L'urgence démasquée

Poing de vue

Par | Journaliste |
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La police, elle aussi, manifeste, en ayant marre du bashing médiatique. Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Une question que l'on peut se poser, à la sortie d'une crise sanitaire qui peut toujours revenir et qui sévit encore un peu partout dans le monde, concerne les polémiques, graves ou inattendues, qui ont marqué le confinement, comme si l'étouffement qu'il a engendré devait se combattre par des disputes et des manifestations, histoire de montrer dans l'urgence qu'on existe encore.

Loin de moi l'idée que ces questions débattues sont futiles. La mort d'un homme, des crises politiques ou des problèmes de société, voire d'histoire, tout cela compte et mérite qu'on en discute. Mais il y a une telle efflorescence que ce ne peut être le fait du hasard. Le problème est que l'impatience a pris le relais et que toutes les notions de bienveillance et de solidarité, de dévouement, de perspectives de renouveau, d'amélioration du sort de la planète, apparaissent s'évaporer plus vite que le Sars-Cov-2. Pire, si les égoïsmes reviennent, pour autant qu'ils fussent partis, d'ailleurs, c'est accompagnés d'une mauvaise foi punique, du genre de celle qui autrefois déclenchaient les guerres.

Ainsi en va-t-il de la situation politique en France et en Belgique. La République est en campagne pour le second tour des municipales; le Royaume vit depuis treize mois dans la perspective de devoir retourner aux urnes fédérales. L'Hexagone voit les alliances les plus improbables se nouer, comme par exemple à Lille où la droite appelle à voter Aubry ou ces fusions macronistes-verts; la terre du surréalisme invente de nouvelles façons d'essayer de sortir d'une crise dont toutes les portes sont fermées.

Que penserait un Martien démocrate débarquant à Bruxelles en cette fin juin 2020 après s'être fait expliquer la situation?

La Belgique a une chambre introuvable. Soit. Jusque là, pas de souci: l'histoire de l'Europe regorge d'exemples semblables. Le parti principal de la coalition précédente est sorti par la fenêtre et cela ne lui a pas réussi. Puis le Premier ministre s'en est allé présider l'Europe, laissant la clef du 16 de la rue de la Loi à une illustre inconnue qui devait juste gérer les affaires courantes. Après les élections, les trois partis coalisés qui la soutenaient disposaient du quart des sièges de députés: on peut vraiment parler de gouvernement minoritaire! Le roi consulte, nomme des informateurs, seuls ou en duo, des facilitateurs, des explorateurs, tout ce qu'on voudra: rien n'en sort. Aux exclusives succèdent les ukases. Les partis changent de président (si le gouvernement le fait bien...). Arrive le fameux virus: on ne modifie pas le gouvernement (comme par exemple en 1914 où le roi avait nommé des ministres au départ sans portefeuille pour y associer tous les partis, y compris le parti socialiste) mais dix partis le soutiennent de l'intérieur ou de l'extérieur. On vote les pouvoirs spéciaux. Surprise: la Première ministre s'en sort nettement mieux que prévu. Les partis qui soutiennent sont consultés dans un kern élargi (jargon dévoyé: un kern, en principe, mot venu du néerlandais dans le français de Belgique, c'est un noyau). Sortie de crise? La principale famille de l'opposition, les socialistes, qui soulignons-le au passage, dirigent avec des alliés et la Wallonie et Bruxelles, prennent l'initiative. Les récent et tout nouveau présidents que sont Paul Magnette et Conner Rousseau essaient de trouver une solution. Le nouveau président du MR, le parti de droite qui est au pouvoir et auquel appartient la Première ministre, crie au presque coup d'état, le péril rouge s'arrogeant les droits constitutionnels du chef de l'état. Pas du tout: le roi n'a pas ces pouvoirs quand il y a un gouvernement de plein exercice, ce qu'il va rester tant qu'il n'est pas renversé. Magnette et Rousseau émettent une nouvelle idée: un gouvernement minoritaire, mais de peu, qui engloberait les trois familles politiques traditionnelles. Bref la CDH et les socialistes des deux sexes linguistiques se joindraient aux libéraux et aux catholiques flamands, comptant sur un soutien extérieur éventuel, notamment en tablant sur la bienveillance des écolos. Non, tonne le frais émoulu Georges-Louis Bouchez, qui, oubliant ses imprécations des dernières semaines, décide avec son tout récent collègue du VLD et le nouveau président du CD&V (celui qui toujours une veste écossaise) d'y aller de sa propre mission, étant entendu que le gouvernement, c'est eux pour l'instant. Le kern élargi est désormais mort, quitté presque à son terme par la NVA, selon une habitude désormais bien installée, pour s'en aller voter au Parlement avec le parti flamand d'extrême-droite, le Vlaams Belang. Tout le monde a la sainte trouille des élections, c'est l'un des charmes de la démocratie, cher ami Martien. (Merci de conserver néanmoins la distanciation sociale, un mètre en France, deux au Luxembourg, un et demi ici, la Belgique est terre de compromis.) Pour meubler les temps morts, il y a des masques à laver à 30 degrés distribués partout alors que les spécialistes préconisent 60 et un rail pass à offrir à tous les Belges pour qu'ils (et elles) sauvent le tourisme local et se mettent à apprécier les transports publics. Que fait la société des chemins de fer? Se réjouir? Elle crie au fou en disant qu'on cannibalise ses recettes et que cela va lui coûter cent millions.

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Inutile d'aller plus loin: notre pauvre Martien, terrifié, a préféré ne pas s'attarder dans un pays aussi bizarre. Pourvu que sa soucoupe volante ne fonctionne ni aux énergies fossiles ni à l'énergie nucléaire: il risque de devoir multiplier les étapes avant de se poser à un endroit serein. Et pas le Sahara: il n'y a là presque personne, sauf des terroristes.

 

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