Philippe Hérard : L’homme et l’œuvre (sic).

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Je me souviens avoir longtemps disserté sur l’« homme et l’œuvre ». En termes plus savants, les relations complexes qu’entretiennent la personnalité d’un artiste et l’ensemble de sa production. À la réflexion, un demi-siècle plus tard, je pense que toutes les réponses étaient fausses car la question, la problématique disent les pédants, n’a guère de sens.

Bien évidemment, l’homme, son histoire, sa personnalité, sa psychologie, et l’œuvre ne font qu’un. Si l’homme (ou la femme) est un artiste, alors nous retrouvons dans son œuvre tout de l’homme (ou de la femme, cela va sans dire) : son identité, ses heurts et malheurs, son plaisir, sa souffrance et une vision du monde. J’insisterai sur cette dernière expression. Les linguistes considèrent qu’une langue, ses mots, sa grammaire, expriment une vision du monde par une société donnée, à un moment donné. J’en suis convaincu. De la même manière, une œuvre exprime la vision du monde d’un artiste à un moment donné. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler les rapports entre la chute de l’empire napoléonien et le romantisme, ni les rapports entre la première guerre mondiale et le cubisme. L’œuvre est le précipité d’un moment historique et de sa perception par l’artiste.

L’œuvre de Philippe Hérard n’est pas terminée (je lui souhaite longue vie), mais la succession de ses projets artistiques est une illustration de l’imbrication entre le vécu d’un moment historique et une perception du monde comme il va. Les Gugusses[1]m’ont tiré des larmes et des rires car ma grand’mère m’a appris qu’« on ne rit pas des handicapés ». Un rire coupable, car « c’est pas beau de se moquer » dixit, toujours feue ma grand’mère.

Au-delà de la peinture des personnages, j’y ai vu une immense empathie pour ceux qui sont différents, une extrême bienveillance et un souci de l’autre. Et tout cela en opposition aux thuriféraires d’une société du chacun pour soi et du darwinisme social.

Les œuvres du confinement d’Hérard sont de ce point de vue remarquables. Leur somme constitue un journal intime d’une crise sans précédent. Hérard confiné a accompagné mon confinement en partageant mon angoisse et en m’apportant un clin d’œil, un sourire, un éclat de rire. Une ponctuation douce-amère, centrée sur notre vécu commun.

Je conseille à ceux qui écriront demain notre Histoire de garder précieusement les images des confinements. Bien qu’Hérard ne l’ai pas voulu, à son corps défendant dirais-je, elles témoignent à la fois d’un immense traumatisme social et de son expression par un artiste.

Au projet des Gugusses ont succédé d’autres projets. Des projets à la fois différents et semblables. Hérard et ses potes se sont inscrits dans le droit fil des Gugusses. Hérard, le perso, a les traits physiques de Philippe Hérard. Il n’a rien à envier aux Gugusses : la même innocence (à ce propos, ma grand’mère appelait les handicapés mentaux : les innocents), la même ingénuité, la même naïveté. Somme toute, c’est l’histoire d’un mec qui, à force de dessiner des Gugusses, est devenu un Gugusse ! Les potes d’Hérard, ses acolytes, ses complices, sont du même tonneau : le même physique avantageux, une intelligence d’une grande vivacité. Ils sont tout pareils et copains comme cochon. Leur monde est comme le nôtre, mais n’est pas le nôtre. Un monde avec des vaches, beaucoup de vaches, et des objets : des bouées (on n’est jamais trop prudents), des chaises (c’est quand même bien pratique), un canoë et une pagaie (sans pagaie, on n’avance pas). Nos antihéros vivent des aventures ou plutôt des mésaventures. On pense au burlesque de Laurel et Hardy (surtout Laurel), à Mack Sennett, à Buster Keaton, à Harold Lloyd, à Max Linder, à Charlie Chaplin. On y pense d’autant plus que ces œuvres sont des œuvres sans paroles, comme le cinéma muet.

Il est singulier qu’un artiste, bien inscrit dans son époque, se réfère aux sources du comique à l’écran. Il y emprunte, mais s’y perdre. Les gags sont devenus des saynètes, c’est-à-dire des mises en situation de ses personnages. Les fameux running gags ont été remplacés par la récurrence des accessoires (bouées, chaises, vaches, pagaie etc.). Au rire à gorge déployée du burlesque, il substitue la poésie, la mélancolie, le rire amer.

Hérard est un artiste modeste qui fait son taf pour distraire les gens. Un peu de peinture mais pas trop, des supports pauvres, un ou deux personnages, quelques accessoires, toujours les mêmes. Il trace sa route, seul de son espèce, libre. Modeste, humble, généreux, gentiment anar, donc indispensable.


[1] http://www.entreleslignes.be/le-cercle/richard-tassart/philippe-h%C3%A9r...

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