Cent cinquante ans que ça impressionne

l’œil et l’oreille

Par | Journaliste |
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L'enfer, c'est les autres. Essayez de voir tranquillement le plus beau des Renoir, vous aurez fatalement un monsieur à écouteurs qui se glissera devant vous. Bah, il finira par partir. Reportage photographique © Jr

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Cent cinquante ans, c'est un chiffre rond, l'impressionnisme, ça marche toujours, étonnez-vous que le musee d'Orsay et la National Gallery of Art (Washington) ensuite aient sauté sur l'occasion pour exposer une nouvelle fois quelques unes des plus célèbres toiles mais en les plaçant en contrepoint à côté de l'art officiel, représenté au Salon. Trente et un artistes, très différents en fait, décidèrent de se passer du Salon et tentèrent leur propre expo chez Nadar, où 165 peintures ou sculptures furent montrées à quelques milliers de curieux, lesquels en achetèrent... cinq. Et quand on voit à quel prix, on se dit qu'une machine à remonter dans le temps serait parfois bien utile...

Le mérite de cette exposition - outre de permettre de revoir ces célébrissimes toiles, très belles, tout de même, souvenons-nous de Keats, a thing of beauty is a joy for ever, un poète même britannique a toujours raison - est donc de replacer cette naissance dans l'art de l'époque en proposant aussi des œuvres du Salon de 1874, où il n'y avait pas que des croûtes ou des artistes de seconde zone. Certaines futurs stars comme Manet préférèrent d'ailleurs tenter leur chance au Salon mais soutinrent en douce la dissidence, par exemple, pour reprendre Manet, en prêtant des toiles qu'il avait achetées à sa belle-sœur, Berthe Morisot.

L'échec relatif - qui s'accompagna d'une perte financière - n'empêcha pas la récidive, en 1876 et 1877. Le mot impressionnisme commençait à perdre son sens péjoratif et la critique, au départ très réticente, trouva pratique d'user de l'expression qui cachait en réalité des artistes dissemblables et au statut social très variable, on y trouvait de pauvres hères et des rejetons de familles bourgeoises aisées. Certains devinrent riches par eux-mêmes et il reste peu de béotiens, aujourd'hui à ignorer des noms comme Monet, Renoir, Degas, Morisot, Pissarro, Sisley ou encore Cézanne. Je retiens néanmoins que la blessure de la défaite de 1870, qui avait amoindri la France de l'Alsace et la Lorraine, tué jusqu'à des artistes prometteurs et chassé le Second Empire au profit de la Troisième République puis déclenché une guerre civile, était encore omniprésente, notamment au Salon, où quelques œuvres antimilitaristes valaient le coup d'œil. Finalement l'art de cette époque, léché ou novateur, social ou illustratif, était varié et n'avait pas de catégories bien définies. En témoigne d'ailleurs la boutade de Claude Monet quand on lui demanda de titrer son Impression soleil levant. Il s'exclama qu'il pouvait difficilement prétendre qu'il s'agissait d'une rue du Havre et parla d'une impression à rendre des reflets du soleil levant. On peut tenter de dire que ce qui caractérise le mouvement, c'est que ces œuvres essaient en effet de rendre un impression plutôt que de décrire une réalité, mais on avouera à la relecture que cela ne veut pas dire grand-chose. C'est du moins mon impression, expo quittant.

Au musée d'Orsay, esplanade Valéry Giscard d'Estaing, F-75007 Paris, jusqu'au 14 juillet 2024. Il est prudentissime de réserver (longtemps à l'avance) mais il y a moyen de faire la file si on a le temps et la patience (ou d'éviter la file si l'on dispose d'une carte de presse)

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