Après ? On verra !

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Jeudi 16 avril

 Charles Michel a convoqué les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne à se réunir (sans doute encore par vidéoconférence) le 23 avril. C’est le jour de la Saint-Georges, ce patron des cavaliers qui terrassa le dragon. Á l’instar de celui qui patronnera leur rencontre, ces héros modernes vont-ils venir à bout du Covid-19 ? Et si l’Europe mourait avant le virus ? La question n’a plus rien de loufoque ; elle commence même à inquiéter les eurocrates mêmes. Tandis que ses peuples vivent – et vivront davantage encore dans quelques jours – à des rythmes différents, la question du rétablissement des frontières internes refait surface (*). Macron n’est pas en reste dans cette évolution à hue et à dia. Son gouvernement ne paraît pas capable de mettre en pratique le catalogue des décisions qu’il a énumérées. Et pourquoi commencer le 11 mai par, uniquement, la réouverture des écoles ? Quid, en ce cas, des transports scolaires, du fonctionnement des cantines, de toute activité ou profession liée à la vie de l’enseignement ? Voici que l’armée renâcle à son tour. Rien que sur le porte-avion Charles-de-Gaulle, 668 (au moins…) des 1767 membres de l’équipage sont infectés. En France, le chef des Armées, c’est le président de la République.

(*) Le Figaro titre en sa une : « Le retour des frontières s’impose à l’Europe » et développe cette affirmation tout au long des deux pages suivantes. Le 9 novembre 2010, les éditions Gallimard publiaient « Éloge des frontières », un essai que son auteur, Régis Debray, présentait comme suit : « En France, tout ce qui pèse et qui compte se veut et se dit ‘sans frontières’. Et si le sans-frontièrisme était un leurre, une fuite, une lâcheté ? Partout sur la mappemonde et contre toute attente se creusent ou renaissent de nouvelles ou antiques frontières. Telle est la réalité. En bon Européen, je choisis de célébrer ce que d’autres déplorent : la frontière comme vaccin contre l’épidémie des murs, remède à l’indifférence et sauvegarde du vivant. »  On remarquera que l’aspect prémonitoire du propos s’accompagne même du vocabulaire médical…

Vendredi 17 avril

(Edmonde Charles-Roux aurait eu 100 ans. Encore un centenaire oublié, négligé par la télévision, cette boîte à nourrir la débilité…)

 Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’Économie en 2001 et depuis lors très écouté par ceux qui gouvernent, estime qu’aujourd’hui, on ne peut plus séparer la santé de l’économie. Après quelques semaines de pandémie, cette réflexion aurait déjà des allures d’antienne. Mais elle est exprimée aux États-Unis, désormais depuis plus de deux semaines épicentre de cette pandémie, et dirigée par un président qui ne prenait pas cette crise au sérieux, qui assiste impuissant à un certain effondrement de son économie, et qui sent sa réélection en péril.

 Son disciple brésilien n’a pas encore saisi les risques de cette « petite grippe ». Bolsonaro vient de virer son ministre de la Santé parce qu’il le trouvait trop lié aux avis et conseils de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé).

Samedi 18 avril

Glanes de virus

  • L’Allemagne va entamer son déconfinement dès la semaine prochaine. Si l’opération s’accomplit bien, le pays bénéficiera d’une avance dans le calendrier de reconstruction et confortera donc son titre de première puissance économique européenne. Il est pour l’heure imprudent de conclure qu’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle. C’est néanmoins une donnée qui comptera. Alors ? L’Allemagne a-t-elle mieux supporté ou mieux géré la pandémie ? Les deux mon capitaine.
  •  Chaque jour, le tableau italien arbore les couleurs de l’espoir. Alors que la situation dans les hôpitaux devient un peu (un peu seulement…) moins dramatique, des médecins annoncent qu’une deuxième vague infectieuse pourrait se produire en hiver. Comediante, tragediante ! Était-ce bien le moment ?
  • Saura-t-on un jour ce qui s’est réellement passé en Chine, là où tout commença ? Docteur en sciences politiques à l’IFRI (Institut français des relations internationales), spécialiste de la Chine et de l’Asie du Sud-Est, auteur d’un livre qui fait autorité en ce moment (« La Chine e(s)t le monde. Essai sur la sino-mondialisation du monde », éd. Odile Jacob) Sophie Boisseau du Rocher est sceptique. Cependant, aux plus catastrophistes qui s’inquiéteraient (à raison) d’une domination du monde aux plans économique donc diplomatique, elle rappelle que la Chine ne peut pas recourir à une croissance forte sans l’Occident, ce qui renforce le multilatéralisme. Cela dit, la progression efficace de cet immense pays repose sur la lenteur. Ce n’est pas un secret : la Chine s’est donnée comme objectif 2049. Cette année-là, elle entend être devenue la première puissance du monde. Évidemment, il suffit de comparer les manières de fonctionner de Donald Trump et de Xi Jinping pour en conclure que l’esbroufe paraît bien insipide par rapport à l’allure posée, impassible du successeur de Mao. Reste à savoir ce qu’en pensent les virus…
  • On s’oriente un peu partout vers un port du masque obligatoire généralisé. L’esthétique n’est pas confinée aux magasins des accessoires. La mode va inventer : un nouvel objet arrive dans son espace. Les maisons aux griffes célèbres ont déjà branché leurs dessinateurs sur le sujet. Attention ! Il s’agit d’une question de vie et de mort. En aucune manière, l’aspect attirant, le caractère artistique du masque ne peuvent rogner sur la fonction première et principale : la sécurité.
  •  L’air de rien, des animaux profitent des déserts urbains pour emprunter des artères habituellement occupées par de bruyantes files de voitures. Dans telle capitale, des renards arpentent les boulevards, dans telle autre un cerf se balade hardiment ; il y a même des lamas qui se promènent en face de boutiques aux vitrines éteintes… Cette photo d’une famille de canards – très unie comme toujours chez ces palmipèdes – se dandinant devant les façades de la Comédie française, il aurait fallu un recours au trucage pour en exprimer la poésie… Bah ! Tant qu’il n’y a pas de fauves aux ronds-points…

Dimanche 19 avril

 Existe-t-il, en démocratie, une mesure plus liberticide que le confinement ? Elle est pourtant appliquée ; elle est aussi très respectée. La raison en est simple : elle répond à une nécessité sanitaire. Á présent que les impératifs de l’après ont déjà fait l’objet de plusieurs expressions philosophiques en tous genres, les politiques commencent aussi à investiguer. Trouver les moyens pour redémarrer, les milliards pour reconstruire, prendre des mesures délicates qui réclameront l’adhésion de la nation tout entière… Jean-Pierre Chevènement lâcha le premier embryon de solution : il faudra un gouvernement d’union nationale. Alors les uns et les autres se tâtent et se cherchent. Président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius a estimé qu’il était temps pour lui de prendre la parole. Juste pour baliser… Sa fonction ne l‘autorise pas à plus d’approfondissement. Il ne peut pas labourer le champ mais en revanche, il se doit de le délimiter. On ne sait jamais… Le pouvoir se serait tellement bien habitué à sa nouvelle manière de gouverner…  « Pas d’éclipse des principes fondamentaux du droit (…) La crise n’autorise en rien que l’on mette entre parenthèses les droits et libertés. » Voilà. C’est dit. On ne sait jamais…

                                                                        *

 Petit regard sur les mots superflus employés de manière indigeste dans le langage courant. « Voilà » tient toujours le haut du pavé, très fièrement. Chez les journalistes en reportage chargés d’intervenir en direct dans les JT, on note des « eh bien » répétitifs servant à scander l’explication. L’expression « Eh bien voilà ! d’un autre âge, ne semble pas reprendre du service.

Lundi 20 avril

(Il y a des anniversaires à célébrer, d’autres à éviter, comme ce jour où naquit Louis-Napoléon Bonaparte – futur dictateur Napoléon III – et Adolf Hitler, en 1889…)

 Le Grand-Duché de Luxembourg sort du confinement ; l’Allemagne aussi. L’Europe prend acte et ne coordonne rien. La France donne un peu l’impression de patauger. On attendait le Premier ministre. Édouard Philippe s’est en effet exprimé hier, comme annoncé. Longuement. Mais pour ne rien dire de concret. Des « on verra », des « on évaluera » … La France ne devrait entamer sa sortie du confinement que dans 22 jours. On ne peut pas imaginer que le Président de la République et le Premier ministre ne sont pas conseillés de manière intelligente et prospective par des savants expérimentés. Comment interpréter cette distance de 22 jours qui risque de peser dans la reconstruction ? Prudence ?  Sagesse ? Comme dirait le Premier ministre : on verra…

                                                                        *

 La nouvelle qui nous parvient de Tel-Aviv paraît incroyable : Gantz et Netanyahou auraient trouvé un accord pour gouverner ensemble ! Benny Gantz, ce principal opposant qui avait juré tant de fois qu’il ne s’allierait jamais avec le voyou de la droite dure. Gantz, cet affable centriste… (Retour aux leçons de Mitterrand : « un centriste, c’est quelqu’un qui n’est ni de gauche ni de gauche…)

                                                                        *

 La sagesse d’Edgar Morin n’est pas due à ses 98 ans mais à l’intelligence de ses analyses. L’homme parle de l’avenir avec William Bourton dans Le Soir. L’après-confinement est chargé d’incertitudes. Il les décrit, depuis les plus positives jusqu’aux plus inquiétantes, en se gardant bien de prétendre augurer d’une version plutôt que d’une autre. La barbarie à visage humain, il sait ce que c’est et où ça conduit… Donc il s’interroge. Mais il doute aussi. Quant à l’Europe par exemple qui devrait pourtant consolider sa position au départ de la crise sanitaire : « Je suis devenu de plus en plus pessimiste car je suis bien forcé de constater que les desseins généreux des fondateurs se sont évanouis sous la pression de la bureaucratie et d’énormes intérêts financiers. » C’était pourtant un si beau livre, le « Penser l’Europe » d’Edgar Morin… De la sagesse, des analyses intelligentes, de l’espoir par-delà les incertitudes… Une lucidité mise à l’épreuve du temps… (éd. Gallimard, 1987)

Mardi 21 avril

 Quand le ras-le-bol supplantera la trouille. La formule fait florès. On perçoit en effet une lassitude en cette privation de liberté ordonnée par une crise financière inédite, que le beau soleil ne fait qu’alimenter. Des questions de bon sens viennent aussi encombrer la marche du confinement. Et que ferons-nous à 20 heures quand nous n’applaudirons plus tous ces gens ? Et eux, que deviendront-ils ? Tant de réflexions désordonnées, tant de précautions qui se noient dans la paresse, tant d’interrogations irréfléchies…  

                                                                        *

 Chaque jour, Le Figaro évoque un événement, une création, un anniversaire lié à la date. Il aurait pu choisir le 94e printemps de la reine Elisabeth d’Angleterre. Sa préférence se porta sur Ronsard : « Le 21 avril 1545, Ronsard rencontra Cassandre Salviati à qui il dédiera un recueil de poèmes. » C’est notamment dans ces pages-là que l’on trouve le fameux poème « Mignonne, allons voir si la rose »…, superbe invitation à l’amour. Cassandre Salviati était la fille d’un banquier italien. Elle avait 14 ans. Un sacré pédophile ce Ronsard…

Mercredi 22 avril

 Une nouvelle réunion des chefs d’État et de gouvernement européens par vidéoconférence aura lieu demain. Il n’est plus question, pour le Conseil, de faire face à l’urgence sanitaire mais bien à préparer la relance. Quelle relance ? Tout est là évidemment. C’est à partir de ce jeudi que l’on verra si Charles Michel développe la carrure d’un grand d’Europe. Si l’heure de vérité de l’Europe durera quelques semaines, c’est demain que les premières minutes s’égrèneront.   

                                                                        *

 Eli Barnavi,  écrivain et diplomate israélien, est un excellent observateur de la vie politique, en particulier celle de son pays. Si l’accord gouvernemental obtenu grâce au ralliement de Gantz à Netanyahou ne l’étonne pas, il en tire plutôt amertume ou lassitude que tristesse. Il aurait bien aimé voir Netanyahou écarté du pouvoir, ne fût-ce que pour des raisons morales puisque l’homme est inculpé pour corruption, mais il n’a jamais décelé dans la personnalité de Benny Gantz cette carrure qui confère le statut d’homme d’État. Son ralliement in extremis à l’éternel Premier ministre bien ancré à droite, il le justifie – et le justifiera devant l’Histoire – par le développement du virus Covid-19. C’est donc à cause du fichu virus que l’on va continuer à asseoir la souveraineté de l’État, c’est-à-dire consolider l’implantation dans les colonies ; et c’est aussi à cause du fichu virus que les Palestiniens seront un peu plus méprisés, un peu plus laissés pour compte, un peu plus maltraités. Ne demandez pas le programme, c’est la continuité avec juste quelques changements chez les faire-valoir.   

Jeudi 23 avril

 Oyez ! Oyez ! Tous ceux qui conservent un souvenir marquant du livre « Dix jours qui ébranlèrent le monde » (1919, rééd. Le Seuil) doivent savoir que l’auteur, le journaliste américain John Reed, a désormais un successeur. Il s’appelle Benjamin Masse, il écrit dans L’Express, et il est correspondant à Paris au service de La Libre Belgique. Pour ce journal, il vient d’annoncer une révolution ; révolution cérébrale pour l’instant, mais qui pourrait bien déboucher sur une manière totalement différente de diriger la France. Que l’on saisisse l’avertissement : « Le Covid-19 a opéré sur Macron une mutation radicale venant questionner ses certitudes les plus intimes. (…) Le président de la République réfléchit déjà à des changements politiques et sociétaux profonds. » Diantre ! Est-ce possible ? On dit même que son vocabulaire a changé. On l’entend prononcer des mots que, jusqu’ici, on lui croyait inconnus, comme « service public », « solidarité », « protection sociale »… Ça alors !  … « Démanteler et détruire le monde ancien pour entreprendre, dans la fumée des ruines écroulées, l’édification de la charpente d’un monde nouveau. » Bigre ! Non, cette phrase n’est ni de Masse, ni de Macron, mais de Reed. Faut pas rêver quand même…

                                                                        *

 Jean-Luc Godard (89 ans) s’est entretenu avec des étudiants, futurs cinéastes, et s’est, ô surprise !, laissé filmer. 100 minutes d’entretiens sur Instagram. Un régal doublé d’une empathie spontanée. En ces temps où le journal télévisé du soir fournit moult raisons de déprimer, on épingle cette réflexion : « La télévision vit des malheurs du monde. Á force d’en vivre, elle en devient responsable. »

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https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/des-canards-profitent-du-confinement-pour-se-balader-dans-les-rues-de-paris-1234577.html

                               

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