Le dogme de la frontière intangible

Poing de vue

Par | Journaliste |
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On estime que plus de deux millions et demi de citoyens ukrainiens ont entamé un exode dont rien ne permet de mesurer la durée. Ici, la foule des premières centaines de réfugiés qui s'inscrivent à Bruxelles. L'afflux est tel qu'un centre plus grand va être ouvert incessamment. Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Il y a les principes et la réalité; il y a les droits proclamés et les conditions de leur application; il y a les leçons de l’histoire et ses interprétations; il y a les situations d’urgence et la nécessité d’une réflexion sereine. La guerre d’Ukraine voit cristalliser en elle et autour d’elle toutes ces notions, rendant précisément compliquée une réflexion dont l’expression risque de surcroît d’apparaître comme le soutien à tel ou tel camp, tant le manichéisme et le nationalisme s’accordent bien, renforçant leur union par les habitudes d’un monde où les réseaux sociaux adorent la caricature et versent volontiers, plus ou moins délibérément, dans la désinformation.

Ce préambule pour dire que ceci n’est en rien une prise de position, et encore moins, un soutien quelconque à une guerre d’agression qui, par un de ces douloureux paradoxes, s’appuie sur l’horreur mémorielle de la seconde guerre mondiale pour se justifier. Génocide, néonazi, le vocabulaire poutinien semble prendre le contrepied des valeurs du nazisme alors que le discours du président de la Russie semble décalqué sur celui d’Adolf Hitler, notamment en stipulant que l’Ukraine n’existe pas et fait partie du lebensraum russe.

Ceci pose le problème insoluble des frontières. Pensant que leur intangibilité était la meilleure des garantie de la paix, la seconde guerre mondiale terminée, il a été généralement admis qu’on ne touchera plus aux frontières existantes, contrairement à ce qui avait été fait jusque là dans l’histoire de l’humanité. Cependant, ces frontières ont été fixées en 1945 selon les rapports de force de l’époque. On a par exemple vu la Pologne dériver vers l’ouest. Depuis, en Europe, surtout ne touchons plus à rien. Ce qui n’a pas empêché maints pays de naître suite à l’effondrement du système soviétique, presque toujours par partition, l’Allemagne réunifiée constituant l’exception. Une nouvelle fois, les Balkans y démontrèrent leur difficulté d’être.

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Face à ce dogme, l’idéologie des Lumières et son corollaire, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, a mauvaise mine, jusqu’à l’intérieur des états, même ; il suffit de penser au Québec, à la Catalogne, à l’Écosse ou même à l’intangibilité de la frontière linguistique en Belgique pour s’en persuader. Or les états ne sont en général pas très homogènes. C’est le cas de l’Ukraine comme de bien des pays issus de l’URSS. Dans l’entrelacs des vieilles rancunes postsoviétiques, il est évident que les russophones ne sont pas portés haut dans tous les cœurs. Pour l’Ukraine, la question est patente depuis l’indépendance et est d’autant plus complexe qu’en 1954, la Crimée lui a été rattachée. Qu’est-ce qui est légitime? L’avis d’une population? Et comment le mesure ? Il ne fait guère de doute que la Crimée se sent plus russe qu’ukrainienne. Ou à l’inverse, la situation antérieure, dans des frontières qui ne sont jamais que la fixation de l’arbitraire de l’histoire?

L’opposition de ces deux sentiments peut mener droit à la guerre, on le voit bien, avec son cortège de morts, de destruction, de déchirements et ses risques de contagion. Et là ce sont les règles du plus fort qui prédominent. La guerre d’Ukraine risque de déboucher sur ce que la géopolitique contemporaine voulait éviter: la conquête de territoires par la force. Avec ce constat terrible que les pouvoirs de toute évidence démocratiques qui se sont succédé en Ukraine auraient certainement limité les dégâts en faisant des concessions plutôt avant qu’après (ou pendant) le conflit.

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