L'impossible indulgence

Poing de vue

Par | Journaliste |
le

Capture d'écran du site de France info.

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Une polémique, une de plus, secoue la France: le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, étant mis en examen, doit-il démissionner?

Ce qu'on lui reproche n'est pas rien: avoir fait louer par des mutualités bretonnes qu'il présidait un local acheté par son intermédiaire pour le compte de sa compagne. L'affaire n'est pas neuve et lui avait déjà coûté son poste de ministre, en fonction de la règle proclamée selon laquelle un ministre mis en examen démissionne. Les débuts du pouvoir jupitérien furent ainsi marqués par une avalanche de démissions minute. Cependant cette mesure n'a aucun fondement légal, et pour cause: la présomption d'innocence ne fait pas du mis en examen un coupable mais un suspect. À moins qu'il ne soit sous les liens du mandat d'arrêt ou d'autres mesures rarissimes de limitation de certaines activités par l'instruction, il peut continuer à faire ce qu'il fait ordinairement. C'est d'autant plus vrai dans ce cas que Richard Ferrand a déjà bénéficié d'un non-lieu... ce qui lui a permis de grimper au perchoir précédemment occupé par François de Rugy, parti pour le ministère de l'écologie.

Tiens tiens, François de Rugy! L'intense campagne de dénigrement qui avait suivi la publication de quelques rares dîners somptueux à l'hôtel de Lassay, résidence du président de l'Assemblée nationale, avait poussé l'ex-candidat à la primaire de la gauche à la démission, alors qu'il n'y a pas eu de mise en examen et qu'un rapport indépendant a ramené les méfaits de Rugy à leur vraie dimension, une peccadille...

Mais aujourd'hui, les peccadilles sont mortelles, quand on fait de la politique, et s'il est choquant, pour l'observateur de la vie publique, de voir confondus dans la même colère populaire un homard et les jetons bidonnés du Samu social, le soupçon et la preuve, l'enquête et la condamnation, c'est une exigence qui marque l'état actuel d'une longue et lente évolution des mœurs. Il y a trois mille ans, le piratage, l'attaque d'une ville voisine ou la guerre étaient perçues comme choses normales. Avant la Révolution française, la prévarication était en quelque sorte instituée via le système des fermiers généraux et la corruption par l'achat des charges. Que cet effort vers les critères actuels de l'honnêteté et de la transparence ait été accru par la capacité de bashing et de dénonciation des réseaux sociaux ne fait pas l'ombre d'un doute. Entendons-nous: cette moralisation est en soi un bien. Cependant ne pas s'interroger sur tous ses ressorts, y compris les plus douteux, débouche sur un totalitarisme potentiel et sur un arbitraire dont on voit aujourd'hui en France qu'il n'empêche pas le deux poids deux mesures. Surtout qu'il déborde très largement du cadre politique et qu'il oublie ce vieux diction latin, errare humanum est. L'indulgence impossible et la condamnation d'emblée, c'est tout de même ce contre quoi le système judiciaire a lutté depuis des siècles, en individualisant les peines et leur application, en élargissant les garanties de la défense, en surveillant le déroulement correct des débats et par encore d'autres moyens. La présomption d'innocence et la cour de cassation, pour ne prendre que ces deux garanties, sont issues de cette évolution-là. Mieux vaut un coupable en liberté qu'un innocent en prison, dit-on. En effet. Mais je ne suis pas sûr que l'opinion publique y soit sensible. Des preuves, on en trouvera et il n'y a pas de fumée sans feu emportent plus facilement l'adhésion.

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