La mort répétée de Jean Jaurès

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Chaudun, dans l'Aisne. Même les pacifistes meurent à la guerre. Photo D.R. libre de droit.

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Même dans l’hypothèse optimiste d’une négociation rapide aboutissant à une paix (ou à tout le moins à un armistice) entre la Russie et l’Ukraine, il est évident que les conséquences de cette guerre seront profondes et longues. L’histoire nous enseigne (mais qui l’écoute, qui la connaît?) que les haines recuites collent au fond de la casserole de l’avenir comme un ragoût brûlé. Russes et Ukrainiens ont un long passé commun, que cela plaise ou non; nombreux sont ceux des deux côtés qui ont de la famille de l’autre; il y a des traits de guerre civile dans ce désastre mais compliqués par un nationalisme que le conflit ne fera qu’exacerber.

La diabolisation dont Vladimir Poutine est l’objet risque de déteindre sur tout le peuple russe, qui lui aussi est à plaindre sur le long terme. Certes le péril de mort n’est pas omniprésent à Moscou mais y prononcer le mot guerre, euphémiquement appelée opération militaire spéciale, est dangereux pour sa liberté. Il n’y a plus de liberté d’expression. L’état est totalitaire. L’économie souffre, pas tant les fameux oligarques que les moins nantis et la classe moyenne, d’ailleurs, et pour spectaculaires et symboliques qu’elles soient, les confiscations des villas et des yachts à quelques dizaines voire centaines de millions d’euros n’empêcheront pas les très riches russes de continuer à s’enrichir. Le pari officiel est de faire pression sur eux: c’est illusoire. La classe moyenne supérieure, en partie, pourra probablement essayer de faire ce qu’elle peut pour virer Poutine, mais la plus grande partie d’entre elle aura le réflexe nationaliste qu’on observe toujours dans ces cas-là.

L’Ukraine est ravagée pour longtemps. Qui reviendra de l’exode? Qui reconstruira les villes détruites? Qui dira qu’il meurt sans haine en lui pour le peuple russe comme Manoukian le disait du peuple allemand?

Sortir d’une guerre est chose malaisée. Le traité de Versailles fut une erreur colossale qui amena un second désastre pire que l’horreur précédente. De façon générale, les traités, comme les promesses selon Chirac, n’engagent que ceux qui y croient. Prenons l’exemple de la Belgique, voulue à Londres peu après son indépendance perpétuellement neutre et en guerre trois quarts de siècle plus tard (le laps de temps qui nous sépare de la fin de la seconde guerre mondiale…). En réalité, toute solution est provisoire. Hitler parlait d’un Reich de mille ans qui fut ramené à douze. Yalta a tenu quarante-cinq ans. Le congrès de Vienne, quinze, moins même que le traité de Campoformio.

L’amnésie nous guette. L’un des drames mentaux de la guerre est qu’on s’y habitue. Le ministère de la guerre a fini par s’appeler ministère de la défense nationale, ou défense tout court. Mais l’euphémisation des termes, si elle est révélatrice de l’apparente désapprobation morale de toute guerre, n’a jamais empêché les réalités d’être terribles. Pourtant il faudra bien en finir. Sortir d’une guerre est encore plus difficile que la gagner; très souvent, elle soumet les générations suivantes au risque de la voir repartir. Il aurait mieux valu ne pas commencer…

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Et pendant ce temps-là, la planète continue à agoniser comme si ce débat-là pouvait être esquivé. La guerre obnubile, on l’avait oublié; on s’y permet en grand des actes qui à l’échelle de l’individu apparaîtraient comme des crimes. Où sont les pacifistes? Déconsidérés ou en train de combattre, les armes à la main. Jaurès est assassiné une nouvelle fois. Rappelons que l’homme qui le tua fut acquitté. Il s’appelait Vilain.

 

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