Avant Hiroshima : Bretton Woods…

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Jeudi 6 juin

 Ils étaient venus nous libérer. Ils ont sacrifié beaucoup de boys sur les plages de Normandie. C’était il y a 75 ans. Les principaux chefs d’État du camp des vainqueurs (sans Poutine qui ne fut pas invité) entourent le représentant des sauveurs, le grand Donald, venu arpenter le sable de la mort. Ils eurent tôt fait de recueillir les fruits de leur action salvatrice. Bien avant que le conflit ne soit terminé (il faudrait attendre encore plus d’un an avant Hiroshima…), ils organisèrent une conférence internationale à Bretton Woods, petite station de sports d’hiver du New Hampshire. Après trois semaines de discussion (disons : d’échanges courtois et de soumission tolérée…Qu’est-ce que les États participants auraient pu faire d’autre ?), la référence à l’or fut abandonnée dans les échanges internationaux en faveur du dollar, accordant ainsi de facto aux États-Unis d’Amérique une hégémonie totale au plan économique dont souffre encore aujourd’hui l’activité commerciale européenne. Les accords de Bretton Woods furent signés le 22 juillet 1944. Il y aura donc bientôt 75 ans. Cet anniversaire sera-t-il célébré aussi en grandes pompes ?

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 La victoire de la social-démocratie danoise aux élections législatives repose sur deux principes : d’une part la gauche a eu le courage de prendre le problème de l’immigration à bras le corps en coupant l’herbe sous le pied de la droite ; et d’autre part, elle répondit à un besoin de retour de l’État-providence souhaité par le peuple fatigué de vivre dans l’austérité. Les sociaux-démocrates n’ont pas biaisé durant la campagne, affirmant qu’il fallait dépenser plus pour le bien-être de la population. Dépenser plus. La formule a été employée sans honte. Elle sera mise en pratique sans appauvrir les caisses de l’État. Il n’y a pas de fatalité à l’échec de la gauche. On peut gager que d’autres matins de renaissance attendent la social-démocratie européenne.

Vendredi 7 juin

 La droite française prend l’eau. De nombreux mandataires municipaux quittent Les Républicains pour rejoindre le parti d’Emmanuel Macron qui, de cette façon, apparaît de moins en moins centriste. La renaissance d’une social-démocratie porteuse de projets neufs pourrait naître de cette recomposition.

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 Nous sommes en 1792. Louis Antoine de Saint-Just a 25 ans. Il siège parmi les Montagnards. Il est à la tribune : « … Le respect de la vieillesse est un culte dans notre patrie. » Et d’instaurer, plus tard, le principe du port de l’écharpe blanche à tous les hommes de 60 ans et plus qui n’ont pas failli. Les Anciens l’avaient déjà souligné : vieillir est une marche inéluctable de l’existence ; être vieux résulte d’un état. Il y eut des temps où l’expérience du vécu profitait aux générations suivantes et il y eut même des époques où le grand âge était gratifié de références exemplaires. C’était avant que l’on invente les Maisons dites « de repos ».

Samedi 8 juin

 Mais qu’est-il arrivé à Aung San Suu Kyi ? Est-elle tombée amoureuse d’un haut militaire birman ? Est-elle droguée ? L’égérie de la liberté démocratique, prix Nobel de la Paix, est devenue, depuis qu’elle est à la tête de son pays, une personnalité très exactement antinomique à celle qu’elle dégageait dans ses combats d’opposantes au régime des généraux. Elle vient d’accomplir un voyage dans l’Union européenne. Contacts diplomatiques ? On ne sait trop. L’expédition fut assez discrète. Ce qui en reste, c’est un tête-à-tête avec Viktor Orbán…

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 Et à Notre-Dame-des Landes, comment va la vie ? Il paraît que des riverains de la ZAD se sentent obligés de déménager, rejetés par la communauté de l’écologie moderne. Ils réclament quelques centaines de milliers d’euros à l’État. Ils ne doivent pas beaucoup intéresser les médias…

Dimanche 9 juin

 Le centième anniversaire de la revue Littérature, d’André Breton et Louis Aragon, passera sans doute inaperçu. C’est pourtant de ces feuilles-là que naîtra le mouvement surréaliste, principale aventure littéraire et artistique du siècle passé. L’édition des « Œuvres complètes d’Aragon » dans La Pléiade, sous la direction d’Olivier Barbarant, propose, en son premier tome des textes significatifs des débuts. Comme toujours, cette encyclopédie renferme une mine exceptionnelle. Ainsi, on y découvre des textes d’Aragon non publiés, « retrouvés dans l’exemplaire de ‘Littérature’ appartenant à André Breton. » Ce poème d’une petite trentaine de vers, qui débute ainsi : « Les saisons lourdement tombent de notre vie / Comme des fruits trop mûrs que la tempête abat. » Aragon a 22 ans. On sent déjà percer le somptueux poète qu’il sera.

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 Il y a des événements qui bousculent intensément l’actualité, que l’on sent propices à déclencher des accélérations de l’Histoire, et qui disparaissent tout à coup des radars journalistiques sans qu’une explication soit laissée. Ainsi, la rue algérienne semblait annoncer un changement de régime. Le président Bouteflika fut écarté, et l’appareil d’État reprit les rênes du pouvoir en se permettant même de reporter l’échéance de l’élection présidentielle. De vives tensions doivent subsister, mais dans les arcanes du pouvoir seulement.  

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 Rafael Nadal écrase Dominic Thiem et remporte son 12e tournoi de Roland-Garros. Par-delà les multiples images spectaculaires de la rencontre, smashs, coups droits et autres revers acrobatiques, on retiendra la chaleureuse accolade des deux joueurs, à hauteur du filet, la joute achevée. Oui : chaleureuse.

Lundi 10 juin

  Un jour faste pour la mémoire de Gustave Courbet (Ornans, 10 juin 1819 - La Tour-de-Peiltz, 31 décembre 1877). Son bicentenaire est célébré dans plus de cent communes, à commencer par la sienne où le président Macron en personne s’y rend afin de prononcer un hommage élogieux où l’engagement socialiste du peintre n’est pas occulté, bien au contraire. La France se sentirait-elle coupable de l’avoir poussé à l’exil ou est-ce le succès mystérieux de son fameux tableau « L’Origine du monde », accroché au Musée d’Orsay depuis le décès de son ultime propriétaire Jacques Lacan, et dont l’excellente exégèse de Thierry Savatier vient de connaître une cinquième édition, considérablement augmentée (« L’Origine du monde, histoire d’un tableau de Gustave Courbet », éd. Bartillat)?  On n’a d’ailleurs pas fini d’en parler, de ce tableau, puisqu’Isy Brachot a fait l’acquisition de la copie, reproduite dans de nombreux ouvrages des plus sérieux en lieu et place de l’original, et qu’il prétend être une œuvre de René Magritte… Á Paris, les amateurs de Courbet se sont donné rendez-vous au Bistrot de Paris, rue de Lille, pour débats, échanges et banquet arrosé comme le maître de la peinture réaliste aurait aimé, avant de terminer la soirée en cortège musical vers le musée d’Orsay à la suite d’un âne, dans l’inspiration du tableau « Retour de la conférence », de 1863, détruit par le clergé) 

Mardi 11 juin

 Sur sa lancée d’Ornans, Macron s’en est allé à Genève afin de célébrer un centenaire cette fois, celui de l’OIT (Organisation internationale du Travail). On n’ira pas jusqu’à considérer son discours comme ouvriériste mais sa volonté d’accentuer le volet social de ses prochaines années, de placer « l’homme, l’humanité au cœur » ont un peu étonné. Certes, quand on va prendre la parole à l’OIT, ce n’est pas pour vanter l’exploitation de l’homme par l’homme, mais quand même !... Alors, était-il encore dans l’esprit de Courbet ? Que nenni. Lors des élections européennes, il a démoli la droite au-dessus de ses espérances au point qu’aujourd’hui, il est présenté comme le nouveau chef de ladite droite. Et ça, Macron ne le veut pas. Il veut faire le vide à sa gauche et à sa droite mais il veut demeurer au centre. Alors, dans un souci de rééquilibrage, il penche un peu vers la gauche. L’avenir dira si ce jeu « un p’tit peu pour papa, un p’tit peu pour maman ; un p’tit peu pour tonton, un p’tit peu pour tata » ne l’entraîne pas un jour vers des nausées.

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 La Fondation Voltaire de l’Université d’Oxford publie l’œuvre complet et commenté de Voltaire soit environ 200 volumes. « Questions sur l’Encyclopédie » n’avait plus été réédité depuis 1775. Les éditions Robert Laffont les proposent dans leur collection Bouquins. C’est une découverte inattendue, pour un auteur certes prolifique, mais dont on pensait avoir tout à disposition dans les librairies ou dans les bibliothèques. Le mot « Question »s dans le titre fait question, justement. Car après avoir complimenté les auteurs de l’Encyclopédie dans sa préface, le coquin de Ferney semble en écrire une autre en suggérant quelques ajouts de son cru qui, l’un après l’autre et compte tenu de sa capacité à produire, finit par devenir une sorte de Contre-encyclopédie savoureuse. Ce soir, au rez-de-chaussée du Panthéon, en aplomb de la sépulture de Voltaire, Jean-Claude Idée et Christophe Barbier ont donné quelques échantillons de la lettre A. « Abeille, Abus, Adoré, Âge, Amour-propre, Argent » ont égayé les avidités de connaissance par la grâce des bons mots chez la cinquantaine de privilégiés qui se vivaient une intimité dans un espace somptueux. Ce fut une réjouissance simple et délicieuse, où la perspicacité, la clairvoyance de Voltaire, jamais dépourvues de pétillance, raisonnaient en ce temple des grands hommes qui lui sied tellement bien.  

Mercredi 12 juin

 Édouard Philippe a compris le président. Il le dit : « 5 sur 5, fort et clair ». Dans son discours de politique générale annonçant la deuxième partie du quinquennat, il s’éloigne aussi un peu d’un langage droitier. D’abord l’écologie, priorité des priorités, ensuite des baisses d’impôt, des pensions de retraites plus élevées, des efforts en faveur des revenus modestes, etc. Arrêtez, monsieur le Premier ministre ! Vos ficelles deviennent câbles… L’Assemblée, à forte majorité LREM, marche à fond, applaudit.  Demain, le Sénat sera sans doute plus circonspect. Derrière un aspect de somnolence souvent fausse d’ailleurs, la Haute assemblée sait discerner les chausse-trapes de l’élégance.   

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 Les Obama vont prendre une semaine de vacances à Villeneuve-lès-Avignon (sans doute au Relais et Châteaux Le Prieuré, un havre de bien être). Un honneur pour le beau pays de France. Mais vont-ils goûter le farniente ou visiter, voyager ? Le Palais des papes, les multiples attraits de la Provence, la Côte d’Azur… Avant d’en savoir un peu plus, ayons une pensée pour les agents de sécurité…

Jeudi 13 juin

 Notre-Dame-de-Paris. Á ce jour, 9 % seulement des promesses de dons ont été versés. L’annonce médiatique, gage de vedettariat, nourrit la déviance de la philanthropie. L’émotion de l’instantané s’amidonne au fil des jours. Quant aux milliardaires qui, tandis que les flammes amplifiaient, promettaient cent millions par-ci, deux cents par-là, ils s’exécuteront bien sûr, mais sur factures. Les affaires sont les affaires. Pas question que l’État (ou l’Église…) touche des intérêts sur le placement des sommes mirobolantes. 

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 Si le numéro 58-59 (janvier-juin 2019) de Médium parut avant la campagne pour les élections européennes, il ne faudrait pas penser qu’il est devenu obsolète. Bien au contraire : la question « Comment peut-on être européen ? » que se posent Régis Debray et ses amis déploie une telle pertinence que cette revue prendra sa place parmi les ouvrages de référence sur l’Union, qu’elle soit en devenir ou en voie de disparition. Qui plus est, le fait de proposer en fin de volume une petite anthologie sur ce sujet en débats permanents (depuis Victor Hugo jusqu’à Emmanuel Macron, en passant bien entendu par Winston Churchill, Charles de Gaulle et François Mitterrand) rehausse encore l’intérêt de l’ouvrage. L’inventeur de la médiologie annonce la fin de son moniteur. On peut le comprendre puisque le voici au soir de sa vie. Mais on le regrettera, car ce périodique remarquable, que l’on devrait encore trouver sur le site numérique de Gallimard, occupe une place tout à fait propre dans le mouvement des idées.      

Vendredi 14 juin

Des dizaines de milliers de Suissesses dans les rues de plusieurs villes afin de réclamer l’égalité des salaires avec les hommes. Il y a trente ans qu’elles n’avaient plus fait grève. Cette revendication fondamentale qui, à elle seule, justifie les combats féministes, est-ce dans le pays des banquiers plutôt que dans celui des prolétaires qu’elle va enfin trouver sa réalisation ? On connaîtrait alors la situation cocasse où des voix militantes prendraient la Suisse en exemple en interpellant l’Union européenne. En début de semaine, on se souvenait que Gustave Courbet avait dû fuir en Suisse où il vécut la fin de ses jours. Peut-être est-ce aussi en l’honneur de ses idées socialistes que les femmes de là-bas lui rendent aujourd’hui hommage.

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 Si Philippe Berthier accepta de donner une postface intitulée « Nécrologies anthumes » à l’ouvrage que publient les éditions La Thébaïde, c’est qu’il y a perçu un réel intérêt. De fait, même lorsque l’on a exploré plusieurs livres consacrés à Monsieur de Beyle, ce « Miroir des vanités » de Stendhal offre un ensemble de petits renseignements moins anecdotiques et négligeables qu’il n’y paraît. C’est que cet homme, qui s’est bien arrangé pour que l’on puisse le suivre chaque jour à la trace, dégage des pensées ou des projets qui éclairent son œuvre comme par enchantement. Parfois, on lui découvre encore des tics que l’on ignorait. Ainsi constate-t-on qu’il poussait son égotisme jusqu’à rédiger souvent des testaments. Le 5 novembre 1817 (il mourra à 59 ans en 1842…) il prie sa sœur Pauline de donner un livre à chacun de ses amis. Et bien entendu, il détaille son instruction. Le 1er septembre 1835, il déclare donner tout ce qu’il possédera le jour de sa mort à sa chère sœur Pauline. Six jours plus tard, il réitère son geste en conjuguant le verbe « posséder » à l’indicatif présent. Etc. Cet homme insaisissable se meut dans une pénombre. Joseph-Antoine d’Ornano l’a bien compris, qui signe de superbes illustrations pour cette élégante publication.   

Samedi 15 juin

 Afin de saluer le geste de Donald Trump reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le Golan, Benyamin Netanyahou a posé le première pierre d’un vaste complexe immobilier qui portera le nom du président des États-Unis à Kela Beruchim (en hébreu : Les bénis), une commune perdue à 7 kilomètres de la frontière syrienne et à 25 de celle du Liban. Beaucoup d’observateurs ricanent, pronostiquant le fait que Trump, magnat de l’immobilier américain, n’investirait pas un dollar dans ce territoire perdu aux bicoques en ruines, peuplé de pauvres gens. Á retenir pour l’agenda de 2024 : un reportage à Kela Beruchim.

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 Fait divers. Un cadavre a été retrouvé dans un buisson à Bruxelles, juste en dessous de la plaque indiquant le nom de l’artère. C’’est à la rue de Verdun.

  

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