut (2.800m) après avoir traversé une forêt dense faite de lianes de mousses de fougères géantes et de babouins et colobus qui nous accompagnent à distance respectable.

La température se situe aux alentours de 25°C. Dès l’aube, du deuxième jour, nous empruntons le sentier qui doit nous mener à 3.720 m d’altitude. Nous traversons une lande de bruyères et de séneçons géants, nous ralentissons la marche, le souffle s’accélère. La vue sur la vaste plaine qui s’étend à nos pieds est impressionnante.

La nature se fait plus désertique et la température se rafraîchit nettement. Nous voyons le Mawenzi (4.300m). Dans l’après-midi, nous grimperons vers son sommet, histoire de nous acclimater à l’altitude. Les crampes se font de plus en plus présentes et le plus dur reste à faire.

Nous quittons le refuge d’Horombo pour atteindre celui de Kibo à 4.720m. Le paysage devient lunaire et déchiqueté. Nous réalisons, Christine et moi, que nous n’avons pas pris assez de nourriture et de vêtements chauds. Bref, nous sommes sous équipés et tenaillés par la faim.

Il fait -10°C, nos sacs de couchage sont trop légers, même tout habillés et blottis l’un contre l’autre, nous grelottons. Impossible de dormir, nous sommes littéralement gelés et épuisés. La mort dans l’âme, nous décidons d’abandonner la dernière étape, l’ascension du sommet dont le départ est fixé à 23h30 et qui doit nous mener au sommet culminant à 5.895m après 6 heures de marche pour admirer le spectacle au lever du soleil.

Sur le sentier de descente encore verglacé, je me retoune pour apercevoir le pic enneigé du Kibo.

Déçus et vexés de nous être mal préparés pour cette ultime étape, nous descendons à toute vitesse le Kilimandjaro en 10 heures sans faire de halte pour la nuit à Horombo Hut. Une erreur à ne pas commettre. Arrivés à notre point de départ, je suis pris de violentes crampes qui vont m’immobiliser durant plus de deux heures. Pour se retaper, Christine se jette littéralement sur une immense omelette, qu’elle engouffre comme une crève-la-faim. Elle ne me laissera rien ! C’est une première, elle qui a un appétit de moineau. Nous choisissons de passer la nuit dans un hôtel avec baignoire !

Du Kilimandjaro vers le lac Manyara et le cratère du Ngorongoro.

Nous embarquons dans un bus, direction Arusha, avec la ferme intention d’arriver en début de soirée au lac Manyara. Mission ambitieuse étant donné la distance à parcourir, soit près de 300km. Nous sommes toujours dans le gros bus Leyland quand le soleil disparaît comme si on avait coupé l’interrupteur. On se renseigne auprès des passagers et du chauffeur. Manyara n’est plus très loin. Le bus s’arrête tout à coup en pleine savane. On nous dit de descendre et de marcher tout droit, nous trouverons quelque chose pour dormir. Je fouille dans mon sac à dos pour y trouver une lampe de poche et mon canif à portée de main, nous voilà marchant sur un petit sentier tracé dans les hautes herbes à la recherche d’une lumière nous annonçant des habitations. Au bout d’environ une quarantaine de minutes, nous apercevons le scintillement de lampes et le grondement sourd d’un moteur qui me fait penser à un groupe électrogène. Un quart de lune nous éclaire. Bon, il aurait pu faire nuageux et on aurait pu croiser un fauve ou tout autre animal sauvage. On a quand même eu de la chance. Nous estimons la distance à une quinzaine de minutes. Un grand ouf de soulagement intérieur s’échappe de nos dos et nos cerveaux fatigués. Pressés par la découverte, nous poussons une porte et pénétrons en fait par les cuisines dans un Lodge de luxe. Un peu interloqué de nous voir arriver à cette heure tardive par l’entrée des artistes, couverts de poussière et avec nos sacs à dos, le réceptionniste, flegmatique et le sourire en coin nous propose d’emblée la chambre la moins chère.

Au lever du jour la surprise est de taille. Le lac est à nos pied en contre-bas. Des 4X4 se mettent en route au moment où un nuage rose de flamants prennent leur envol majestueux à quelques centaines de mètres de notre terrasse. Tout simplement splendide !


Nous quittons cet havre de paix pour le Ngorongoro. Après une petite heure d’attente en bord de piste, une Land s’arrête à notre hauteur. Une dame blanche (j’aurais pas dit non, je parle de la glace) aux alentours de la trentaine, propose de nous embarquer. Elle vit dans la région. La journée s’annonce bien, elle se rend également au cratère. Celui-ci est une vaste caldeira circulaire de plus de vingt kilomètres de diamètre situé au cœur du massif du Ngorongoro, dans la branche Est de la vallée du rift. Il s’agit de la plus grande caldeira intacte au monde et non submergée, avec 326km2 de superficie. Le lac Makat, au creux du cratère et l’eau abondante qui s’écoule dans la plaine, procure à la faune une nourriture généreuse et variée. Ce qui explique sa diversité et n’incite pas la faune à remonter les pentes pour quitter ce lieu nourricier et paradisiaque.

Notre conductrice est également à la recherche d’un endroit pour passer la nuit, mais nous arrivons trop tard aux portes du cratère où toute circulation est interdite à partir de 18h. Au détour d’un tournant, un éléphant mâle somptueux nous coupe la piste. Ne pas bouger, ne faire aucun geste brusque nous susurre-t-elle. Nous attendrons donc patiemment que la pachyderme daigne bien poursuivre sa promenade. Impressionnant ! Avec ça nous ne trouvons rien pour dormir. En définitive, on se contentera d’un matelas posé à même le sol dans une arrière pièce d’un Lodge.
Le lendemain, nous nous installons dans un guest-house situé dans la réserve. Sommiers sommaires, terre battue, douche et toilette commune. Il ne fallait rien de plus, avec toutefois l’interdiction de sortir la nuit. Et oui, les animaux sauvages sont bien en totale liberté.

Nous faisons la connaissance de deux Québécois avec qui nous décidons de louer une Land avec chauffeur pour faire un safari d’une journée. C’est bien le nirvana pour animaux sauvages. Il suffit de s’arrêter non loin d’un point d’eau et de les admirer. Dans la savane, à une dizaine de mètres devant nous, un vieux lion en pleine sieste ne daigne même pas bouger. Le chauffeur doit donner un gros coup d’accélérateur pour qu’il rugisse de mécontentement et se déplace de quelques mètres vers une lionne.

Voir les autres photos prises dans le Ngorongoro ainsi que les photos de la suite du voyage dans la galerie ci-dessous.

Ce sont les yeux saturés d’images insolites et la tête lourde de souvenirs que nous reprenons la route du retour. Nous décidons de revenir à Dar Es Salaam, dont nous sommes distants de 750km. Nous nous arrêtons à Dodoma, la capitale officielle du pays. La piste du retour traverse la steppe Massaï.

Dans le vieux Leyland que nous empruntons, nous sommes heureux qu’une vitre sur deux manque à l’appel. Une petite brise réparatrice assèche nos T-shirts moites de sueur. Une bonne moitié des passagers sont Massaï. Ils sont charmants et attentionnés mais leur mode de vie, je devrais dire de survie ne favorise pas la dispersion des mouches. D’ailleurs, nous nous demandons, à notre tour qu’elle est leur perception de l’odeur que nous dégageons nous-mêmes. Secoués, dans le bus, comme des grains de sables sur un tamis, nous aspirons à une petite halte dans un de ces villages où il fait bon se promener avec nonchalance dans ces marchés colorés aux parfums exotiques et aux ambiances typées. On y trouve bananes, mangues, papayes, noix de cajou, morceaux de canne à sucre à sucer, arachides et j’en passe. Mais pour l’heure il faudra s’en passer.

Après avoir repris un peu de force, nous poursuivons la piste en latérite avec un autre Leyland. Mais après une bonne heure de dégustation de poussières, le vieux taco peine dans une montée. Il se met à hoqueter et à cracher une fumée bleu foncée. Nous sommes presque au sommet de la côte, quand dans un fracas inquiétant la machine stoppe net. Le chauffeur crie un vibrant break-down qui déchire le silence régnant dans le véhicule. Aussitôt, tout le monde descend en bon ordre et sans maugréer. Commence alors une longue palabre entre le chauffeur et le convoyeur chargé d’empiler les bagages sur le toit. Ils se décident à attaquer le pont, la transmission, les freins arrière, en tous cas, ils ne touchent pas ou presque au moteur proprement dit. Un peu plus de deux heures de bricolage et surtout d’ingéniosité africaine ont eu raison de la panne. Nous repartons non sans une certaine appréhension. Le bus avance lentement, mais il avance, c’est le principal. Nous arrivons à Kondoa. De nombreux sites de peintures rupestres datant de moins 4000 à moins 3000 ans ont été mis à jour dans la région. Ils ont été classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2006.

La suite du voyage se fera de plus en plus rapidement au fur et à mesure que nous approchons de notre point de départ. Durant ce long trajet, nous dormons dans des guesthouses au confort rudimentaire mais toujours très propres.

Un ptit coin d’paradis

Arrivés dans la capitale économique, Christine a l’excellente idée de proposer quelques jours de repos à Bagamoyo à 72km, la plus ancienne ville de Tanzanie, fondée à la fin du XVIII ème siècle et située au bord de l’océan indien, juste en face de Zanzibar.

Un petit hôtel avec bungalows spartiates situés face à l’Océan fera l’affaire. Nous avons un pied dans le sable, l’autre dans l’eau et la tête dans les étoiles.
Le tableau est idyllique. Cocotiers, langoustes que nous achetons directement aux pêcheurs sur le rivage et qu’ils nous font griller à la minute ; des autochtones charmants et pas un touriste. Durant ces quelques jours, nous avons trouvé la définition du mot bonheur avec un grand « B ». Jusqu’au matin où le directeur de ce guesthouse nous fait savoir que nous ne pourrons pas loger le soir même dans notre bungalow. C’est que Julius Kambarage Nyerere, le président himself, surnommé le mwalimu (l’instituteur) est en visite et sa suite a réquisitionné tout le lieu et donc notre habitation. Qu’importe, l’environnement ne nous pousse pas à grincher.

Nous nous rendons en ville. Une foule en liesse se presse le long de la route. Notre homme fait une entrée triomphante, s’arrête sur les marches du bâtiment de la municipalité et prononce son discours, rendu inaudible par les cris de la foule. Tant qu’à faire, c’était l’occasion de le voir et de le photographier. Oui mais c’était sans compter sur le fait que le régime socialiste aux forts accents communistes était sur ses gardes face aux espions occidentaux capitalistes.

Le résultat ne s’est pas fait attendre, ni une ni deux me voilà embarqué par la police pour subir un interrogatoire en règle et une tentative de confiscation de mon matériel photo et des films. On me fait sécher pour quelques heures dans un cachot qui devait avoisiner les 45°C, sans eau et dans une puanteur qui n’a pas tardé à me faire rendre mes tripes. Je ne dois ma sortie prématurée qu’à la furie de Christine, qui ayant retrouvé ma trace, s’est acharnée verbalement sur le responsable de mon enfermement. Epuisé et lassé par tant de ténacité, l’homme a fini par céder en me remettant tout mon matériel et mes bobines, ouf !

Nous rejoignons un guesthouse miteux pour passer la nuit avant de réintégrer pour nos derniers jours, notre havre de paix au bord de l’océan et y déguster nos langoustes autour d’un feu et sur fond de coucher de soleil en compagnie des pêcheurs.

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Dans les avions du retour et durant les escales, je relirai et compléterai mes notes non sans une grande et émouvante nostalgie sur ce pays d’Afrique de l’est qui nous a donné l’envie d’en découvrir bien d’autres jusqu’en Afrique du Sud.

Texte et photos © Jean Frédéric Hanssens
Cliquez sur les photos ci-dessous pour les faire défiler en grand format et lire les légendes.

<p>Christtine dans la forêt équatoriale à 2.800 mètres d'altitude.</p><p><em><strong>La forêt équatoriale humide et chaude (1.800 à 2.800m)</strong></em></p><p><em><strong>Notre chauffeur dans le Ngorongoro</strong></em></p><p><em><strong>Un envol de grues couronnées</strong></em></p><p><em><strong>Masaï </strong></em></p><p><em><strong>Masaïs</strong></em></p><p><em><strong>Masaïs </strong></em></p><p><em><strong>Masaïs </strong></em></p><p><em><strong>Masaïs </strong></em></p><p><em><strong>Monument à la gloire des combattants pour l'indépendance.</strong></em></p><p><em><strong>En 1980, les écolières et écoliers portaient encore l'uniforme. Une règle qui datait encore de la colonisation britanique.</strong></em></p><p><em><strong>Le vieux Leyland ne tardera pas à tomber en panne sur la piste.</strong></em></p><p><em><strong>Un peu plus de deux heures de bricolage et surtout d’ingéniosité africaine ont eu raison de la panne.</strong></em></p><p><em><strong>Bagamoyo, au bord de l'océan indien.</strong></em></p><p><em><strong>La seule photo que j'ai pu prendre à la sauvette de Nyerere avant d'être arrêté. L'homme avec ses checeux crolés blanc.</strong></em></p>
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