Dans la forêt sans homme

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 4 min.

Elle avait suivi ses parents dans un couffin. A son âge, trois ans,c’est le moins que l’on puisse faire. Ils avaient traversé le désert et puis la mer. Partout où ils allaient, elle posait ses yeux immenses sur le monde pour l’observer et le comprendre. Le désert n’a pas besoin d’hommes pour être dangereux. La mer, non plus.Pour embarquer son père a donné au capitaine tout ce qu’ils possédaient.

- Tu t’es fait arnaquer, a dit la mère

- J’ai payé le même prix que les autres, s’est défendu le père, pas fier. Dans le bateau, en pleine mer, ses parents se réchauffaient à l’espoir en répétant : « Tu verras, tu verras. » Sa mère a chanté une chanson pour faire fuir la peur. Le vent emporta les paroles au loin.

Ils ont accosté dans un port où les attendaient des hommes en uniforme qui sont montés à bord. Elle a observé intensément les policiers mais eux, non. Trop de travail. Une armée était sur le point d’envahir l’Europe dont ils étaient les gardiens.Ils voulaient voir leurs papiers. Pourquoi des papiers ? Qu’est-ce que c’est ?

Arrivés dans une grande ville, ils se sont réfugiés dans un parc où ils ont eu froid, faim et soif. Toutes les nuits, les policiers du secrétaire d’état à la migration les traquaient pour avoir des papiers. Personne n’en possédait, tout le monde le savait. Aux yeux de la petite, le spectacle ressemblait à Guignol en pas drôle. Encore des papiers ? qu’est-ce que c’est ?

Le secrétaire d’état désirait appliquer strictement la loi du pays dont son parti voulait la mort.

Le bébé ne comprenait pas mais, à sa décharge, personne ne comprenait.

Ensuite, on leur a dit : on va vous loger dans un centre fermé près d’une forêt et d’un aéroport, ce sera plus simple. Son Papa a dit ce que disait déjà son père : « Là où il n’y a plus d’hommes, pousse une forêt. »

Les mots ont leur importance. Il s’agit d’un centre fermé, pas d’une prison même si le centre est gardé par des hommes armés, entouré de barbelés et surveillé par des miradors

Dans le village où avait été construit le centre fermé, les habitants ne voulaient pas des nouveaux arrivants. Ils craignaient le bruit, la violence, la saleté, le vol et la drogue. La drogue ? C’est quoi la drogue ?

Après deux semaines d’enfermement, un matin, très tôt, elle a quitté le centre par un trou dans le grillage creusé par les renards, un peu sur ses pieds, beaucoup sur ses genoux car elle est trop petite pour marcher.Elle a traversé la route et s’est engagée dans la forêt.

Dans le centre, tout le monde s’inquiéta pour elle. Dans le village, on a dit : quand on ne sait pas tenir ses gosses, on n’en fait pas.

Trois semaines passèrent sans nouvelle de l’enfant. C’est long trois semaines quand on est parent.Un jour, un chasseur revint de la forêt, les larmes aux yeux. C’est rare un chasseur qui pleure. Il avait découvert un enfant africain en pleine forêt flamande couché sur un lit de feuilles.  Ce n’était pas un lit mais plutôt un autel formé de feuilles arrachées et empilées. De la fougère, du liseron et du chèvrefeuille. L’ensemble n’avait rien de design mais était plutôt confortable Auteurs du berceau improvisé, des sangliers montaient la garde et un cerf surveillait tout le plus grand cerf et le plus triomphant jamais vu dans cette forêt loin des Ardennes. Dans le berceau de l’enfant, le chasseur découvrit des glands, des fèves, des noisettes et de l’ail des ours.

- On dirait qu’ils l’ont nourri, affirma le chasseur.

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- Ce n’est pas possible, répondirent les villageois.

Quinze jours après cette découverte, disparurent les premiers enfants du village.  On accusa les migrants, mangeurs d’enfants, mais l’enquête de la police conclut que les enfants du village s’étaient réfugiés dans la forêt de leur plein gré avec l’intention de rejoindre les bêtes.

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