Dans l’ombre des personnages de Rothko
Par les baies vitrées du train les passagers regardaient défiler les décors, de la frontière à Paris, où, à la Fondation Vuitton, les peintures de Mark Rothko fascinent autant que les paysages les plus démesurés. Dans le haut bâtiment aux lignes futuristes, des gens suivaient, de salle en salle, - noyés dans une lumière tamisée, les œuvres jalonnant le parcours de l’artiste. Avec du soleil, du givre, de la neige, de la pluie, la nuit et le jour, des orages et des arcs-en-ciel. Miroitements lointains, éclats de ces tableaux en train d’être reproduits à l’infini par des smartphones du monde entier.
Dans une des salles, une statue de Giacometti, incarnation de métal d’un personnage longiligne, épuré, marchait vers une toile nappée de gris. Que devrait-elle, cette sculpture, découvrir face à l’œuvre ? Peut-être que Rothko a exhumé de lui le soleil qui traverse les vitraux d’une cathédrale, pour marier cette lumière incandescente à la trame de la peinture. Du coup la toile brûle si fort de l’intérieur qu’elle se passerait peut-être du soleil. Comme je n’y connais rien, mais qu’il m’arrive de m’attarder devant des tableaux, je m’étais juré que rien ne serait publié dans ces chemins de traverse à propos de cette exposition qui retrace les étapes d’une vie et d’une quête. En feuilletant le catalogue, impossible de se dire que l’on oserait ajouter ne serait-ce qu’un mot - forcément dérisioir- à ce qui aura été pensé, recueilli, réfléchi, à propos de l’homme né en Russie, en 1903, sous le nom de Marcus Rotkovitch. La ville où il a vu le jour se situe aujourd’hui en Lettonie. Plus tard, Rotko a raccourci son nom aux USA où il est mort en 1970, laissant une œuvre majeure. On le classe dans les expressionnistes abstraits.
Et pourtant voici ce que je voudrais confier, après la découverte de cette vision du monde. Devant une des premières œuvres, encore figurative, au début de l’expo qui reconstitue tout le voyage du peintre, on éprouverait le sentiment de déjà vu en se concentrant sur cet in connu, seul dans le métro, plongé dans ses pensées. Au début, Rothko captait des scènes du quotidien puis il les a traitées par le biais de l’abstraction. Après la visite, le personnage de Rothko serait-il lui aussi à bord de cette rame remplie de gens ?
Vint le train du retour et quelques jours plus tard l’impression de rouler à travers une toile de Rothko. La neige drapait la route et les champs. L’horizon était réduit à une ligne brisée. La lumière était poudreuse. Avec ce fragile scintillement de froidure comme arraché à un ruisseau au soleil, quelque part. Les oiseaux faisaient silence. S’imposait ce sentiment du temps et de l’étrangeté de l’existence. Comme devant les toiles de l’artiste dont la puissance de la perception réveille en nous, passants anonymes devant ses méditations, un lointain écho. Multiples et différents, tous pareils, issus du monde entier, tous les humains devraient avoir la chance de s’imprégner des toiles de Rothko. Elles vibrent d’une énergie qui donne envie d’écouter plutôt que d’avoir peur et c’est plus urgent que jamais, de ces temps-ci, livrés au chaos.
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