Ceci n’est pas du poisson marocain…

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Les Sahraouis des camps de réfugiés en Algérie près de Tindouf accueillent une délégation des comités de solidarité européens et africains. Photo © Gabrielle Lefèvre

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Lecture 7 min.

La mer, infinie et sans cesse renouvelée semble n’appartenir à personne et pourtant ! Il existe un droit international de la mer aussi complexe que les vents et marées, les cyclones et les brises. On y règlemente ce qui appartient à qui, notamment aux Etats, comment les exploiter, les limites des eaux internationales, etc. Et quand on dit mer, on sous-entend tout ce qui y vit, y nage ou se cache en dessous des fonds marins.

Pour régler les très nombreuses disputes concernant ces richesses vitales pour l’humanité, il existe même un Tribunal international du droit de la mer situé à Hambourg et qui fait observer les termes de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il n’est pas seul compétent pour s’emparer des différends à ce sujet. La Cour de justice de l’Union européenne s’est penchée une  nouvelle fois sur le cas des violations des droits du peuple sahraoui, dernière colonie d’Afrique, le colonisateur - non mandaté par aucune instance internationale - étant le Maroc.  Déjà, en décembre 2016, cette Cour de justice avait invalidé les accords d’association et de libéralisation entre l’UE et le Maroc au motif que le Maroc ne peut exploiter des ressources naturelles du Sahara Occidental sans l’accord des Sahraouis et plus précisément, de leur représentant politique le Front Polisario. (1)

Or, depuis des décennies, le Maroc, non seulement pêche dans les eaux territoriales sahraouies mais a conclu avec l’UE un accord de pêche portant à 91,5 % sur les eaux du Sahara occidental. Des licences d’exploitations de pêche sont vendues à des entreprises espagnoles, françaises, hollandaises et autres dans ces eaux riches en poissons et donc très convoitées. Les patrons de pêche font de bonnes affaires et le Maroc en tire un très bon profit qu’il n’est pas prêt à abandonner. Il s’agit bel et bien de vol à l’encontre de la population sahraouie qui ne reçoit pas un centime d’euros de l’exploitation de ses richesses halieutiques et qui continue à être réduite à la pauvreté, que ce soit dans les territoires occupés, dans les campements de réfugiés dans le sud algérien près de Tindouf, dans les zones libérées du Sahara Occidental.

Rares sont les pays qui se mobilisent pour défendre les populations encore colonisées, mis à part quelques pays membres de l’Union africaine. Les associations internationales et nationales de défense des droits humains et du droit à l’autodétermination des peuples continuent sans relâche d’interpeller les autorités étatiques et internationales sur leurs responsabilités.

L'avis de la Cour de Justice de l'Union européenne

C’est ainsi que l’association britannique Western Sahara Campaign (WSC) a joué un très beau coup juridique : elle a interpellé la Haute Cour de Justice (Angleterre et Pays de Galles)  sur la validité de cet accord de pêche estimant que « les autorités britanniques agissent de manière illégale en donnant application à cet accord et, en particulier, en accordant un traitement tarifaire préférentiel aux produits originaires du Sahara occidental certifiés en tant que produits originaires du Maroc. » En outre, WSC conteste « la possibilité offerte aux autorités britanniques de délivrer des licences pour pêcher dans les eaux adjacentes au Sahara occidental. »

La haute Cour s’est donc adressée à la Cour de Justice de l’Union européenne, puisqu’il s’agit de droit européen, et son avocat général, le belge Melchior Wathelet sr a poursuivi dans la logique de son avis précédent : il estime que l’association pouvait porter l’affaire devant la justice (ce qui devrait donner des idées à d’autres associations qui se battent pour les droits humains) et que l’Union européenne a l’obligation « de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la violation par le Maroc, du droit de ce peuple à l’autodétermination ainsi que de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ».

En effet, « dans la mesure où ils s’appliquent au territoire du Sahara occidental et aux eaux y adjacentes, l’accord de pêche et les actes l’approuvant et le mettant en œuvre sont incompatibles avec les dispositions des traités qui imposent à l’Union que son action extérieure protège les droits de l’homme et respecte strictement le droit international. »

L’avocat général n’est pas tendre envers le Maroc qui, en tant que puissance occupante ne respecte pas le droit international humanitaire. Enfin, il souligne que « la contrepartie financière versée au Maroc par l’Union au titre de l’accord de pêche devrait bénéficier presque exclusivement au peuple du Sahara occidental ».

Voilà une belle victoire du droit sur les injustices tolérées par l’UE et notamment par la France qui protège -  envers et contre toute logique politique et humanitaire -  les intérêts marocains.

Si la Cour suit le raisonnement de l’avocat général, ce qui est fort probable, l’UE devra revoir ses accords de pêche avec le Maroc et combler le préjudice subi par le peuple sahraoui.

La justice s'applique aussi aux Etats

Cette affaire est l’occasion de rappeler que le droit international et le droit européen sont d’excellents outils pour les peuples et pour les associations qui défendent les droits humains. Faut-il toujours attaquer les Etats en justice afin de leur rappeler  leurs responsabilités ? Il serait tellement plus simple, plutôt que d’être astreints à payer des dédommagements et de l’aide humanitaire, que les Etats et l’UE forcent le Maroc à reconnaître le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, demandé depuis plus de 40 ans par les Nations Unies. Il suffirait aussi de reconnaître la République arabe sahraouie démocratique (RASD) comme Etat indépendant, ainsi que l’a fait l’Union africaine (3). Et d’entamer d’honnêtes (un mot qui paraît de plus en plus étrange !) relations commerciales avec ce peuple, dont le territoire semble désertique mais qui est riche de ressources naturelles nombreuses.

De plus, conserver un état d’instabilité permanente dans cette zone du Maghreb ne peut qu’accentuer le désespoir des jeunes privés d’avenir. Désespoir signifie aussi émigration, trafic de drogue voire même terrorisme. Et le Maroc ne se prive pas d’utiliser ces phénomènes qui sévissent sur son propre territoire comme un instrument de chantage afin de bénéficier d’un statut préférentiel auprès de l’UE. Du style : on oublie les exactions coloniales sinon on relâche le contrôle sur les migrants venus des pays africains ou sur les trafiquants de drogue.

Curieusement, l’UE accorde un statut préférentiel à deux Etats non européens, Israël et le Maroc, tous deux occupant des territoires qui ne leur appartiennent pas et violant sans cesse les règles du droit international. Les pyromanes sont privilégiés et les victimes sont criminalisées. Telle est l’absurdité de la politique européenne décidée par les Etats membres, c’est-à-dire nos gouvernements.

Coincés entre mer et désert, les Sahraouis revendiquent, pacifiquement, avec patience et constance, leur droit à exister en tant que peuple. La justice les aide, enfin.

(1)   http://entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/surfer-%C3%A0-dakhla

(2) http://curia.europa.eu/juris/documents.jsf?num=C-266/16

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(3) http://www.spsrasd.info/news/fr/articles/2018/01/14/13108.html

 

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