La démocratie américaine en danger

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Samedi 26 septembre

 Moustapha Adib semblait répondre à la stature idéale de Premier ministre pour diriger le gouvernement de relance dont le Liban a grandement besoin. Nommé le 31 août, il aurait pu ainsi justifier l’empressement d’Emmanuel Macron qui aurait accompli un acte diplomatique conséquent, donnant à la France une belle justification de sa présence sur la scène internationale. Hélas ! Adib jette l’éponge. Il adresse même des excuses au peuple libanais eu égard à son incapacité à former un gouvernement. Ce serait le Hezbollah qui l’en empêcherait. Á force d’être tout puissant dans l’ombre, ce mouvement chiite finit par gagner de plus en plus d’influence dans ce pays. Si Macron veut reprendre la main et trouver une solution, il devra peut-être négocier avec Téhéran.

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 En 1989, la ville de Liège pouvait être considérée en faillite. Ses fonctionnaires étaient payés en retard, les travaux de voierie élémentaires avaient été interrompus, tout ce qui dépendait de l’administration communale était en déliquescence. Ainsi, les 14 musées appartenant à la ville avaient fermé leurs portes, faute d’être entretenus. Le budget très serré fit naître du lot d’inquiétudes une idée intéressante : vendre le Picasso. La ville de Liège détenait la seule œuvre de Picasso figurant sur le territoire belge. Il s’agissait de « La Famille Soler », un tableau acquis en 1939 à la vente de « L’art dégénéré » à Lucerne afin de financer l’effort de guerre des nazis ; une réplique du fameux « Déjeuner sur l’herbe » d’Édouard Manet (1863) où Picasso avait mis en scène son tailleur et sa famille contre 9 costumes durant sa période de vache enragée. Ce n’était donc pas un tableau représentatif de son œuvre, mais Picasso jouissait en 1989 d’une cote inouïe, stratosphérique, poussée à l’indécence ; on ne sait trop pourquoi. Les grandes salles de vente sollicitées, l’une d’entre elles offrit 1,8 milliards de francs belges (45 millions d’euros) pour acquérir la toile sans devoir s’engager à la mettre en vente. Les citoyens liégeois ne connaissaient pas leur richesse ; la plupart d’entre eux ne savaient même pas que leur ville possédait un Picasso… Un vaste débat naquit autour du principe de dilapidation du patrimoine. Les partisans de la vente insistaient sur le fait d’une situation exceptionnelle, que cette décision ne devait pas devenir une pratique courante, que la cote anormale de Picasso pouvait permettre cette transaction inédite et unique, et que cela pouvait être expliqué facilement à la population. Une banque s’était engagée à fournir chaque année des intérêts supérieurs à l’ensemble du budget de la Culture de la ville si l’on déposait cette somme à terme renouvelable de 10 ans. L’affaire ne se concrétisa cependant point, non pas à cause des multiples divergences qu’elle causa, mais parce que le ministre exerçant la tutelle des communes, André Cools, socialiste, exigea que le résultat de la vente ne soit pas seulement consacré au département de la Culture mais à l’ensemble des finances communales, ce qui devenait évidemment inconcevable.

 Aujourd’hui, un débat équivalent divise les milieux artistiques londoniens. Vendre un Michel-Ange ou licencier 150 salariés, tel est le dilemme auquel est confrontée la Royal Academy of Arts. Le bas-relief « Tondo Taddei » serait estimé à plus de 110 millions d’euros. Dans son communiqué, le musée londonien précise qu’au-delà du geste social, ce serait aussi l’occasion de « préserver la collection permanente de sorte que les générations présentes et futures puissent l’admirer ». C’était un argument identique développé par les Liégeois favorables à la vente. Á suivre, car on imagine Boris Johnson moins précautionneux que les édiles liégeois et partant pour la vente du Michel-Ange, d’autant plus qu’on sait la Tate Gallery en grosses difficultés financières elle aussi.

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Une attaque à l’arme blanche près des anciens locaux de Charlie-Hebdo. C’était hier, pendant que Prout-ma-chère et Chérubin Saint-Esprit se rendaient aux vêpres en maudissant ce malotru de Nicolas Bedos. 

Dimanche 27 septembre

 Il n’y a pas de raison objective pour que Donald Trump se passe de désigner la personne qui devrait succéder à la défunte Ruth Bader Ginsburg, l’icône féministe qui était au faîte de la plus importante juridiction du pays. Aucune retenue sauf, bien entendu, l’élégance chevaleresque, puisque l’on est à 37 jours de l’élection. Mais espérer une élégance chevaleresque de la part de ce triste sire, c’est pisser dans un violon. Mr. President a donc désigné Amy Coney Barrett à ce poste. Le Sénat est appelé à ratifier ce choix avant le 31 octobre.  Trois caractéristiques de l’impétrante potentielle reviennent dans les portraits : c’est une fervente catholique pratiquante, elle est opposée à l’avortement et elle est favorable au port d’armes libre. Qu’elle soit anti-avortement, cela peut se comprendre ; mais se revendiquer pour la vente et le port d’armes libres quand on se prétend et s’affirme catholique, c’est beaucoup plus difficile à concevoir. L’avis du pape François serait le bienvenu.

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 Macron n’en fait-il pas trop ? Qu’il s’occupe des affaires intérieures du Liban, passe encore ; l’histoire commune que le pays du cèdre entretient avec la France l’explique et, peut-être même, le justifie. Mais sur la route de la Lituanie et de Lettonie, il déclare tout à trac : « Il est clair que Loukachenko doit partir. » Même si l’on partage son souhait, on doit reconnaître qu’il procède à une immixtion injustifiable dans un pays indépendant. Et quand il ajoute : « Je suis impressionné par le courage des manifestants », on serait en droit de lui demander s’il parle ici des Gilets jeunes.

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 Sarah Gavron est présentée dans le monde cinématographique comme l’héritière de Ken Loach. Il est un fait qu’elle explore la dimension sociale un peu à la manière de son illustre aîné, en mêlant documentaire et fiction, en ne choisissant pas beaucoup d’acteurs, préférant des personnes de la vraie vie interpréter leur propre rôle, en explorant les misères peu tues, et toutefois délaissées, d’une fraction de la population que l’on doit encore appeler le peuple. « Rocks » montre la vie d’adolescentes livrées à elles-mêmes dans un quartier pauvre de Londres, où la solidarité parvient à émerger d’un manque permanent, déclenchant une sororité vécue aussi bien dans l’école que dans la rue ou à la maison, le soir, avec la complicité des parents. Quand il y en a…

Lundi 28 septembre

(Voici la Journée mondiale du Droit à l’Avortement. Á l’heure où l’islam voudrait imposer ses vues sur la société occidentale, il est crucial de libérer la femme arabe de contraintes inadmissibles dans nos sociétés. Cette libération passe tout naturellement par l’octroi de droits affirmés. La sensibiliser à la signification de cette journée serait une action militante efficace, à l’instar de celle du Centre d’Action Laïque de Belgique qui, autrefois, publia une brochure présentant la Déclaration des Droits de l’Homme en langue arabe)

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 Une guerre se prépare entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. C’est un conflit à l’ancienne, motivé par une expansion territoriale causée parle Haut-Karabagh. Un nouveau jouet pour Vladimir Poutine et Recep Erdogan.

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 Côté Covid, l’Italie se porte mieux que le reste de l’Europe. La crise sanitaire y est gérée positivement, y compris au plan social. Les camions militaires réquisitionnés en guise de corbillards pour emmener les cercueils au cimetière de Bergame ne sont plus qu’un mauvais souvenir de printemps. Ce qui est le plus étonnant, c’est que le facteur permettant les bons résultats repose sur un civisme remarquable de la population. « L’Italien, disait Cocteau, est un Français de bonne humeur ». Le voici tout à coup citoyen plus vertueux. Tout change.

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 Parlez-moi d’amour. C’est ça, parlons-en… « Les choses qu’on dit les choses qu’on fait », ou comment écrire le scénario d’une histoire emberlificotée, en réaliser un film et parvenir à faire en sorte que tous ces faits étonnants pourraient refléter une réalité. Pari réussi pour Emmanuel Mouret. Une confirmation : Vincent Macaigne parfait pour les rôles de candides ou d’ahuris.

Mardi 29 septembre

 Il faudra patienter jusqu’à demain matin pour recueillir les échos du premier face-à-face Biden-Trump, un match qui, espérons-le, dégagera une certaine hauteur. L’événement va déclencher des salves de commentaires qui ne s’interrompront plus jusqu’au verdict.  Marie-Cécile Naves, spécialiste des États-Unis à l’IRIS (Institut de Relations internationales et stratégiques), estime que « le sentiment anti-Trump ne suffira pas à Joe Biden pour l’emporter ». On le pressent effectivement. Mais quoi ? L’homme n’a pas été assez nul, pas assez voyou, pas assez féru de manigances, pour dégoûter suffisamment d’électeurs ?

Mercredi 30 septembre

 « Le plus redoutable de tous les maux qui menacent les États-Unis naît de la présence des Noirs sur leur sol. » (Alexis de Tocqueville)

 « Ce n’est pas quand il a découvert l’Amérique, mais quand il a été sur le point de la découvrir, que Colomb a été heureux. » (Fiodor Dostoïevski)

 « Les États-Unis d’Amérique forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence sans jamais avoir connu la civilisation. » (Oscar Wilde)

 « Il a fallu que Colomb partît avec des fous pour découvrir l’Amérique. Et voyez comme cette folie a pris corps et durée. » (André Breton)

 « Il n’y aura plus ni repos ni tranquillité en Amérique tant que le Noir n’aura pas obtenu ses droits de citoyen. Les tourbillons de la révolte continueront de secouer les fondations de notre nation jusqu’au lever lumineux du jour de la Justice. » (Martin Luther King)

 « L’Amérique, maintenant, c’est Freud, l’angoisse, le doute et la merde. » (Romain Gary)

 « Argent, Dieu et culpabilité. Voilà le trio gagnant de l’Amérique. Et aucun d’entre nous n’arrive jamais à s’en libérer totalement. » (Douglas Kennedy)

 « L’Amérique n’a pas d’idéologie puisqu’elle en est une. » (François Furet)

 « Il ne faut jamais sous-estimer la terreur de l’Amérique blanche à l’idée d’une société où l’égalité raciale serait devenue la loi. » (Stephen King)

Jeudi 1er octobre

 Aucun commentaire ne diverge des autres : le débat entre Trump et Biden fut calamiteux. Un tour d’horizon de la presse étatsunienne et des principaux journaux internationaux conduit France Inter à la conclusion inévitable : « Un seul perdant : la démocratie américaine ». Et c’est bien là le danger.

 Le mensuel Philosophie Magazine publie un dossier remarquablement élaboré sur les États-Unis d’aujourd’hui, annoncé grâce à une couverture attirante, clin d’œil posthume à Tocqueville. Poètes, historiens, politologues décrivent et décortiquent une société en pleine déliquescence qu’une réélection de Trump enverrait à sa perte. ; et que l’élection de Biden obligerait celui-ci à réhabiliter d’abord vis-à-vis d’elle-même.

 C’est dire que si la révolution d’octobre, expression fort usée, ne convient pas à cette grande démocratie qui se cherche pour une part une dignité à recouvrer, la réflexion des citoyens durant le mois qui s’ouvre devra les conduire trois jours plus tard à une attitude qui ne déterminera pas que leur avenir mais qui augurera de leur destin et de la place que les générations suivantes occuperont dans le village planétaire. La réflexion d’octobre est donc lancée. Elle sera désormais permanente jusqu’au Jour des Morts.

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 Fondé par François Cavanna et le professeur Choron, Charlie-Hebdo a 50 ans. Libération lui consacre la totalité de son édition en accueillant ses journalistes et ses dessinateurs pour commenter ou illustrer l’actualité du jour. C’est un anniversaire que l’on aurait aimé pouvoir fêter avec Cabu, Tignous, Wolinski et les autres, tous ceux qui furent abattus le 7 janvier 2015 parce que leurs traits de crayons dérangeaient les fanatiques du Coran. Riss, l’actuel directeur, propriétaire du journal, qui tente de lui redonner ses lettres de noblesse avec de nouveaux complices, se montre intransigeant sur la question de la liberté d’expression. Celle-ci est totale ou elle n’est pas. Par-delà cette obsession d’exister à tout prix sans entraves à la volonté de dire, de dessiner ce que l’on ressent, ce que l’on veut, c’est un pilier de la République dont la France peut tirer fierté qui résiste aux assauts de l’intolérance nourris et encouragés par l’engagement religieux. C’est pourquoi Charlie-Hebdo se définit comme un journal satirique et laïque, revendiquant la possibilité d’ironiser sur toutes les pensées, toutes les croyances, sans aucune distinction, et par n’importe quel temps.    

Vendredi 2 octobre

 Le dossier que consacre Philosophie Magazine à l’Amérique (entendons les États-Unis) pourrait bien constituer un repère, d’autant plus pertinent que des tonnes d’encre et de papier vont commencer à être déversées dans l’opinion publique en fonction de l’échéance du 3 novembre. Car indépendamment des enjeux cruciaux qui ne détermineront pas seulement l’avenir de cette grande nation mais aussi l’orientation de son destin, l’ensemble des analyses et des témoignages s’attache aussi à des phénomènes, souvent des périls, qui menacent toutes les démocraties, et les européennes en particulier. Ainsi par exemple, Nolan Higdon, historien et professeur spécialiste des médias, développe le fait que les fake news ne sont pas liés à la personnalité de Trump mais que le mal concerne déjà toutes les démocraties connectées ; on découvre aussi combien la question raciale, les options religieuses s’immiscent dans la lutte des classes toujours bien prégnante.

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 Et puis, juste après le dossier du cahier central, vient un entretien de Martin Legros avec Michael J. Sandel qui couronne l’ensemble. Le philosophe de Boston publie un ouvrage qui ne paraîtra en français que l’an prochain (éd. Albin Michel) sous le titre « La Tyrannie du mérite ». C’est une remise en cause radicale du principe de méritocratie au profit du bien commun dont le récent confinement a révélé la concordance. Tous ces « petits métiers » qui se montraient si « essentiels » à ni plus ni moins que la survie… Au total, ce n’est pas la mondialisation qu’il faut combattre – combat vain par avance du reste – mais les gagnants de la mondialisation, ceux qui s’enrichissent parce qu’ils sont les mieux placés, pensant ou étant ainsi réputés être les plus talentueux. Sandel revient à la pensée de Rawls, qui insiste sur le fait que l’éducation et les chances qu’offre la société comptent davantage que le talent. Á retenir quand ce livre sortira de presse.    

 

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