Sébastien Fillon et Néron Trump

Poing de vue

Par | Journaliste |
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François Fillon adore Andrea Mantegna. Saint Sébastien, c'est lui, et les flèches ce sont les articles de ces méchants médias. Pendant ce temps-là, Trump cherche ses allumettes. (Détail du tableau du Louvre)

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Ah qu'il est dur d'accéder au pouvoir ou d'y prétendre... Il y a toujours des empêcheurs de tourner en rond. Un juge, un journaliste, par exemple. Dénonciation en règle du tribunal médiatique et du gouvernement des juges: Trump et Fillon, même combat. Et mêmes erreurs.

Je pense que Donald Trump manque un peu de culture générale. S'il connaissait tant soit peu l'histoire de France, il saurait que le plus potentat de tous les potentats qui y exercèrent le pouvoir, à savoir Louis XIV, le Roi-Soleil (ne pas omettre les majuscules), voyait sa volonté limitée à la fois par le poids des traditions et des habitudes mais aussi par des institutions comme le Parlement de Paris, qui était en réalité un tribunal. Non seulement ce Louis avait-il dû le prendre, ce pouvoir, au prix d'un coup d'état qu'il estimait légitime (puisque l'état, c'était Lui...), mais encore eut-il à faire face à des oppositions, des dissidences et des limitations de tous ordres. Ce qui caractérise le potentat, c'est que ces menus détails l'agacent. Donald Trump gouverne par décrets et par tweets, confondant allègrement les uns et les autres. Il s'étonne, gronde et menace mais voilà: quand il outrepasse la loi, il y aura toujours un juge qui... Halte-là! La parade est aussitôt trouvée: non au gouvernement des juges! Ils ne sont pas là pour encadrer la politique mais pour condamner (sévèrement si possible)!

Certes, un gouvernement des juges, je n'en veux pas non plus. Tout pouvoir qui se prend pour plus qu'il n'est inquiète. Le concept de séparation des pouvoirs, pilier des Lumières et depuis, de nos sociétés, est en principe-là pour créer un équilibre. Penser cependant que la séparation est totale est illusoire. L'exécutif entraîne souvent le législatif, par exemple (et quand celui-ci renâcle, des astuces genre 49.3 existent...). Mais le législatif lui-même peut devenir un pouvoir judiciaire! Les fameuses commissions d'enquête parlementaire dont la Belgique, à tous les niveaux de pouvoir, est si friande, ce sont en réalité des juges d'instruction et elles en ont les pouvoirs. La Convention a jugé Louis XVI en s'estimant saisie du simple fait qu'émanant de la nation souveraine, elle en détenait tous les pouvoirs.

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Cet équilibre me fait penser au principe d'indétermination de Heisenberg: il est impossible de préciser absolument et la vitesse et la position d'une particule. Plus vous précisez l'une, moins l'autre est précise. Et la métaphore quantique est pertinente car le simple fait d'observer un phénomène perturbe celui-ci. L'observateur, en l'espèce, c'est la presse, au sens le plus large. Dans le monde de la presse comme partout, l'idée qu'on se fait de sa fonction est haute. L'amour-propre est aussi une composante de la conscience professionnelle. Le tout est d'éviter l'ivresse de l'altitude et justement de se prendre pour ce que nous, journalistes, ne sommes pas: un tribunal.

François Fillon parlerait (comme tant d'autres avant lui) d'acharnement médiatique que je pourrais le comprendre: ce serait juste la démonstration qu'il ne connaît pas le monde des médias ou la manière dont fonctionnent les journalistes. Mais il s'estime condamné d'avance et parle de tribunal médiatique et là, il est carrément totalitaire, exactement comme le président des États-Unis. Pire peut-être: il ment. Il ment non seulement par omission mais il dit le faux. Hier soir, par exemple, il a décrit ce qu'il a fait comme légal et su. Légal, c'est en effet aux juges à trancher. Su, non. Ce n'était pas su, et si cela avait été su, encore mieux si cela avait été dit par lui, cela n'aurait pas causé de tels ravages dans sa campagne. Il me fait penser à un criminel enrageant de se faire pincer à quelques jours de la prescription. Le crime était presque parfait: il s'était si bien arrangé pour effacer les indices! Dès le moment où quelque chose allait être interdit, il arrêtait, à l'ultime seconde. Pas de chance! Cela s'est su et dites-moi par qui d'autre que par des journalistes les choses cachées sont-elles sues? Bien sûr, relisez l'édito de la semaine passée, le scoop est intéressant et les ailes du Canard, aujourd'hui, sont parées d'or. Mais qui a dit que le roi était nu? Une source, bien sûr aussi, est là pour dire avec des arrière-pensées qu'il faut regarder par là pour voir que le roi est nu. Personne n'a reproché à Woodward et Bernstein d'avoir écouté Deep Throat et déclenché le Watergate... François Fillon ou Donald Trump se muent le premier en saint Sébastien des méchants médias, le second en Néron prêt à tout incendier et ils se rendent par cela même extrêmement fragiles. En foulant aux pieds les contre-pouvoirs dont ils se proclament victimes, ils créent eux-mêmes les conditions de leur propre perte. Même Ceaucescu a été brisé. Pourtant, il faisait autrement peur qu'un hobereau sarthois.

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