T’Zée, une tragédie africaine

L'as-tu lu,lulu?

Par | Journaliste |
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Une BD forte et envoûtante, chez Dargaud.

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Lecture 4 min.

Hasard des lectures, je refermais le livre de Jean-Pierre Langellier, « Mobutu », après une lecture attentive tant le récit de la vie du dictateur zaïrois est passionnant et voici que sortait cette magnifique bande dessinée « T’Zée. Une tragédie africaine ». Impossible de dissocier les deux.

La biographie est rigoureuse et en même temps, elle nous fait vivre de manière très sensible l’enfance, la jeunesse et l’évolution étonnante de ce jeune journaliste ami de Lumumba qu’il contribuera à faire assassiner, ce jeune militaire qui s’arroge petit à petit tous les pouvoirs dans un pays déstabilisé par les puissances coloniales et leurs soutiens.

Jean-Pierre Langellier a été pendant trente-cinq ans journaliste au monde et il a beaucoup « couvert » le Congo-Zaïre. Très précis, il a recherché le maximum d’informations sur ce personnage hors du commun modelé et piloté par les Etats-Unis, la France et bien entendu la Belgique qui en ont fait un rempart contre le « communisme » incarné par les grands leaders africains en lutte décoloniale. Un rempart surtout contre quiconque tenterait de s’opposer au pillage des richesses énormes de ce pays gigantesque par ces mêmes puissances. Mobutu est donc devenu le gardien de cette « chasse gardée » et il était très bien payé pour cela, une richesse qui lui servait en partie à corrompre la classe dirigeante politique et économique de son pays tandis que la population était maintenue dans la misère.

Lire ce livre permet de décoder mieux encore les difficultés énormes de ce pays à accéder à une certaine démocratie après plus de trente ans de dictature.

Avec T’Zée, le scénariste Apollo et le dessinateur Brüno ont réalisé une œuvre envoûtante. Ils n’ont pas voulu refaire une biographie. Ils ont réinventé un mythe, celui d’un dictateur dont la toute-puissance s’effrite, dans une culture encore largement inconnue de nous, faite de croyances aux forces naturelles et surnaturelles, à la magie de sorciers et des envoûteurs (dont, en effet, Mobutu ne pouvait se passer). Et sur ce fond de terreur, de révolte populaire, une tragique histoire d’amour entre un fils du dictateur et la belle maîtresse de celui-ci.

Il s’agit bien d’une « tragédie africaine » qui nous fait penser aux tragédies grecques qui ont modelé notre culture. On parlera plutôt de tragédie tellement humaine qu’elle est universelle. Comme sont universels, dans la longue histoire de l’humanité, les massacres, les révoltes, les corruptions mais aussi l‘héroïsme, l’amour, les légendes, les mythes. Une atmosphère ensorcelante très bien dépeinte par Brüno qui a choisi une gamme de couleurs sépia, brun, orange comme l’eau du fleuve et ses génies, rouge comme la folie du dictateur, vert comme la tristesse de la mort violente.

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Cette BD imprègne notre vision de l’actualité congolaise, particulièrement dramatique ces dernières années. Au moment où nos parlementaires terminent leurs travaux sur la mémoire coloniale, 700 pages, deux ans de travail, le devoir de mémoire devra s’exercer : reconnaître l’extrême violence de la colonisation, l’enseigner à tous, revoir notre politique étrangère et de coopération. « Le devoir de mémoire concerne aussi l’actualité », écrit Colette Braeckman, sans conteste la journaliste qui connaît le mieux la réalité du Congo, dans un édito du Soir, le 29 novembre 2022. « Le présent, justement, il ne s’impose pas seulement via les difficultés d’intégration de la diaspora, le racisme latent dont ses représentants sont encore les victimes. Il se rappelle à nous tous les jours via les souffrances des populations vivant dans les pays sur lesquels la Belgique exerça sa puissance coloniale ou sa tutelle. »

La Belgique a le devoir fondamental d’aider à l’instauration de la paix. Mais elle n’en fait rien ! (G.L.)

  • Jean-Pierre Langellier. « Mobutu ». Ed. Perrin. Coll. Tempus. Mars 2022.
  • Apollo. Brüno. « T’Zée. Une tragédie africaine ». Ed. Dargaud. Mars 2022.
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