L'oxymore électoral

Charles Michel, le président de l'Union européenne, a félicité d'ores et déjà Vladimir Poutine pour sa brillante réélection à la présidence de la fédération de Russie avant même que le scrutin s'ouvre, ce vendredi. Cent dix millions d'électeurs concernés jusqu'à dimanche, en ce compris les populations des zones en conflit ou annexées. Quatre candidats, notons-le, et on oserait soutenir que ce n'est pas une démocratie, la Russie, bien loin de l'URSS? Mais les trois autres sont d'accord avec l'opération militaire spéciale, euphémisme poutinien pour guerre d'Ukraine et tout l'appareil d'état, médias compris, est rangée en bon ordre derrière le nouveau tsar de toutes les Russies, en passe de faire mieux que Staline lui-même. Et pour juger le degré de liberté, interdiction d'aller voter tous ensemble à midi pile, comme l'avait suggéré feu Alexei Navalny, vous feriez preuve d'un comportement extrémiste.

Bien conscient que le taux d'abstention pourrait le desservir, Vladimir Poutine a fait transformer la participation en loterie, où l'on peut gagner jusqu'à 100.000 roubles (un rouble vaut un centime d'euro) avec un peu de chance, et ses zélotes trimballent dans le Donbass les urnes pour aller jusque dans les foyers proposer le vote en toute sécurité - pensez, l'urne vient encadrée d'hommes armés pour la défendre, c'est bien connu, tous les Ukrainiens sont des terroristes fascistes, et il faut avoir le mauvais esprit des Occidentaux décadents pour imaginer qu'il s'agit d'un moyen de pression sur les citoyens.

Cependant cette manie qu'ont les dictateurs de parodier les scrutins libres et de se réclamer d'un inaliénable soutien unanime du peuple ne date pas d'hier. En fait elle remonte à Napoléon Ier. Et elle a survécu à gauche et à droite (pas rien qu'à droite) durant tout le XXème siècle et semble avoir encore de beaux jours devant elle, dérivant tout doucement du plébiscite vers le simulacre.