Une journée dite historique

Poing de vue

Par | Journaliste |
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C'est loin, Londres? Tais-toi et pédale. Photo © Jean Rebuffat

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La journée est paraît-il historique. Ce vendredi 31 janvier 2020 à minuit heure de Bruxelles, le Royaume Uni se désunit de l'Union européenne dont elle faisait partie depuis 47 ans. Pourtant, le processus enclenché voici trois ans et demi par un apprenti-sorcier est loin d'être terminé. D'ailleurs en 2020, rien ne change, sauf que le pays qui s'en va n'a plus droit de regard sur les décisions.

J'utilise à dessein le mot pays plutôt que celui de nation, car chacun sait, bien au-delà du cercle des amateurs de football, qu'en fait de nations, il y a là dedans l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Irlande du Nord et l'Écosse, ces deux dernières ayant voté nettement contre le Brexit. La Première ministre écossaise souhaite ardemment que l'Écosse, indépendante, revienne au plus vite dans cette Europe si décriée. En Irlande, on tremble à l'idée qu'une frontière scinde à nouveau l'île et ressuscite de vieux démons de guerre civile (encore que la question religieuse soit moins prégnante qu'auparavant, étant donné la déchristianisation qui a marqué l'Eire comme bien d'autres pays de tradition catholique). Certains d'ailleurs usent de l'expression saut dans le vide. Onze mois pour négocier les accords de coopération sans quoi en définitive, et sauf prolongations (on en a connu tellement dans ce dossier), le 31 décembre 2020, c'est le Brexit dur, dit no deal, qui s'appliquerait.

Bien sûr il y a eu quelques larmes au Parlement européen et quelques manifestations de ci de là, mais en fait, pas grand-chose. Il est vrai que le 14 juillet 1789, mais il parlait de la chasse, ce qui est rarement dit, Louis XIV écrivit “rien” dans son journal. Mais justement: une journée historique, ça ne se décrète pas, ça ne se prépare pas, ça se passe, ça survient. Le 11 septembre 2001 est une journée historique, par exemple. C'est très embêtant pour les journalistes et a posteriori, pour les historiens aussi. Ce qui est programmé est facile à traiter. Regardez les unes de la presse de ce vendredi: elles annoncent l'événement pleine page et le couvre abondamment par des cahiers spéciaux dont on se demande qui va les lire dans leur totalité. Quant aux historiens, ils trouvent toujours a posteriori d'excellentes raisons qui expliquent ce qui s'est passé de façon inattendue et que personne n'avait vu venir, journalistes inclus. Un jour, dans les livres d'histoire, il y aura un chapitre intitulé le Brexit et quand on aura fini de le lire, on aura l'impression que cela ne pouvait pas se passer autrement, comme si le monde était mu par un déterminisme irrésistible, comme s'il y avait une logique interne qui allait être plus forte que tout et qui imposerait la fin de l'histoire. Si on en tirait les leçons, de l'histoire, il y a longtemps qu'elle serait finie et que nous vivrions dans un monde apaisé et serein. Ce n'est pas franchement l'impression qu'il donne.

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