Comme des bulles de savon

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Bonheur enfantin grâce à un jouet non polluant, non énergivore, offert par un vrai humain : à souligner en cette époque de jouets électroniques couteux et parfois hyper abrutissants. Photo © Gabrielle Lefèvre

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Lecture 9 min.

Place de la Monnaie au cœur de Bruxelles inondée de soleil en ce début d’automne, jaillissent d’un fil magicien des bulles de savon multicolores, cascadant au gré du vent. Des enfants bondissent et attrapent ces ballons d’illusions qui explosent en gouttelettes insaisissables. Le magicien, un bateleur de quelque part dans le monde, sourit et recueille les quelques pièces que l’on veut bien lui donner.

Des sans-abris observent le spectacle, en se réchauffant au soleil, des mamans photographient leurs enfants aux anges, les chalands entrent et sortent des magasins aux vitrines scintillantes, chargés de paquets emplis des fringues à la durée de vie brève et voués aux poubelles après quelques mois. Les jeunes arborent leurs casques et smartphones, leurs canettes de n’importe quoi, les yeux ailleurs, l’attention vissée sur leurs mondes virtuels.

Spécial Luxe

Avec mon journal vespéral, s’invite dans ma boîte à lettres un supplément « spécial luxe », rutilant d’illusions soulignées par un langage dithyrambique qui « sublime l’excellence ». On y définit le luxe comme « une formule alchimique entre matières précieuses, quête d’excellence et une pointe de magie, pour faire éclore l’absolue désirabilité ». Traduisez : comment vous séduire afin de vous faire acheter le parfaitement inutile dans l’illusoire sensation d’exister aux yeux des autres. « En mettre plein la vue », écrit-on. Le luxe n’évite pas le vintage : la récup, la seconde main deviennent elles-aussi des marchés prometteurs au moment où tant de gens sont obligés d’y recourir faute de pouvoir s’acheter du neuf pour se vêtir. Même des sacs à main deviennent « bankables » à l’époque où les comptes en banque de la majorité de la population se vident afin de payer le nécessaire, l’indispensable.

Le thème de la « liberté » revient lui-aussi dans ce magazine : « un jeu de coussins pour exprimer sa liberté ». De même, la voiture était symbole de liberté individuelle, le tourisme exotique aussi malgré la masse de voyageurs et les dégâts innombrables aux sociétés et à la nature ainsi « visitées ». Nos sans-abris de la Place de la Monnaie s’emmitouflent dans leurs couvertures tachées et disposent leurs sacs « vintage » en guise de coussins. Le soleil disparaît petit à petit et la fraîcheur s’installe.

L’absurde du luxe vanté par notre magazine si « glamour » éclate dans le panégyrique d’un créateur de bijoux, aujourd’hui disparu : chaînes, menottes, pavés (mai 68 très chic !), en or évidemment, pour décorer cous et poignets des belles. Autant de symboles de répressions et de rébellions qui traversent les époques et restent bien actuels. Il y a même la lame de rasoir « so » punk récupérée par le luxe alors qu’elle reste une arme redoutable pour les plus désespérés de nos sociétés. Conclusion de cet article « La transgression est à la mode. Qui va s’en plaindre ? ». Vaine récupération d’un concept, la transgression, qui incite à la rébellion, ceci afin d’aveugler encore un peu plus le crédule, l’insatisfait dont la convoitise est sans cesse stimulée par ces images publicitaires aussi fortes et fragiles que des bulles de savon.

Ça suffit !

Car la rébellion est de plus en plus à l’ordre du jour : les grèves du mardi 9 novembre 2022 l’ont démontré. Dans le même journal vespéral, une page entière expliquait le pourquoi de cette rébellion syndicale signée rouge et vert. « Ça suffit ! », le titre sonnait fort l’alarme, les travailleuses et les travailleurs méritent le respect. La justice aussi puisque ce manifeste syndical revenait fort bien sur un des aspects les plus révoltants de la crise économique, politique et sociale que nous vivons : « Engie engrange 2 milliards de surprofit cette année, rien que sur 4 réacteurs nucléaires ; Total distribue 2,6 milliards d’euros à ses actionnaires ; la liste est longue. Le secteur de l’Energie mais aussi d’autres multinationales, profitent cyniquement de la crise ! Nous demandons au gouvernement d’aller chercher ces moyens, structurellement – sinon c’est encore une fois les travailleurs qui paieront la note. »

Taxer les surprofits… et pourquoi pas les super profits tout court ? Pour en revenir à notre magazine sur le luxe, rappelons que ce secteur se porte super bien et c’est le Journal du Luxe qui nous le dit : « Il faut dire qu'avec une valeur estimée aujourd'hui à quelque 288 milliards d'euros, le secteur a bel et bien renoué avec sa croissance pré-Covid. Au premier trimestre 2022, le secteur aurait ainsi enregistré une croissance évaluée entre +17 et +19% à taux de change courants par rapport aux trois premiers mois de 2021, tiré notamment par la reprise du marché européen qui renoue progressivement avec le tourisme. ». Et l’on décrit la reprise du secteur en Chine et aux Etats-Unis. L’autrice de cette étude souligne que les maisons de luxe se sont distinguées sur ce début d'année "en jouant un rôle de premier plan dans la transformation durable et numérique en cours". Et on estime donc « la valeur du marché des biens personnels de luxe à 360 voire 380 milliards d'euros d'ici les trois prochaines années. » ;

Voilà qui est particulièrement indécent alors que la crise frappe durement toutes les couches de la population, autres que les riches. A moins d’enfin taxer très fortement cette richesse qui surfe sur l’exploitation des richesses naturelles des pays les plus pauvres et qui s’enrichit des désirs fabriqués par la publicité. D’ailleurs, ces mêmes firmes du luxe ont beaucoup investi dans d’autres bulles de savon : le numérique et particulièrement le Metavers et les NFTs (jetons non fongibles représentant un objet auquel est attaché une identité numérique, ex : les œuvres d’art virtuelles), deux systèmes qui s’effondrent fort heureusement pour l’instant au prix de dizaines de milliers de pertes d’emplois, licenciements secs de travailleurs prévenus par courriels ou simples tweets et sans aucune protection syndicale.

#Investigation

Heureusement, il arrive que l'on nous informe bien sur ces systèmes économiques que l’on tente de dissimuler par d’opaques écrans de fumée de bombardements et autres destructions russo-ukrainiennes. Félicitations à l’excellent magazine #Investigation de la RTBF de mercredi 9 novembre où le téléspectateur a pris la pleine mesure de l’accroissement de la pauvreté dans notre pays (du moins dans la partie francophone) et des causes réelles de l’augmentation de nos factures d’énergie domestique. Une démonstration claire de l’absurdité d’un système néolibéral mondialisé qui permet ainsi une spéculation éhontée sur des biens de première nécessité au profit de riches compagnies. « QR Le débat » qui a suivi cette émission a démontré l’ampleur de la tragédie qui frappe de petits artisans et commerçants mais aussi les CPAS eux-mêmes, débordés par les demandes urgentes, certains d’entre eux en sont même réduits à vendre des biens immobiliers, ce qui fragilise leurs capacités à aider sur le long terme les plus déshérités. Le lendemain, sur les réseaux d’information, sont diffusées des photos de méthaniers contenant du GNL qui patientent pendant des semaines en haute mer. Ils attendent que les prix augmentent avant de délivrer ce gaz dont la pénurie a été organisée par une guerre aussi absurde que désastreuse pour les populations « qui ont trop peu de tout » ainsi que les nomme Christine Mahy, du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté.  

On comprend mieux encore les raisons de la rébellion syndicale, celle des militants pour le climat qui s’enchaînent et bloquent l’usage des jets privés des milliardaires européens et étatsuniens. On ne comprend pas l’immobilisme et la prudence de nos gouvernants belges et européens qui se contentent de saupoudrer des aides aux personnes les plus en souffrance mais sans s’attaquer aux causes profondes de ces injustices et inégalités. Sans de telles réformes, la FGTB et la CSC nous préviennent : « si nous ne sommes pas entendus, ce conflit continuera, au plan national, dans les régions, dans les secteurs, dans les entreprises. »

Et ce ne sont pas des bulles de savon politiques qui empêcheront cette révolte.

La (grosse) bulle qatarie

Dans Le Soir du 9 novembre 2022, une intéressante interview de Sepp Blatter, ex-président de la FIFA, aujourd’hui heureux de son acquittement judiciaire. Il raconte sa version de l’absurde Coupe du Monde de foot au Qatar. Morceaux choisis afin de renforcer la détermination de ceux qui boycottent cet événement qui n’est plus du sport mais du spectacle « poudre aux yeux ». « Le choix du Qatar était une erreur, dit-il. Nous étions d’accord (au sein du Comité exécutif de la FIFA, ndlr) pour que la Russie obtienne la Coupe du Monde de 2018 et les Etats-Unis celle de 2022. Cela aurait été un geste de paix si les deux adversaires politiques de longue date avaient organisé la compétition l’un après l’autre. »

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M. Blatter raconte comment Michel Platini, alors président de l’Union européenne de football et membre du comité exécutif de la FIFA a imposé la décision de nommer le Qatar pour cette Coupe du Monde 2022 après une rencontre avec le président de la République française de l’époque, Nicolas Sarkozy. Six mois plus tard, le Qatar a acheté des avions de combat aux Français pour 14,6 milliards de dollars.

Et voilà pourquoi des centaines d’ouvriers sont maltraités ou sont morts pour bâtir les infrastructures d’une Coupe du Monde absurde politiquement et sportivement.

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