Jourde

JOURDE

Un jet de pierre.

Le gros pique sa crise.

Dressé sur les marches de la maison communale, Jourde souffle furieusement. Son béret profondément enfoncé sur son crâne tout rond. Ses oreilles semblent vouloir s'enfuir de sa boule rouge cerise. Le mammouth descend l'escalier. Il se dirige d'un pas saccadé vers un tas de pavés abandonné par les carreleurs. Il se penche avec un soupir, arrache un pavé et le projette loin devant lui avec un cri rauque.

L'alerte est donnée. Silencieusement, les enfants qui d'abord se moquaient du cyclope se sont réfugiés dans les magasins. Les autres passants se tiennent à distance.

Le deuxième pavé s'est écrasé à quelques mètres du premier. Hurlements, halètements, soupirs déchirants. Chocs des pierres sur la terre battue. La cerise tourne à la prune. Les gestes se font plus lourds, les cris plus fréquents que les jets.

Le commissaire de police et un agent tentent une prudente approche. De loin, ils crient : "- Jourde, calme-toi. Ta maman est prévenue."

La réplique de la prune est directe : " -Ta gueule, Copienne."

Et un pavé siffle en direction des uniformes. Repli et conciliabule.

De l'autre côté de la place, une vieille dame avance vers Goliath.

"-Qu'est-ce que tu fous encore, m'gamin ?"

Et un sourire fend la prune. Jourde sanglote, ses bras tombent au sol. La vieille prend son gros garçon par le bras et l'emmène.

Les enfants sortent des magasins, les conversations reprennent. Les forces de l'ordre se retirent.

Sur la place, une sculpture en pointillé, un ruisseau de pavés, un petit chaos.

Fromont, Tartine rôtie, 2006