Couvre-feu, Couvre-covid

Confidences du chauffeur du Ministre

Par | Penseur libre |
le

Pour lutter contre une nouvelle vague de la Covid-19, le couvre-feu a été déclaré en RDC le 18 décembre 2020 de 21 h à 5 h. du matin. Photo © deskeco.com

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La nouvelle est tombée comme une bombe : couvre-feu ! « Couvre-feu » est un mot à la rigueur familier pour nos générations des années de feu et de sang. C’est un mot de moins en moins usité aujourd’hui, du moins à Kinshasa. Je ne dirais pas autant de l’est du pays où le couvre-feu, hélas, est un sport et un sort funestes : couvre-feu, couvre-jour, couvre-nuit, voire couvre-covid…

Cette nouvelle de couvre-feu nous est tombée dessus en pleine cuite, dans notre bar-nganda du quartier, et bien trop tard. La nouvelle nous est tombée au-delà de 21 heures, l’heure fatidique de ce vendredi fatidique du début du couvre-feu fatidique, et sans préavis. Personne d’entre les ambianceurs n’a vu venir le danger. Et pour cause : pas de courant électrique pour suivre les infos ou les matches ; pas de groupe électrogène de substitution ; pas de bière fraîche. Et pas la moindre ombre dandinante de londonnienne noctambule ; et donc pas d’ambiance habituelle…

Pour tromper l’ennui et conjurer le sort, la cuite aidant, nous nous sommes mis à chanter a capella, les voix enrouées et imbibées d’alcool. Et personne d’entre les ambianceurs présents n’avait encore conscience du silence des rues environnantes dans ce quartier habituellement tonitruant.

… Jusqu’au moment où la police a fait irruption, armes et matraques au poing. La police a cassé la porte d’entrée en criant « Haut les mains ! Personne ne bouge ! Vous êtes encerclés ! Vous êtes en arrestation ! » En une fraction de seconde, le bar-nganda était pris d’assaut et envahi par des policiers excités.

C’est lors des perquisitions du bar-nganda et de nos … poches que nous avions enfin compris l’étendue de notre forfaiture : non seulement nous n’avions observé aucune consigne sanitaire du couvre-covid ; mais nous avions bravé le couvre-feu. En tant qu’« autorité morale » des ambianceurs du quartier, j’ai eu beau présenter des excuses au commandant des policiers, niet. Je suis allé loin en indiquant maladroitement que notre rencontre faisait partie d’une campagne anti-Covid ; niet. De guerre lasse, j’ai fini par dire n’importe quoi : que nous étions un groupe de prière charismatique ; que nos intentions ferventes consistaient à solliciter la providence divine afin d’exorciser le Covid ; niet. Alors j’ai sorti le grand jeu : j’ai sorti ma carte de service aux armoiries étoilées sur fond de totem de léopard, avec signature ministérielle kilométrique et un cachet inimitable. Sur la carte de service, il était mentionné comme grade « Pilote -1e Classe- de- l’escorte- ministérielle » au service de Son Excellence le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques (à prononcer avec respect…). A la seule référence de mon patron de Ministre, le commandant du peloton des policiers s’est automatiquement mis au garde-à-vous, et a ordonné à ses hommes de baisser la garde et de se replier.

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J’en ai aussitôt profité pour offrir une tournée générale au profit des hommes en uniforme et en armes. Le commandant des policiers a fait mine de décliner l’offre ; je n’ai pas eu à beaucoup insister pour qu’il accède à ma gracieuse demande. Ce fut, de mémoire d’ambianceur du quartier, une des plus belles soirées de cuite et de coexistence pacifique entre policiers et … hors-la-loi !

Nous avons cuvé notre bière en parfaite fraternité et dans un concert certes cacophonique de chants grivois, mais fort sympathique. Et tout ça jusqu’à 5 heures du matin, heure théorique de fin de couvre-feu. Et tout ça avec une compagnie de gais lurons en état avancé d’ébriété…

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