C’est quoi, le fixé sous-verre ?

Décodage EXPRESS

Par | Penseur libre |
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Un fixé sous verre sénégalais, représentant le trafic des esclaves. Photo © Fondation du Musée national des cultures du monde aux Pays-Bas.

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Dès l’Antiquité, des hommes, des femmes peut-être, ont imaginé de peindre de petits morceaux de verre, « de l’autre côté », à l’aide de pigments délayés à l’huile ou à l’eau.

Ainsi, on a retrouvé à Pompéi un portrait de jeune homme étonnant de présence dont l’expression des yeux rappelle les visages du Fayoum.

Petit rappel: en effet les fouilles archéologiques de la ville de Fayoum, non loin du Caire avaient fait connaître en 1887 des visages peints aux grands yeux ouverts, intercalés dans les bandelettes des momies pour en indiquer l’appartenance, premiers portraits funéraires sans doute… Le visage du jeune homme emprunte le même procédé.

Tout cela, date du premier siècle avant JC.

En même temps, apparaît une autre technique, « l’eglomise » qui consiste à fixer une mince feuille d’or ou d’argent sous le verre à l’aide d’un vernis, ensuite le dessin est exécuté à la pointe sèche. On en trouve un exemple classique dans certains décors de la somptueuse Sainte Chapelle à Paris au Xlllè siècle.

La Renaissance, avec son jaillissement de découvertes artistiques, va accélérer au XVIè siècle, à Venise l’invention de verre enfin transparent.

D’autre part, la diffusion de gravures sur bois ou sur cuivre, a fait connaître aux artisans des tableaux de maîtres aux sujets variés qu’ils vont copier et leurs peintures sous verre limitées aux sujets pieux pour une clientèle ecclésiastique, va se répandre auprès d’une clientèle aux moyens aisés, avec des commandes « sur mesure ».

C’est l’époque des découvertes géographiques, et on est à l’affût d’objets exotiques à collectionner chez soi. Les ébénistes vont créer des meubles de présentation appelés « cabinets de collections » en ébène, en palissandre agrémentés par des insertions de bois de rose, de citronnier ou d’autres essences de bois précieux.

Et les portes et ouvertures à secret seront souvent incrustées de fixés -sous-verre aux sujets divers : angelots, fleurs, sujets érotiques, selon les commandes personnelles des riches mécènes qui se libèrent, petit à petit, des contraintes religieuses imposées jusqu’alors.

On a vu que le verre a atteint, à l’époque, de plus grandes dimension, ce qui va faciliter la production de portraits sur ce support. Ainsi, en Lorraine, le peintre P. Jouffroy, s’est fait rapidement remarquer par ses portraits princiers, tel celui de Christine de Saxe en 1762, dont on peut admirer encore les déclinaisons raffinées des couleurs de sa robe, un camaïeu de beige, paille et champagne, relevé par les tons bleu profond de sa cape enroulée.

Au dix-neuvième siècle, la diffusion du verre favorise l’installation d’ateliers de fixés-sous-verre, près des sites de verreries. Les sujets populaires s’opposent ou plutôt, rivalisent avec les portraits sophistiqués ou les images pieuses revenues en quantité sur le marché.  Cette production d’images vertueuses partie de Murano se répand partout, récupérée très vite par l’imprimerie ….

Les fixés-sous-verre se retrouvent dans le monde entier. En Asie, en Afrique dans une symphonie de couleurs éclatantes. Moins chers que des tableaux, on les retrouve sur les murs, sur des plateaux, des miroirs… Cette méthode de peindre introduite vers 1890 au Maghreb, parvient au Sénégal par l’intermédiaire des marchands arabes et berbères et par les lettres et marabouts musulmans.

La technique consiste à commencer par les détails et la signature avant d’aborder les fonds par les contours à la gouache et puis d’attaquer le centre. Certains artistes ont atteint la notoriété et font partie de l’école d’art de Dakar dont la réputation n’est plus à faire. Ainsi on peut acheter les sous-verre de Sea Diallo, M’Bida ou de la famille Gueye qui continue la tradition artistique de Papa Gueye avec bonheur. Les sujets d’inspiration sont infinis: vies de marabouts, du commerce des esclaves, de marchés colorés au village, assemblage stylisé de poissons dans les herbes, mamas épanouies en boubou et turban, gros plan sur drapés à la mode africaine, visages d’enfants au sourire éblouissant : un éventail de propositions positives !

En Chine, la méthode de peinture sous verre doit beaucoup à l’illustre père Jésuite

Giuseppe Castiglione (1688-1766) qui a jeté tant de passerelles entre l’Occident et l’Orient. Elles sont produites à Pékin, introduites à la Cour impériale, puis à Canton, le grand port commercial chinois d’où elles sont expédiées en Europe. Les sujets inspirés par des gravures françaises ou anglaises suivant les commandes vont bientôt, grâce à la mode des “chinoiseries” passer par des sujets” Reflets de Chine “ qui vont avoir au XIX siècle, un énorme succès. On y voit des scènes familiales dans des jardins éclairés aux lanternes, des courtisanes en tunique légère, des paysages fantastiques, des scènes de chasse, de guerre ou de mythologie qui constituent des collections particulières à l’étranger, très appréciées aujourd’hui encore.

Cette production fragile, a évolué dans son parcours et s’est transmise un peu partout en

Asie. On trouve des peintures sous verre au Japon, en Indonésie, chaque pays y ajoutant ses propres caractéristiques.

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Il s’agit donc d’un art populaire qui a connu bien des échanges et des rencontres de cultures et qui mériterait une meilleure place.

Peinture en fixé sous verre, Chine vers 1840-60, représentant une scène animée de personnages dans un pavillon largement ouvert sur un jardin. Photo © Anticstore.com

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