L’Europe roule à plusieurs vitesses

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Lundi 25 novembre

 Le monde britannique des arts et des lettres est entré en campagne. Ken Follett, célèbre auteur de succès de librairie, a toujours été socialiste. Son épouse fut même députée pour le parti travailliste. Ils souhaitent donc une victoire de leur famille politique mais ils ne veulent pas de la tendance Jeremy Corbyn au 10, Downing street. Lee Child, grand auteur de polars, a demandé la nationalité irlandaise. Si Boris Johnson reste au pouvoir, ce sera par défaut. La pire des situations.

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 Arte programme « Le train sifflera trois fois ». On ne se lasse pas de ce western psychologique réalisé en 1952, et conçu en temps réel. On ne s’en lasse pas, car les scènes qu’il propose ne vieillissent pas. Si elles se déroulent dans un petit village de planches chez les cow-boys, elles dégagent néanmoins une étonnante universalité permanente. L’hypocrisie des suiveurs selon la tendance du moment, le petit commerçant qui préfère un pouvoir fort et injuste parce que ses affaires marchent alors mieux, le défenseur de la loi par-dessus toutes les compromissions, les taiseux qui n’en pensent pas moins, les perfides qui se cachent derrière leur petit doigt, la solidarité à l’épreuve du temps, l’affection à l’épreuve de la solidarité, etc. Plus prosaïquement, le courage et la lâcheté. Bien entendu, le cinéphile ajoutera la formidable prestation de Gary Cooper (1901 – 1961) et celle, encore fragile – c’est la première – de Grace Kelly (1929 – 1956 fin de sa carrière au cinéma - 1982). Mais il faudrait un jour consacrer une rétrospective au réalisateur, Fred Zinnemann (1907 – 1997), dont tous les films s’inscrivent dans un reflet de la dignité humaine dont les sociétés ont toujours besoin.

Mardi 26 novembre

 Les Hongkongais ont eu l’occasion de s’exprimer par les urnes plutôt que dans la rue, grâce à des élections locales qui se traduisirent en un raz-de-marée démocratique puisque le parti pro-Pékin a recueilli moins de 10 % des voix. La joie éclate chez les vainqueurs. Elle sera sûrement de courte durée. En visite à Tokyo, le ministre des Affaires étrangères a simplement commenté le résultat par un rappel : « Hong Kong fait partie de la Chine ». Est-ce clair ?  

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 Angela Merkel s’adresse à Emmanuel Macron : « Je comprends votre désir d’une politique perturbatrice. Mais j’en ai marre de ramasser les morceaux. Encore et encore, je dois sans cesse recoller les tasses que vous avez cassées pour que nous puissions ensuite nous asseoir et prendre une tasse de thé ensemble. » (Cité par The New York Times)

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 Le deuxième film de Nicolas Bedos (« La Belle époque ») montre que l’humoriste brillant et provocateur, désormais quelque peu assagi, n’a pas son pareil pour mettre en scène la nostalgie. Toute de grâce et de charme, la plongée dans les années de jeunesse de ses personnages, conscients de leur virtualité, transforme en histoire émouvante ce que l’usure du romantisme avait provoqué. On sent que les premiers rôles (Arditi, Ardant, Auteuil et Canet) se sont trouvés heureux d’être dirigés dans une aventure ludique et délassante, où chaque jour de tournage devait s’accomplir en une atmosphère d’amitié, même si des moments d’énervements ont forcément dû naître. Et puis il y a Doria, la Doria, l’étincelante Doria Tillier. Elle, en revanche, ne doit pas être de tout repos sur un plateau, et l’on peut imaginer qu’elle a parfois compliqué la vie de son Nicolas. Ils ne vieilliront pas ensemble, c’est sûr, et c’est pour cela qu’ils s’inventent des jeux de destins. Mais si la fragilité de la passion aura raison de leur couple, leur duo devrait encore apporter au cinéma français quelques grandes et belles heures. Le climat Lelouch est occupé à faire école.  

Mercredi 27 novembre

 Et maintenant, Gauguin. Le New York Times interpelle les conservateurs de musées américains en se demandant si les œuvres de Gauguin doivent encore être montrées, compte tenu des libertés sexuelles qu’il prit aux Marquises dans les douze dernières années de sa vie. La National Gallery de Londres, qui lui consacre une exposition, a prévu d’alerter ses visiteurs sur les actes de « pédophilie » que Gauguin aurait commis en tant qu’ « Occidental privilégié ». Il faut arrêter cette vague de puritanisme, toute affaire cessante. Des tribunes libres dans les principaux journaux francophones, un appel via Internet, une pétition ? Il faut que des voix respectables et respectées se lèvent.

Jeudi 28 novembre

 Ce n’est pas d’aujourd’hui que Bologne entretient un foyer d’idées progressistes. La capitale d’Emilie-Romagne a toujours occupé une place importante dans l’histoire de la gauche italienne. Voici qu’elle voit naître un mouvement s’affirmant contre les populistes, décidé à s’opposer à Salvini qui continue, en vociférant, à mobiliser les foules. Cela est réjouissant mais laisse un peu rêveur. Tout est spontané, y compris l’appellation : Le Mouvement des Sardines … Ce qui était une initiative sérieuse mais conduite sur un ton ludique prend déjà des proportions qui dépassent les géniteurs. Soit. Le temps des mouvements peu structurés semble être le fruit de la vie sous informatique. On suivra celui-ci avec sympathie. Mais où ? En cette fin de semaine, Anvers, Berlin, Amsterdam, Rotterdam, Dublin, Londres, Paris mais aussi Boston et San Francisco devraient connaître des rassemblements de Sardines ! 

Vendredi 29 novembre

 Pour donner un nom au pavillon français de la prochaine exposition universelle, Régis Debray imagine une compétition entre Hugo et Stendhal et trouve ainsi l’occasion de disserter, à son tour, sur celui qui apparaît au cimetière Montmartre sous le patronyme « Arrigo Beyle », assorti d’une qualité : « Milanese », tandis que l’autre dort au Panthéon. Rien que cette différence de sépulture montre combien la joute est disproportionnée. Hugo, c’est Paris et l’Océan ; Stendhal, ce sont les salons italiens et les femmes qui les fréquentent. Mais au plan de la puissance littéraire, il y a des points à souligner de part et d’autre qui relèvent du génie. Debray s’’appuie sur son prétexte pour dégager, d’une façon magnifique, une étude lumineuse et magistrale. En fait, le rôle de l’âge est fondamental dans cette exploration parallèle. Tout adolescent versé un peu dans la littérature aura un jour rêvé d’être Fabrice, ou bien se sera inspiré de Julien. Dans le chemin de la vie, c’est le proscrit de Guernesey qui s’impose à l’adulte. Le verdict va de soi : Stendhal obtient une très bonne cote mais Hugo est hors catégorie. La réjouissance de la lecture alimente une autre réflexion. Au fond, chez nos voisins, le choix du représentant national va de soi : Shakespeare, Goethe, Dante, Cervantès dominent. La France constate le luxe de l’embarras. Hugo et Stendhal certes, mais pourquoi pas Montaigne, Balzac, Molière, et tant d’autres encore ? 

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 De Caroline Fourest dans Marianne : « Jadis le désir de censure venait de la droite. Désormais, il est porté par la gauche. La régression liberticide cumule les deux camps. Nos libertés reculent sous l’action conjointe de la droite autoritaire et de la gauche identitaire. » Eh oui, les extrêmes se rejoignent. Cela aussi, l’Histoire nous l’a souvent appris…

Samedi 30 novembre

 Macron avait jeté un pavé dans la mare en prétendant que L’OTAN était « en état de mort cérébrale ». Une vérité qui a pu blesser, déranger surtout, mais qui eut le mérite de bousculer.  Erdogan, aujourd’hui, déclare que Macron est « en état de mort cérébrale ». Outre qu’il n’est vraiment pas le mieux placé pour défendre le Traité de l’Atlantique Nord, le sultan turc a raté une belle occasion de se taire. Sa réaction est tout simplement bête. Elle révèle un colosse en plein désarroi. On pourrait le voir bientôt vaciller.

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 Des attentats gratuits aux Pays-Bas, à Londres… Juste le plaisir de tuer pour tuer… Les premiers marchés de Noël ouvrent leurs portes dans les villes européennes sous la surveillance de militaires armés. La douce nuit sera-telle sainte ? La sainte nuit sera-t-elle douce ? Une seule certitude : en cette date-là, les jours allongeront.

Dimanche 1er décembre

Le nouveau trio européen a donc pris ses fonctions : Ursula Von der Leyen à la présidence de la Commission, Charles Michel à la présidence du Conseil et Christine Lagarde à la présidence de la Banque centrale. On dit qu’ils représentent la dernière chance pour l’Europe. Pourquoi les charger d’emblée d’un pareil fardeau ? L’Europe n’est pas en « état de mort cérébrale » comme l’OTAN vu par Macron. Elle doit progresser pour exister. Et pour progresser, elle doit fonctionner à plusieurs vitesses. C’est la partie fondamentale dans la feuille de route du trio. Ils en sont parfaitement conscients, c’est sûr.

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 Saskia Esken et Norbert Walter-Borjans. C’est le couple que les sociaux-démocrates allemands se sont choisi pour diriger le SPD. Ils se tiennent joyeusement par l’épaule et posent en vainqueurs de l’élection interne. Certes, elle est députée ; certes, il fut ministre des Finances de Rhénanie-Westphalie. Mais à les voir réjouis devant le congrès qui les applaudit, on a plutôt l’impression qu’ils ont remporté le gros lot à la tombola de la fête de la bière… Ils représentent l’aile gauche du SPD, celle qui remet en cause l’alliance avec la CDU-CSU pour constituer « la grande coalition ». Dès la fin de la semaine, un nouveau congrès évaluera le bilan de cette grande coalition et décidera de poursuivre la législature ou de l’interrompre. L’extrême droite se frotte déjà les mains.

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 Il y a trente ans, le 1er décembre 1989, trois semaines après la chute du Mur de Berlin, Mikhaïl Gorbatchev était reçu au Vatican par le pape Jean-Paul II. Á cette époque-là, le cher Jean-Pierre Verheggen, le plus talentueux de nos irréguliers du langage, figurait parmi les titreurs du journal Libération. C’est sa proposition qui fut retenue pour la une : « Urbi et Gorbi ».

Lundi 2 décembre

 Vu les prises de conscience qui éclosent sur tous les continents, on a vraiment le sentiment que les travaux de la COP 25 qui s’ouvrent pour deux semaines à Madrid ne peuvent tourner à l’eau de boudin. Ceux qui les feraient capoter pourraient bien être contraints à la retraite anticipée.

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 La zone euro supprime l’utilisation des pièces de 1 et de 2 centimes. Centimes, et pas cents, comme on l’entend trop souvent aux caisses des grands magasins comme aux guichets des postes. C’était une belle idée, celle de Giscard, de choisir comme nom Écu pour la monnaie commune. Ce fut jugé trop intellectuel sans doute… 

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« Les Misérables », un film de Ladj Ly. Dans les bistrots parisiens où l’on s’encanaille, les joyeux clients répètent volontiers que leur Ville est unique, et qu’au-delà du boulevard périphérique, on est à l’étranger. Ils sont en-dessous de la vérité. Parfois, ce n’est pas l’étranger, c’est l’enfer. Comme à 15 kilomètres à l’est, à Montfermeil. Dans la cité des habitations à loyers modérés, la vie quotidienne est haletante et violente. Ceux qui en doutent n’ont plus qu’à voir le film.

Mardi 3 décembre

 Avec « The Irishman », Martin Scorsese a réalisé… Un film de Martin Scorsese. Trois heures trente de rebondissements et de suppositions malsaines entre la mafia, le pouvoir politique, des citoyens apeurés, d’autres effrayés, et d’autres enfin qui n’en pensent pas moins… Un bon film sur la pègre doit réunir l’argent et le crime. Il y en a. Il doit aussi répandre le sang de la trahison. Il y en a aussi. Et pour qu’il soit pleinement réussi, l’humour cynique, l’humour caustique doivent dominer les scènes. C’est là que l’on n’est pas en présence d’un Scorsese banal. Car il a confié les rôles principaux à Robert De Niro embarqué dans les intrigues avec Al Pacino, magnifique dans le rôle du syndicaliste nixonien Jimmy Hoffa, et quelques vieux interprètes de gangsters comme Joe Pesci. Quatre grands Italo-étatsuniens de talent, tous septuagénaires avancés, se sont fait plaisir. D’autres, plus jeunes, comme Bobby Cannavale, assurent la relève.  C’’est un régal. Pour qui aime ce genre de film, bien entendu.

Mercredi 4 décembre

 Cette photo de famille, prise à l’issue de l’assemblée de l’OTAN, où la reine Elisabeth, assise au premier rang à la place d’honneur, coincée entre le secrétaire général Jens Stoltenberg et Boris Johnson, agrippée à son sac sur les genoux !...  Comme elle paraît frêle ! Et dire que ce sera peut-être sa dernière photo officielle…

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 La langue de Sacha Guitry, si limpide malgré des allusions imagées ou ironiques, est sans cesse en éveil. Aucune réplique n’est banale. Cependant, certaines pétillances bien cachées peuvent être débusquées. Il appartient alors de les inclure à dessein dans l’intonation. Est-ce le boulot du metteur en scène ? Oui, mais pas seulement. Le comédien qui dit perçoit, sent mieux que celui qui lit les raffinements de la parole du maître. Jean-Pierre Darras servait admirablement le texte de Guitry. Michel de Warzée le rend très bien aussi. Á la Comédie Volter, il interprète le rôle principal dans « Une folie ». Son talent émoustille la soirée, tandis que la prestation de sa partenaire, Stéphanie Moreau éclate en digressions sentimentales insouciantes. 

Jeudi 5 décembre

La France est à l’arrêt. Une grève générale massive la bloque de toutes parts. Certains secteurs, comme la RATP, ont annoncé que le débrayage se poursuivrait au moins jusqu’à la fin de la semaine. La réforme des retraites, cause de la mobilisation, peut être la grande affaire du quinquennat. Mais une question reste, planante : est-il possible de supprimer un avantage social parfois durement acquis ? En 1995, le tandem Chirac-Juppé s’était cassé les dents sur le sujet. Rien ne dit que le tandem Macron-Philippe s’en sortira mieux. Mais le temps passe et les temps changent…  

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 « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin, et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un Prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles. » (Umberto Eco, 1832 – 2016)

Vendredi 6 décembre

 Il y a 49 ans, le 7 décembre 1970, Willy Brandt, chancelier d’Allemagne fédérale, s’agenouillait devant le monument aux morts du ghetto de Varsovie. Aujourd’hui, Angela Merkel visite le camp d’Auschwitz. La repentance des chefs d’État prit naguère des allures dont le coutumier frôlait parfois l’impudence. Le nazisme a développé des horreurs tellement inimaginables qu’un geste solennel d’une personnalité allemande est quant à lui toujours apprécié. On observe les pas lents du visiteur, on médite sur la genèse de cette horreur que l’on ne parvient pas à raisonner, la sachant pensée, élaborée, suivie et assumée par des êtres humains normaux, et l’on se demande comment il est possible de mettre en doute l’existence de ces actes insensés, comment, ici et maintenant, d’autres êtres humains réputés sains d’esprit peuvent encore se réclamer de ce mouvement au dogme épouvantablement monstrueux.

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Écrivain et peintre de culture musulmane, Tahar Ben Jelloun a réalisé les vitraux de la petite église du Thoureil, dans le département du Maine-et-Loire. On y découvre des couleurs vives comme celles que les paysages du Maroc révélèrent aux impressionnistes et celles qui ornaient en son temps les murs de ce lieu saint du XIIe siècle. L’ancien président d’Arte, de l’Alliance française et d’autres associations culturelles, Jérôme Clément, a dû être séduit par la douceur angevine chère à Joachim Du Bellay car s’étant retiré là-bas, sur les bords de la Loire, il est même devenu conseiller municipal. Et c’est à ce titre qu’il parraina cette superbe initiative. Quand on sait qu’il est de père catholique et de mère juive, on ne peut que souligner une harmonie que seule, une laïcité vécue peut procurer.

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 Saint-Nicolas est fêté dans plusieurs pays d’Europe du Nord, en France presqu’exclusivement en Alsace et en Lorraine. Prétendre qu’il a une tête de Turc serait désobligeant. C’’est pourtant à Patare, en Lycie, que naquit Nicolas de Myre, en 270. Il combattit l’arianisme au premier Concile de Nicée. D’autres Nicolas pourraient être sanctifiés. Pensons à Bedos, Boileau, Canteloup, Copernic, Condorcet, Dupont-Aignan, Fouquet, Hulot, Maduro, Peyrac… Quoiqu’un autre les supplante tous : Sarkozy, évidemment.

 

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