Auprès de mon arbre…

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Multiplier les espaces verts, la plantation d’arbres dans les villes. Ici, le parc Solvay à Bruxelles. Photo © Gabrielle Lefèvre

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… Je vivais heureux.

Le poète a toujours raison, surtout lorsqu’il s’agit de Brassens et qu’il parle d’un arbre. En ces temps troublés, les humains se demandent comment survivre au désastre écologique qu’ils ont eux-mêmes créé. Il ne s’agit évidemment pas de se replier auprès de son arbre privé dans son jardin fermé aux autres et après moi le déluge (ou la sécheresse). La question fondamentale est : comment vivre en harmonie avec la nature qui est le support de notre vie ? Beaucoup interprètent cette question comme ceci : comment allons-nous « réparer » ce que nous avons détruit tout en continuant à l’exploiter afin d’assurer notre croissance ? Dans cette forêt de questions, nous sommes à la croisée des chemins.

La survie par les forêts

« La pandémie nous a rappelé à quel point nous sommes liés à la nature », clame Peter Wohlleben, célèbre garde et ingénieur forestier allemand qui publie un nouvel appel de la forêt. (1) « La vraie vie est là, dehors ! », confie-t-il. (déjà auteur de « La vie secrète des arbres », il vient de publier « L’homme et la nature » et il a fondé une Académie de la forêt grâce à laquelle nous pouvons découvrir cet écosystème riche, complexe et tellement ignoré. Dans son interview, il remarque que « A Toronto, les habitants des quartiers où poussent plus d’arbres ont une espérance de vie plus longue. Tout comme il est prouvé scientifiquement que dans les hôpitaux, les malades qui voient des arbres depuis leur chambre ont besoin de moins d’antidouleur. Les arbres sont aussi d’excellents régulateurs thermiques en été. Un seul spécimen adulte peut transpirer jusqu’à 500 litres d’eau par jour. » Un bon argument pour revoir fondamentalement notre développement urbain.

Il souligne aussi le rôle bénéfique pour la santé de la forêt : « on sait aujourd’hui que les résineux sécrètent des phytoncides, des antibiotiques végétaux pour se protéger des champignons. Lorsque nous les inhalons lors d’une balade en forêt, ils ont le même effet anti-inflammatoire que sur les arbres et font même baisser notre pression artérielle. »

Il est donc urgent de redécouvrir la forêt, de solliciter nos sens négligés dans la vie urbaine : « La pandémie nous a rappelé à quel point nous sommes liés à la nature. Cet organisme minuscule qui a mis à terre l’économie mondiale n’est qu’un parmi d’autres qui grouillent dans nos forêts. »

Donc, plutôt que de les détruire, nous devrions tous, scientifiques et promeneurs, redécouvrir les forêts, les protéger, car elles peuvent assurer notre avenir serein. La protection de ce qui reste de forêts primaires dans le monde représente un enjeu majeur : « On en trouve en Roumanie et en Suède. En comparaison, plus de 70 % de l’Amazonie est encore une forêt primaire. Personnellement, je milite pour une protection de 20 % des forêts européennes, même si elles ne sont plus d’origine. » Ce qui permettrait aux autorités de réguler l’exploitation du bois afin d’assurer l’avenir de l’écosystème. Il ajoute : « En réduisant notre consommation de viande par exemple, on pourrait augmenter les surfaces des forêts, baisser à moyen terme la température et augmenter les précipitations. Aujourd’hui, des collégiens secouent la politique et c’est encourageant pour notre planète. »

La biodiversité européenne

Ce message d’espoir envoyé à nos autorités nationales et européennes a été reçu, plus ou moins.

En effet, la Commission européenne a présenté le 20 mai sa stratégie Biodiversité 2030 dans le cadre du Pacte vert. « La crise du coronavirus a montré à quel point nous sommes tous vulnérables et combien il est important de rétablir l'équilibre entre l'activité humaine et la nature », déclarait alors Frans Timmermans, vice-président de la Commission en charge du Pacte vert. (2)

 Cela c’est le plus. Le moins c’est que cette stratégie constitue « un élément central du plan de relance de l'Union, dans la mesure où elle est essentielle pour prévenir l'apparition de futures épidémies et renforcer notre résilience face à de telles maladies », précise la Commission, tout en offrant « des perspectives commerciales et des possibilités d'investissement immédiates afin de relancer l'économie de l'Union ».

On le voit, nous sommes ici dans le « réparer » le système que nous avons détruit plutôt que d’envisager des solutions plus radicales pour mieux vivre en harmonie avec la nature. Mais il s’agit déjà d’une belle avancée dans un mode de pensée différent : on n’est plus dans la soumission totale de la nature aux intérêts exclusifs des humains. Ainsi, résume Rémi Pin d’Actu-Environnement.com, l’Europe propose « d'apporter une protection juridique à un minimum de 30 % des terres et de 30 % des mers de l'Union, et d'intégrer des corridors écologiques dans le cadre d'un véritable réseau transeuropéen de la nature ». Une « protection stricte » devrait être assurée pour au moins un tiers des zones protégées de l'Union, englobant toutes les forêts primaires et anciennes encore présentes. Pour la première fois, « des objectifs juridiquement contraignants » seront proposés en matière de restauration des écosystèmes européens, à l'issue d'une analyse d'impact, dès 2021.

La Commission propose aussi de convertir 10 % des terres agricoles en paysage « à haute diversité biologique », de réduire de 50 % « l'utilisation des pesticides chimiques en général et les risques qui leur sont associés », de diminuer de 20 % l'utilisation de fertilisants, de restituer l'écoulement de 25 000 km de rivières. Les villes ne sont évidemment pas oubliées puisqu’on propose « un plan d'écologisation de l'espace urbain ambitieux » pour les villes de plus de 20 000 habitants. En ce qui concerne les arbres, chers à Brassens, la Commission propose d’en planter 3 milliards d'ici à 2030, et d'interdire l'importation des produits qui contribuent à la déforestation. Une claque notamment pour le Brésil de Bolsonaro qui dévaste l’Amazonie et ses populations autochtones.

Reverdir Bruxelles

« Les urbanistes vont être sous pression, écartelés entre la densification, essentielle pour le développement durable, et la désagrégation des populations, pour éviter la transmission du virus », prédit Richard Sennett, professeur d’études urbaines au MIT, interrogé par le Guardian. Ces propos illustrent l’article de Véronique Lamquin dans Le Soir. (3) Selon le secrétaire d’Etat chargé de l’urbanisme Pascal Smet, nous sortons enfin du quartier de bureaux monolithiques et nous entrons dans l’ère de la mixité. Il a fallu le temps ! Cette mixité est revendiquée depuis plus de quarante ans par les habitants regroupés dans l’ARAU et Inter-Environnement-Bruxelles.

Exemple : le quartier Nord, où « le projet Zin reconvertit les WTC 1 et 2 en un savant mélange de bureaux, de logements, de chambres d’hôtel, de commerces, d’espaces de sports et de loisirs, » écrit Véronique Lamquin.  « Ce sera pareil pour le CCN, au-dessus de la gare du Nord, complète le secrétaire d’Etat. Et il faut travailler de la même manière dans le quartier européen. »

Il précise : « Il faut plus de vert, moins de bruit et de voitures. Il faut adapter nos infrastructures aux vélos, aux piétons, tout en préservant l’accessibilité pour les personnes qui ont besoin de leur voiture. Continuer à investir dans les transports même si, comme partout dans le monde, on se demande quand les gens vont les réutiliser. Surtout, il faut déminéraliser la ville ! »

On n’attend que cela !

1. Par Virginie Lenk. La Tribune de Genève. 1/07/2020.

Voir aussi : https://www.wohllebens-waldakademie.de/ 

Peter Wohlleben, « L’homme et la nature », Les Arènes, 288 p., 20,90 euros

https://plus.lesoir.be/130144/article/2017-12-19/lintelligence-des-arbres-un-propos-passionnant-fascinant-enrichissant?referer=%2Farchives%2Frecherche%3Fdatefilter%3Dlast5year%26sort%3Ddate%2Bdesc%26start%3D10%26word%3Dvie%2Bsecr%25C3%25A8te%2Barbres%2Bwohlleben

https://www.actu-environnement.com/ae/news/deforestation-forets-primaires-menacees-rapport-global-forest-watch-FAO-35584.php4

2. https://www.actu-environnement.com/ae/news/strategie-europe-biodiversite-livre-blanc-france-35521.php4

3. Pascal Smet: « Il faut repenser Bruxelles, l’apaiser, la verduriser». Par véronique Lamquin, Le Soir, 03/07/2020

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A lire :

« L’Arbre Monde », de Richard Powers. Dans notre rubrique L’as-tu lu, lulu ?

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