L'assiette du Giec

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Cela dit, est-il intelligent de remplacer la côte de bœuf local par du quinoa importé du Pérou? Tout est dans tout et inversement... Photo © Jean Rebuffat

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Le récent rapport sur l'utilisation des sols produit par le Giec a énormément fait parler de lui ces derniers jours parce qu'il contient des recommandations qui touchent à l'un des éléments les plus fondamentaux de notre mode de vie: l'alimentation. En gros, nous, gens des riches pays industrialisés, pourrions contribuer significativement à l'indispensable freinage du réchauffement climatique en changeant le contenu de nos assiettes, et singulièrement en mangeant moins de viande.

Je n'y suis pas opposé mais il faut tout de même éclairer le contexte général. Tout d'abord, observer que le résumé sur lequel ont travaillé les journalistes est bien entendu un texte de compromis. Il y a plus d'une centaine d'auteurs et le Giec, qui est un groupe d'experts intergouvernemental, fonctionne comme tous les grands machins, selon l'expression du général de Gaulle. On y cherche une voie consensuelle et on n'y est pas toujours insensible au pouvoir des groupes de pression. Les recommandations sont là pour alerter mais aussi dans la mesure du possible pour ne fâcher personne, même les éleveurs bovins. Il n'en reste pas moins que le réchauffement climatique ne pourra pas être maîtrisé sans un changement important des comportements individuels. Par exemple, pour émettre 20% de CO² en moins, il y a deux manières, pousser le constructeur de l'automobile a réduire la consommation de 20%... ou rouler 20% de moins. Imaginer un seul instant qu'en se contentant d'être consciencieux lors du tri de ses déchets ménagers, on va sauver l'espèce humaine, est futile. On sent bien, d'ailleurs, que le débat se déplace, comme par exemple dans la question de savoir s'il est bien utile de prendre aussi souvent l'avion. En même temps, on se réjouit des succès commerciaux d'Airbus. C'est comme le dilemme des pays exportateurs d'armes: elles fournissent tant d'emplois, ces petites choses-là... Construire des paquebots surdimensionnés, qui sont un pied-de-nez absolu à ce qui est désormais préconisé, c'est la prospérité à court terme pour des dizaines de milliers de personnes (qui les fabriquent ou qui y travailleront) et ne nous illusionnons pas sur l'inertie des processus. Avant que l'on change concrètement les choses, il faut d'abord une prise de conscience (là, nous y sommes), ensuite des changements à plusieurs niveaux allant des contraintes politiques (ne rêvons pas, il faudra une dose d'écologie punitive exactement comme il faut des radars le long des routes) jusqu'à l'acceptation de revoir effectivement ses comportements et la mise en place de nouveaux secteurs économiques.

Ce sur quoi il n'a pas été assez insisté, c'est qu'il convient d'abord de lutter contre le gaspillage. Ne pas jeter de la nourriture, comme il a toujours été dit avec de gros yeux en appui par tous les parents du monde.... Or on jette éhontément. L'étude parle de 30% qui finiraient à la poubelle. Produire plus n'est pas nécessaire si l'on consomme mieux. Et produire plus épuise les sols et participe à la déforestation massive, pousse à l'agriculture et à l'élevage intensif qui produisent des plantes et des animaux fragiles au mépris de la nécessaire diversité de leurs chromosomes. Donc il faut arroser énormément et user en quantités folles d'herbicides et d'insecticides dangereux pour notre espèce...

Il ne faut pas, néanmoins, tomber dans la mauvaise conscience et verser dans une sorte d'anorexie politique débouchant sur une misanthropie sinistre. Manger un brouet insipide n'est pas indispensable pour sauver le monde. Même si finalement, Henri IV avait raison: la poule au pot, c'est pour le dimanche. La langue anglaise nous montre au reste que lorsque le niveau de vie s'améliore, on essaie de copier les classes privilégiées. La noblesse mangeant de la viande à sa guise a donné depuis le français des mots comme beef alors que les bas morceaux, comme la queue, viennent de l'ox, à la racine germanique et sont destinés aux peu nantis. Ne nous étonnons pas dès lors si la consommation de viande explose dans les pays émergents et voyons comme un signe positif le fait qu'elle diminue en Europe; si ceux-là ont suivi un comportement que nous modérons, peut-être le modéreront-ils à leur tour quand les bonheurs de la profusion auront montré leurs limites. Il faut bien que quelqu'un commence!

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