Mère-enfant/madone. Deux figures du street art.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Dans un article récent[1], j’interrogeais la présence somme toute surprenante de la Madone dans les œuvres de street art. A n’en pas douter, la Vierge à l’enfant reste une figure majeure dans l’iconographie religieuse contemporaine, bien loin devant la figure du christ et nous retrouvons ces deux figures dans les œuvres des street artistes d’aujourd’hui.

La représentation de la posture de la Madone est hautement symbolique à maints égards. Tout d’abord, sa présence auprès de Jésus affirme son statut divin en tant que mère de Dieu. C’est là du point de vue du dogme sa fonction première. Mais l’image d’une jeune femme portant sur son bras son nouveau-né le couvant de son doux regard dans une attitude de protection ajoute une autre dimension au registre religieux, la symbolique de l’amour maternel.

En parallèle aux représentations de la Madone, nous trouvons de très nombreuses œuvres de street art représentant, non pas la Madone, mais une femme et un enfant.

Les postures sont relativement semblables. Les scènes représentent de jeunes femmes serrant dans leurs bras de jeunes enfants. Deux traits caractérisent ces scènes : le contact entre la femme et l’enfant dénotant à la fois l’intimité et la protection, la direction du regard de la femme entièrement centré sur l’enfant. Une focalisation du regard comme une allégorie de l’amour. L’enfant est au centre de l’attention de sa mère comme il est au centre de son univers mental et affectif. Les personnages sont identifiés par le « regardeur » comme la mère et son enfant et la scène est lue comme une scène symbolique et non comme un portrait d’une femme et de son enfant.

Madone et mère-enfant entretiennent des relations de forme et de sens. Historiquement, c’est la figure de la mère-enfant qui est première. C’est elle qui a donné naissance à la Madone (et non l’inverse). Le personnage de Marie, très peu présent dans les Evangiles, n’a pas été l’objet d’un culte dans les premiers siècles du christianisme. Les Juifs christianisés et les Juifs de culture grecque, premiers fidèles des communautés chrétiennes, ont rejeté l’idée qu’un dieu ait été engendré par une femme, un dieu fruit des relations sexuelles entre homme et femme, et que cette femme ait pu enfanter en restant vierge. Le culte marial s’est développé en fait beaucoup plus tard, en Orient au III e siècle et en Occident au V e siècle, d’abord chez les clercs pour ensuite se diffuser chez les fidèles.

Pour faire court, le culte marial est une construction tardive des Pères de l’Eglise qui ont emprunté aux cultes antiques les images des divinités féminines en opérant un transfert de leurs attributs pour bâtir une dévotion à une figure chargée de l’intercession entre Dieu et les Hommes.

En fait, si les mères-enfants sont à l’origine de la figure de la Madone, les deux représentations, le temps passant, se sont hybridées. Les attributs de l’une se sont ajoutés aux attributs de l’autre. A la symbolique première de la fécondité s’est ajoutée celle de l’amour maternel. La seconde, à l’époque moderne, a supplanté la première, jusqu’à en masquer la trace.

Les street artistes d’aujourd’hui reprennent fidèlement les images anciennes des mères-enfants en occultant pour la plupart la référence à la Madone chrétienne. Dit autrement, ils ont laïcisé l’iconographie pieuse. Ils en gardent les traits archétypiques : une jeune femme, un très jeune enfant, une scène intime illustrant le lien affectif et mettant en avant la protection de la mère. La réunion des traits forment une image perçue globalement : une icône de l’amour maternel.

La permanence du symbole interroge. Un fait illustre le questionnement : les mères-enfants sont légion, les pères-enfants inexistants. Dans les milliers de reproductions de fresques que j’ai observées, je n’ai trouvé qu’une seule scène d’un « père à l’enfant » ! Dans le même ordre d’idées, je n’ai jamais rencontré une fresque illustrant l’amour d’un père pour ses enfants !

Notons que nombre de fresques mère-enfant sont des commandes de centres sociaux et médicaux en charge des soins prodiguées aux mères et aux jeunes enfants. Il est vrai que les soins de la Petite enfance sont recentrés sur la relation entre la mère et le nourrisson et non sur la relation entre le père et son jeune enfant. L’homme, le père, semble absent des problématiques de la Petite enfance. Absent aussi des représentations de l’amour d’un parent pour son enfant.

Je m’interroge sur le poids des stéréotypes dans l’imaginaire des street artistes. L’amour maternel en est un. D’éminents historiens et des philosophes ont fait l’histoire de la maternité et montré que la relation de la mère à son enfant s’inscrit dans une histoire des mentalités et que l’« instinct maternel » n’existe pas.

Réduire symboliquement l’attachement des parents à leur enfant au seul lien mère-enfant est un non-sens à tous points de vue. Il conforte les places traditionnelles assignées à la mère et au père renforçant l’image patriarchale de la famille.

Alors que les études du genre ont rebattu les cartes de la famille, il est symptomatique que les artistes ne donnent pas à voir des images modernes de l’attachement des parents, de tous les couples, pour leurs enfants, se contentant, consciemment ou non, de reprendre les stéréotypes les plus éculés des figures d’attachement.

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