« Carton rouge » contre Macron

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Lundi 6 janvier

 On le sentait inspiré, à l’époque de son investiture. On avait entendu son aveu d’influence exercée par Paul Ricœur sur son raisonnement d’adulte. Et puis rien. Emmanuel Macron semble détaché de cette référence. Aurait-il découvert le gouffre que l’exercice des plus hautes responsabilités installe entre l’action et la pensée ?

 En octobre 2000, à l’occasion du numéro spécial déployant les 25 années du mensuel Lire créé par Bernard Pivot auquel avait succédé Pierre Assouline, Ricœur, 87 ans, avait accordé un long entretien à Jean Blain. Deux réponses à des questions sensibles peuvent encore être méditées aujourd’hui. L’une quant à la manière de gouverner, l’autre à propos des mœurs médiatiques.

  • Quelle est votre conception de l’engagement du philosophe et de son rôle dans la cité ?  Je dirais un usage correctif de la justice. Le seul système qui marche, c’est le capitalisme, l’économie de marché, mais les méfaits sociaux sont proportionnels à la réussite. Et donc la justice doit être corrective, elle doit être redistributrice. Le système redistribue mal et même tend à augmenter la pauvreté des pauvres. Je suis Rawls sur ce point. Est juste le système qui, lorsqu’il augmente la part des favorisés, diminue le tort fait aux défavorisés par le succès même du système. Je reste dans la tradition du socialisme démocratique et correctif.
  • On est loin avec vous d’une conception par exemple sartrienne de l’engagement, ou encore de celle d’un Foucault ou de quelqu’un comme Pierre Bourdieu. Il y a aujourd’hui un usage de la dénonciation qui n’oblige à rien. Si on dénonce, il faut savoir comment reconstruire.

 Paul Ricœur, décédé en mai 2005, ne connut pas les Gilets jaunes. Pas plus qu’il ne put percevoir l’impérialisme sauvage des internautes. Mais ces paroles-là semblent assez prémonitoires.

Mardi 7 janvier

 Alors que des aspirations démocratiques semblaient quelque peu érafler le régime des ayatollahs, l’élimination du général Soleimani a donné l’occasion aux religieux de renforcer leur pouvoir en relançant la ferveur nationaliste et les ébullitions anti-américaines qui en découlent. Celles-ci ont trouvé leur paroxysme à l’occasion des funérailles de leur héros. Un cortège impressionnant composé d’un million de personnes exprimant leur colère et leur émotion autour du corbillard. La bousculade fut inévitable : une cinquantaine de morts au moins, plus de deux cents blessés ; sans que Trump n’intervienne.  Le président joue par la bande. Il serait capable de twitter son autosatisfaction.

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 Comme on s’y attendait, le jeune socialiste Pedro Sanchez poursuit sa tâche à la tête de l’Espagne, avec un programme résolument tourné à gauche : hausse de l’impôt sur les gros revenus, y compris les revenus du capital ; hausse du salaire minimum ; revalorisation des retraites ; défense de la laïcité de l’État, etc. Sa majorité est fragile, on le sait. Mais l’homme est solide, on le sait aussi. Un parcours à suivre de près.

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 Comme Die Welt la semaine dernière (voir recension du 5 janvier), Le Figaro se livre à un état des lieux de l’état-civil, sur la base de graphiques et de statistiques. Le résultat est sans appel : les riches vivent plus vieux et en bonne santé. Tiens, quelle découverte !...

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 Cinq ans déjà que Cabu, Charb, Maris,Tignous,Wolinski et quelques autres ont été abattus dans leur salle de rédaction. Beaucoup de journaux évoquent le « Je suis Charlie » des mobilisations indignées. Rien de bien original. Aujourd’hui, la meilleure manière de s’affirmer Charlie, ce pourrait être de démontrer que l’on est imprégné de leur humour et de se livrer à un exercice qui le démontrerait. Celui-ci par exemple, en définitions :

  • Le caca du pape est en odeur de sainteté
  • Érection : braguette magique
  • Osselet : jouer aux osselets à Verdun
  • Sida : la petite paire dépeuple
  • Belgique : l’union fait la farce   

Mercredi 8 janvier

 « On est du pays de son enfance » énonçait François Mitterrand. C’est sans doute pour cette raison qu’il choisit en fin de compte d’être enterré dans le caveau familial de Jarnac. Aujourd’hui, pour le 24e anniversaire de sa mort, les pèlerins seront de moins en moins nombreux au cimetière de cette petite commune de Charente. On dira : « C’est la vie ! » Non, c’est la mort.

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 Et pendant que le guide suprême de l’Iran et le président des États-Unis s’envoient des invectives, le maître de la Russie rend visite au sultan de Turquie. Ils se donnent l’accolade et rient à gorge déployée devant les téléobjectifs. En vingt années d’exercice du pouvoir, Vladimir Poutine avait toujours présenté un visage impassible, impavide.

Jeudi 9 janvier

 La France connaît son 36e jour de grève. Elle n’avait plus vécu pareil blocage depuis plusieurs décennies. La contestation et les manifestations ne faiblissent pas, bien au contraire ; et comme le conflit vire au bras de fer, plus aucun camp ne peut perdre la face. Tous les sondages confirment qu’une majorité de citoyens approuvent le mouvement de grève. Une nouvelle rencontre est prévue demain autour du Premier ministre qui pourrait bien finir par jouer sa tête. Car c’est la dernière grosse carte de Macron si un accord n’intervenait pas : changer de gouvernement. La Constitution de la Ve lui en offre une autre : la dissolution. Mais celle-là ne peut lui convenir, il ne commettra pas l’erreur de Jacques Chirac en 1997. Cela dit, le pays va bientôt entrer en campagne pour les élections municipales. La majorité présidentielle commence à les appréhender. Chaque député LREM a des raisons de les jauger qui lui sont propres. S’il a remporté facilement l’élection présidentielle haut la main, Macron ne présente pas, à mi-parcours de son mandat, un bilan social positif. Et si la gauche n’est toujours pas au point, la droite classique est résolument à l’affût. Le parti LR attend son heure.

                                                                        *

 Elvis Presley aurait eu 85 ans hier. Á cette occasion, plusieurs salles de cinéma programmèrent la nouvelle version de « That’s the way it is », le film distribué par la MGM que Denis Sandersen consacra au king du rock and roll. Presley a quitté la scène pendant 13 ans pour tourner des navets. Le voici de retour à Las Vegas pour 6 concerts durant la première quinzaine d’août 1970. Il est beau comme un dieu. Sa voix de velours enveloppe un public sous le charme. Ce seront les plus belles prestations de sa carrière. Le film montre les journées de préparation et de répétitions avec ses musiciens, avec les chœurs, et l’on est ravi de le voir si aimable, très cordial avec celles et ceux qui l’accompagnent. Les séances de travail sont aussi des moments où toute l’équipe s’amuse grâce à l’ambiance que crée le chef. La star n’est ni capricieuse, ni sourcilleuse. Et quand vient l’heure du spectacle, si le trac est présent, la convivialité demeure aussi un atout de détente. Il a 35 ans. Il n’a plus que sept ans à vivre. La recherche d’autres images permet de constater que lors de son dernier grand concert, à Honolulu (Hawai)) le 14 janvier 1973, il est déjà fort empâté. On ne revoit plus les sublimes déhanchements qu’il offrait à Las Vegas en rallongeant la chanson « Suspicious mind ». Seule ne restera bientôt plus que la légende.   

Vendredi 10 janvier

  Après plusieurs jours de protestations et d’indignations quant à la culpabilité que l’on entretenait à son endroit, l’Iran a été obligé de reconnaître sa bavure. C’est bien un tir de missile qui abattit le Boeing ukrainien transportant 176 personnes en majorité iraniennes mais aussi des Canadiens, des Britanniques entre autres. La tension consécutive à l’attentat contre le général Soleimani aura dû en déboussoler plus d’un dans l’armée.  L’Iran s’est auto-humilié, condamné à se replier en discrétion plutôt que de réagir par la riposte hautaine à l’agression de Trump. Les siècles l’ont démontré : l’Iran est un grand pays qui est malheureusement passé de la dictature du shah au régime plus dictatorial encore, parce que religieux, de Khomeiny et des ayatollahs. Ceux-ci devront tôt ou tard comprendre qu’il n’y a pas d’issue à leur manière d’exercer le pouvoir, même s’ils parviennent à fanatiser une partie de leur peuple en faisant vibrer leur sensibilité nationaliste. Ce sont les Iraniennes qui, un jour, renverseront ce régime.     

Samedi 11 janvier

 Retirer sa proposition ou se retirer, lui. Édouard Philippe a senti qu’il s’engluait dans cette seule alternative. Alors il a reculé. Comme le souhaitait le syndicat réformiste CFDT, le Premier ministre s’engage à extraire l’âge pivot de son projet de réforme des retraites. Après 38 jours de grève, et même si d’autres organisations comme la CGT ne peuvent se satisfaire de ce geste – elle qui veut carrément une renégociation globale – les blocages de mobilité urbaine devraient sauter.  Devraient.

                                                                        *

 Aujourd’hui, celui qui passe commande pour acquérir un avion A320 ne sera pas livré avant 2024. L’avionneur européen de base française Airbus est devenu le premier producteur du monde, en supplantant l’année dernière le géant Boeing, et en présentant un carnet de commandes dépassant les 1000 unités. Cet exploit dope l’économie des 27, mais on sait qu’à l’heure des luttes contre le gaspillage d’énergie, les voyages en avion n’ont plus la cote. Il faut donc espérer que les laboratoires de recherches étudient les possibles réductions de kérosène, voire l’invention d’autres carburants pour propulser ces gros oiseaux qui polluent. 

Dimanche 12 janvier

« Silere non possum ». Benoît XVI, le pape émérite, a plongé dans les évangiles pour dénicher la formule qui convient à sa prise de parole. « Je ne peux pas me taire ». Dans un livre dont la promotion est assurée sur les cinq continents avant sa mise en librairie, il demande à François, son successeur, de ne pas autoriser l’ordination d’hommes mariés. Dit autrement, il défend le célibat des prêtres, ce que le cardinal guinéen Salah, cosignataire de l’ouvrage, appuie en lançant : « Prêtres, soyez fiers de votre célibat ! ». Que celles et ceux qui se reconnaissent dans l’Église participent comme ils l’entendent à ce débat pour le moins fondamental. Mais qu’il soit permis à tous, y compris aux autres, de s’étonner. Il était déjà tellement étrange que deux papes cohabitent en une même période. L’un régnait, l’autre, volontairement effacé depuis sept ans, observait un mutisme élémentaire. Le voici qu’il s’exprime publiquement. Parmi les commentateurs, ses défenseurs plongent déjà aussi dans les évangiles pour justifier la sortie. Qu’on l’exprime n’importe comment, une chose est claire : Benoît XVI exerce une pression sur François avant que celui-ci ne soit amené à prendre une décision de la plus haute importance pour l’Institution qu’il dirige. L’indispensable mutisme lié au retrait a explosé. Sombre question de soupape.

                                                                        *

 Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre étatsunienne, fait savoir qu’elle estime posséder assez de preuves pour exiger la destitution de Donald Trump. Cette information est ravalée bien loin dans les sommaires des journaux. L’assassinat du général iranien et ses conséquences occultent toute autre information. On serait donc fort tenté de considérer que la crapule Soleimani servit d’amorce à une opération d’enfumage envers les travaux d’impeachment. Détourner l’attention de l’opinion publique, fût-ce au pris d’un crime de guerre, est une méthode souvent employée par les pouvoirs en péril. L’un des exemples les plus significatifs autant que cocasses est la guerre que la dictature argentine avait déclenchée, le 2 avril 1982, afin de récupérer l’archipel des Malouines et détourner ainsi l’attention de son peuple sur les difficultés intérieures. Hélas pour la junte, la réaction fulgurante de Margaret Thatcher régla la question en deux ou trois raids bien ajustés.  

Lundi 13 janvier

 Les images qui nous parviennent d’Iran montrent souvent des hordes fanatiques clamant leur allégeance au régime des mollahs. Ces reportages sont trompeurs. Il existe une réelle opposition en Iran. Comme souvent sous des pouvoirs contraignants, c’est dans les universités que la contestation naît pour se développer. L’avion civil ukrainien détruit par erreur l’a conduite dans la rue. Il existe une opposition intérieure au régime iranien. Et il est possible qu’elle soit beaucoup plus importante qu’on ne le dise. Son éclosion pourrait donc survenir soudainement, sans que l’on ne s’y attende, comme les régimes communistes le vécurent à la fin des années quatre-vingt. Pourquoi ne serait-elle pas l’heureuse surprise de ce millésime ?

 Mardi 14 janvier

 Le temps des intellectuels serait-il enfin de retour ? Déjà au début des années quatre-vingt, Max Gallo, porte-parole du gouvernement Mauroy sous la présidence Mitterrand, les provoquait : « Exprimez-vous ! » L’époque des pétitions était révolue ; il y eut parfois tant d’erreurs, tant de bêtises, que les beaux parleurs s’identifiaient à des chats échaudés. Voilà que Libération publie une prise de position dont les signataires apparaissent comme « Un collectif d’intellectuels ». Leur critique ? Accuser Macron de porter atteinte aux solidarités inscrites dans les lois, les « déciviliser », opter en conséquence pour le « chacun seul », moteur d’une « révolution libérale autoritaire » comparable à celle de Margaret Thatcher. Certes, les stars de la parole ne sont pas dans le lot des protestataires réunis sous le nom de groupe « Carton rouge ». Autour de Christophe Charle, Annie Ernaux, Gérard Mordillat, on trouve des sociologues et des médecins, des philosophes aussi : Jacques Bidet, Stéphanie Chevrier, Philippe Boursier, Judith Butler, etc. Pas de quoi encore ébranler l’Élysée. Une contestation anti-Macron - qui ne veut pas se reconnaître dans un parti politique et qui prend soin, à chaque prise de position, de préciser ses distances avec le Rassemblement national de Marine Le Pen – semble naître en groupuscules épars. « Carton rouge » n’est qu’un effet du malaise parmi d’autres. Le pouvoir aurait tort de ne pas s’en inquiéter.     

Mercredi 15 janvier

 Très poliment, les agences de presse répercutent l’information diffusée à Moscou : le gouvernement russe de Dimitri Medvedev démissionne. Il faudrait plutôt signaler que Vladimir Poutine a démissionné le gouvernement Medvedev. Comment décrypter ? Quelle en est la raison ? Le maître du Kremlin préparerait-il son 18 brumaire ? Est-ce bien nécessaire ? Plus de pouvoirs personnels ? Bof… Une seule chose lui manque vraiment : la désignation à vie. Ce serait quand même risqué. Il y a pourtant de la révision constitutionnelle dans l’air…

                                                                        *

 La France détenait un trésor masqué : son évolution démographique. La plus importante de l’Union européenne. Et voilà que l’on apprend une statistique masquée jusqu’ici : sa natalité française baisse depuis cinq ans. Mais que fait Macron ? En tout cas, depuis que le pays vit une crise des retraites, le président ne s’est jamais autant occupé d’écologie.

                                                                        *

Petite proposition d’ajout (sans prétention) à la remarquable contre-encyclopédie de Jean-François Kahn « M la maudite, la lettre qui permet de tout dire » (éd. Tallandier) après avoir vu un film sur la mafia : « Mouchard :  Homme donneur ».

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https://www.liberation.fr/debats/2020/01/13/carton-rouge-contre-la-revolution-conservatrice-d-emmanuel-macron_1772808

 

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