A Flénu, en pensant au caporal Olivier Gossye, foudroyé par un sniper à Vukovar

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Au cimetière de Flénu, près de Mons, la tombe du Casque Bleu rappelle le chic type qu'il fut. Photo © Marcel Leroy

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Au cimetière de Flénu, à la lisière du Borinage et de Mons, des gens dont certains portent des uniformes militaires se regroupent autour d'une femme aux cheveux blancs et au regard vif qui pleure la mort de son fils. A côté de la dame, le cousin d'Olivier Gossye, regard levé vers les nuages, regrette de n'avoir pu connaître le jeune caporal abattu par un sniper, à Vukovar, en Croatie, le 31 janvier 1997. "Mais j'ai l'impression de savoir qui il était, quand ses amis parlent de lui". Il y a vingt-six ans jour pour jour que le Casque Bleu a été emporté dans la tourmente de cette guerre qui semble déjà bien lointaine alors que les victimes tombent par centaines, tous les jours, en Ukraine.  

La mère d'Olivier ne se résignera jamais. Voir tant de personnes d'horizons divers l'entourer, dans ce cimetière proche des terrils, ne pourrait la consoler mais lui apporte un vrai réconfort. Elle dit "Merci" devant la tombe où figure la photo de son enfant. On ressent l'esprit du devoir de mémoire. Sa nécessité. A Vukovar une stèle a été plantée là où Olivier s'est effondré. Maintenant, à Flénu, le colonel dont il était le chauffeur, quasi en uniforme dans son veston de tweed, doit revoir la scène dans sa fulgurance. Olivier conduit. Le véhicule rentre au quartier-général de l'ONU. Un fusil le fixe dans sa ligne de mire. La balle part, frappe le jeune homme né le 29 septembre 1973 à Mons. Il appartenait à la Compagnie Quartier Général du 2e Chasseurs à pied, avait quitté Mons et le Borinage pour le camp de Marche. Il avait été nommé caporal le 10 janvier 1994, faisait partie de la mission UNTAES en ex-Yougoslavie. Depuis septembre 1996 fier d'être un "soldat de la paix", il espérait revoir son pays, mission accomplie. 

Et je me souviens de la Roumanie, juste avant la Noël de 1989 et la fin de Ceauscescu, et de la mort d'un journaliste belge. Danny Hué travaillait pour une chaîne de télé flamande. VTM? La balle ajustée par un sniper dans le lointain l'a frappé et il ne s'est pas relevé. Sa mémoire est-elle honorée, quelque part? Une stèle a-t-elle été posée dans ce coin de Transsylvanie où il faisait son métier pour témoigner de la folie humaine? Et je vois aussi le visage de ces femmes, à Charleroi, venues d'Ukraine avec leur père, leur frère, leur fils. D'abord les hommes ont veillé à leur sécurité, au fait qu'au resto du Coeur elles auraient un repas et une écoute, puis sont repartis pour se battre. Chaque jour, lors du repas de midi, ces mères, soeurs, filles, on les voit vivre en sursis, elles aussi. 

Alors, au cimetière de Flénu, en entendant les notes du Last Post, puis au cercle Rerum Novarum à Jemappes, devant une tasse de café et en partageant des pistolets au fromage, on s'efforce de penser à toutes ces victimes dont jamais le nom ni le visage ne se dessineront sur une pierre tombale. Parce que même leur nom aura été noyé avec leur histoire dans des listes de chifres qui ne disent rien des tragédies. Ces histoires jamais ne viendront à nous. Qui était-il, Olivier? Il aurait eu cinquante ans en septembre de cette année. Sa photo le montre, fier, droit. Confiant. Il était âgé de 17 ans quand il est entré à l'école des sous-officiers. Connaissait-il la chanson reprise par Joan Baez, "Que sont devenues les fleurs? " Aujourd'hui comme depuis toujours, les fleurs humaines sont fauchées par milliers tous les jours. Se rendre à Flénu, au cimetière, était peut-être une manière humble de s'insurger contre cette absurdité que l'on rêverait de ne pas être une implacable fatalité. 

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