Zmogk, « D’autres rivages ».

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Lecture 7 min.

10 et le 11 mars 2023, Paris. Le Russe Konstantin Danilov, alias Zmogk, a « fait le mur » Oberkampf. Il a peint un superbe paysage qui ravit et étonne.

Il étonne tout d’abord parce que les œuvres de street art représentant des paysages ne sont pas légion. Alors que le genre tient une place particulièrement importante dans l’histoire de la peinture, les street artistes abordent bien plus rarement la peinture de paysage. Quand ils apparaissent au détour d’une fresque, ils constituent le décor du sujet principal. Autrement dit, ils sont accessoires. En l’occurrence, à première analyse, Zmogk en fait, non pas le sujet unique, mais l’élément central de sa fresque. Pas le sujet unique, car à gauche l’artiste a peint un visage de profil. Le visage décentré par rapport au paysage organise la composition. Le personnage représenté semble nous inviter à contempler un vaste horizon marin dominé par des montagnes. C’est à partir du milieu du profil du personnage que file la ligne d’horizon qui sépare l’espace de l’œuvre en deux parties. Une partie haute figurant ciel et reliefs. Une partie basse, une étendue d’eau reflétant le ciel, surface plane surmontée par des reliefs. Les lignes de fuite convergent vers le bord extérieur droit. C’est dire assez le soin apporté par le peintre à la composition de son œuvre.

Il en est de même pour le dessin. Les espaces sans profondeur sont découpés de manière géométrique, conciliant une réduction des formes essentielles du réel et leur extrême simplification à une rupture avec la représentation. Les objets peints sont des surfaces ; leur volume a disparu. Les surfaces sont monochromes. Quelques ombres rendent compte du contre-jour et non du volume des objets. La savante construction du profil du personnage contraste avec les images stéréotypées des nuages et du soleil.

La palette est formée d’un nombre relativement restreint de couleurs. Une réduction qui accompagne la simplification des formes. La ligne domine et parfois s’oppose à quelques courbes (nuages, soleil, voile des bateaux). Les bleus du ciel et les bleus de l’eau s’harmonisent avec les verts et ocres des reliefs. Par contre, le visage du personnage est en complète rupture chromatique avec le paysage.

Le premier degré de la description de l’œuvre est en soi suffisant pour apparenter la fresque à une peinture de l’imagination. Le paysage est un rêve de paysage et non une traduction artistique de la nature. De plus, les représentations du soleil, des nuages, des voiliers reprennent avec un décalage celles des dessins d’enfant.

Paysage rêvé, visage rêvé également. Un personnage sans autre identité que la couleur de sa peau regarde un paysage de fantaisie.

Zmogk a donné à sa fresque un titre, « Autres rivages ». Dans le beau film que Laurence Laux a consacré à la réalisation de la fresque, Zmogk dédie son œuvre à tous les exilés. Le personnage dont le profil apparait est censé être un exilé qui regarde un paysage de rêve.

Un rêve d’exilés, mais aussi une variation sur le thème éternel du paradis terrestre. La beauté formelle du cadre s’ajoute à l’impression de paix et de sérénité. Ajoutons la chaleur du soleil qui « darde ses rayons » et nous nous approchons de la très fameuse Invitation au voyage de Baudelaire et son célèbre distique « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, /Luxe, calme et volupté.) Un ailleurs fantasmé, version marine du paradis.

La fresque de Zmogk doit être interprétée comme une œuvre politique, présentant un exilé noir contemplant une image représentant ses espoirs de bonheur. Le titre de l’œuvre et sa dédicace impose cette lecture. Pourtant, la comparaison de la fresque avec un tableau peint par Zmogk m’amène à nuancer cette interprétation.

La toile est question a été titrée par l’artiste « Nuit chaude ». Elle présente avec « D’autres rivages » des similitudes. A propos de Nuit Chaude, sur son site Internet, Zmogk commente son œuvre de la manière suivante : « « Chaude nuit sombre au bord de l'océan. La chaleur du jour a légèrement diminué, mais la nature incandescente respire encore la chaleur. La figure d'une femme regarde l'horizon, la lune montante, dispersant l'obscurité mystique de la nuit avec sa lumière. Elle est détendue, mais légèrement relevée de son lit, comme si elle s'attendait à ce qu'il se passe quelque chose, quelque chose qu'elle attendait depuis longtemps... » A la lecture de ce commentaire en marge de la toile, on est saisi du point de vue de l’artiste. L’image est une mise en récit d’une émotion fruit d’une relation intime entre un personnage et le décor dans lequel il est plongé. Zmogk développe son projet artistique dans un superbe texte que je vous livre : « Je m'intéresse au sujet des états psycho-émotionnels d'une personne. Quoi qu'il en soit, j'aborde ce sujet dans mes œuvres sur toile, essayant souvent d'évoquer l'une ou l'autre émotion fondamentale à la fois par la couleur et la dynamique des formes dans mes œuvres, et par des images intégrées qui peuvent être interprétées sans ambiguïté et peuvent porter une double interprétation. Les émotions affectent la qualité de notre vie, notre intellect et notre condition physique.

J'explore le monde qui m'entoure et j'analyse mes expériences, l'impact des émotions que j'ai ressenties à différents moments. L'intrigue de mes peintures est souvent un jeu complexe de souvenirs et de fantasmes. Il reflète la recherche d'un équilibre entre l'intuitif, le subconscient, l'étape initiale radicalement libre du travail sur une toile et l'étape claire, ordonnée et rationnelle de sa réalisation. En combinant ces approches apparemment opposées, je crée des compositions géométriques, qui semblent chaotiques à première vue, construites avec des couleurs et des lignes, faisant référence au cubisme, à l'expressionnisme et au fauvisme. Ces compositions sont des expériences narratives avec de fréquentes incorporations d'images reconnaissables : visages, paysages, etc. Elles peuvent être perçues et ressenties individuellement, souvent de la manière la plus inattendue et la plus personnelle. »

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Certes « D’autres rivages » porte un message humaniste qui témoigne de la condition des exilés mais derrière ce texte je lis un sous-texte dans lequel apparait une illustration d’un état psycho-émotionnel. Zmogk l’artiste russe contraint à maints exils volontaires pour pratiquer son art partage la douleur d’autres exilés. La figure extrême de l’étranger pour un Russe de la Russie d’Europe est peut-être un Africain à la peau d’ébène. La figure de l’ailleurs rêvée d’un jardin des délices est, peut-être, pour un Russe, un paysage maritime baigné par une douce chaleur, comme ces beaux lacs italiens nichés au creux des vallées alpines.

Texte et sous-texte forment alors une œuvre forte et personnelle qui traduisent une souffrance générale en passant par le tamis de la sensibilité d’un artiste à ses émotions.

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