« Emmenez-moi… »

Les calepins

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Lundi 1er octobre

 Mort de Charles Aznavour (22 mai 1924). S’attendre ce soir à une avalanche d’éloges, ainsi que demain et peut-être les jours suivants si Macron décidait de lui organiser des funérailles nationales. Les titres de ses chansons, les vers les plus célèbres, seront choisis pour la circonstance, préférés aux superlatifs, trop communs : Désormais…, Emmenez-moi…, Hier encore…, Un jour viendra je leur montrerai que j’ai du talent, Balayé par septembre, etc.  Le Canard enchaîné pourra aussi s’adresser au défunt : Tu t’laisses aller… S’attendre aussi à ce que les chaînes de radio et de télévision modifient leur programme. Les parents du petit Charles avaient fui l’Arménie où les Turcs massacraient (il disait « massacre » plutôt que « génocide » pour ne pas, soulignait-il ironiquement « gêner les Turcs, mais ça revenait au même : 1,5 million d’Arméniens massacrés parce qu’ils étaient Arméniens… ») Après un long séjour à Istanbul et un plus long encore en Méditerranée, apatrides, ils arrivèrent à Paris, sans le sou, bien entendu. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, le père s’engagea dans l’armée française « pour remercier la France de les avoir accueillis », comme son ami Missak Manouchian et les compatriotes de L’Affiche rouge. L’Aquarius de l’époque avait pu accoster. Sans quoi, la Ve République n’aurait connu qu’un grand Charles.

Mardi 2 octobre

 Ça sent la poudre à Birmingham. Le congrès du parti conservateur britannique se déchire autour du plan de Theresa May sur l’accomplissement du Brexit. Le bouillant Boris Johnson éructe. Il sait que s’il parvient à mettre la Première ministre en minorité, les portes du 10 Downing street lui seront ouvertes. Oui… Si son parti reste majoritaire à la Chambre des Communes…

                                                           *

 Gérard Collomb veut démissionner. Il veut quitter la place Beauvau le plus vite possible. Il est déçu par son poulain. Les larmes qu’il ne pouvait retenir à l’Élysée le jour de l’intronisation sont toujours présentes aux pupilles. Ce n’est plus le bonheur qui les produit.

                                                           *

 Le nombre 1200 provient d’Indonésie. Tantôt pour évoquer le dernier bilan du séisme, tantôt, dans une coïncidence tragi-comique, pour signaler l’ensemble des détenus qui ont réussi à s’évader de leur prison grâce au séisme…

Mercredi 3 octobre

 Á minuit, à la suite de multiples tergiversations, Macron finit par accepter la démission de Gérard Collomb. Après Nicolas Hulot, c’est l’autre ministre d’État qui le quitte. Aucun successeur n’est annoncé ; le Premier ministre assurera l’intérim, ce qui prouve bien que le président a été pris à contrepied. Jupiter serait un alchimiste qui pète les plombs.

                                                           *

 Erdogan a emprisonné beaucoup de journalistes et d’intellectuels. On compte aussi plus de 60.000 étudiants détenus sous les verrous. Voilà pourquoi le sultan tombera. « On n’emprisonne pas Voltaire » disait le Général en parlant de Sartre (à qui il écrivait en commençant par « Mon cher Maître… »)

Jeudi 4 octobre

  Picasso, bleu et rose. L’exposition se tient jusqu’au 6 janvier au Musée d’Orsay. Tous les ans, des dizaines de manifestations consacrées à Picasso sont organisées dans le monde entier. Toutes présentent intérêt. Toutes évitent la répétition, réussissant à dégager un point original de l’œuvre, un aspect inconnu de sa conception, une caractéristique inédite de la création exponentielle de l’artiste. Mais aucune exposition, même celle qui osait s’intituler « rétrospective », ne recueillit des critiques aussi unanimement dithyrambiques que celle-ci. Des musées ou des collections rarement sollicités (l’Hiroshima Museum, la collection du banquier monégasque Nahmad…) ont prêté des tableaux. Bref, plus on lit des commentaires ou simples échos en rappels, plus on culpabilise de n’avoir pas encore poussé les portes de cette ancienne gare. Picasso, le briseur du train-train.

                                                           *

 Accolades, embrassades, rires de complicité, petits clins d’œil, apartés de circonstances, bains de foule tendus, réflexions choquantes… Comme tout cela semble toc ! Macron ne sait pas faire peuple.

Vendredi 5 octobre

 Á l’occasion du 60e anniversaire de la Constitution de la Ve République, François Hollande est invité par plusieurs médias. Pas de prestations autour de son livre, pas de fléchettes à l’adresse de son successeur, pas de petites blagues… Le voici dans le contexte sérieux de l’organisation de l’État. Et ceux qui l’invitent ne sont pas déçus. Non seulement l’homme commente doctement le texte sacré, mais en plus, il en propose une réforme audacieuse : supprimer le poste de Premier ministre et rendre ainsi le chef de l’État à la tête de l’exécutif, responsable direct devant les Assemblées mais aussi devant le peuple. D’autres y avaient pensé avant lui mais personne n’avait eu l’audace de s’exprimer aussi concrètement, et surtout pas un ancien président de la République. Hollande regrette « la dyarchie » actuelle et cependant, de Gaulle, en 1958, justifiait la structure de la Constitution en précisant : « il ne saurait être question qu’une dyarchie existât au sommet », justifiant ainsi le poste de Premier ministre comme exécutant et transformant l’État en monarchie républicaine. Seul, en fait, lui-même pouvait se placer au sommet et laisser un Premier ministre gérer les affaires. Cette pratique fut aussi un peu en cours sous Mitterrand mais elle se heurta aux cohabitations. Certes, Nicolas Sarkozy appela François Fillon « mon employé » mais cela fit ricaner ou rigoler. Faut pas pousser…

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 Le centre de Paris et l’église de la Madeleine pour Johnny Hallyday, la cour des Invalides pour Jean d’Ormesson et Charles Aznavour. En voulant maîtriser toutes les grandes communications de l’actualité, Macron se transforme peu à peu en organisateur d’obsèques somptueuses. Dans ce domaine là aussi, il risque donc de lasser en démythifiant de hautes personnalités. Sans verser dans la spéculation nécrophilique, on peut supposer que d’autres grandes figures perdront la vie durant le quinquennat. Le cas de Jacques Chirac serait différent puisqu’il s’agit d’un ancien président de la République. Mais comment Macron réagirait-il au décès de Jean Daniel par exemple, 98 ans depuis le 21 juillet ? La France compte quelques nonagénaires qui ont marqué son histoire, comme Robert Badinter… Ou Jean-Marie Le Pen… Lorsque l’on évaluera sa marque dans ce cadre-là, il ne faudra pas oublier l’entrée d’Antoine Veil au Panthéon. Pour le coup, il ne s’agissait pas d’une démythification mais au contraire d’une mythification tout à fait injustifiée, une insulte à la République.

Samedi 6 octobre

 Si le jury d’Oslo avait attribué le prix Nobel de la Paix au couple Kim Jong-un – Donald Trump (à l’instar de ce qu’il fit en 1973 pour Kissinger et Le Duc Tho ; ou en 1994 pour Peres, Rabin et Arafat), il se serait complètement discrédité. Il a choisi, c’est tant mieux, le docteur Denis Mukwege, « le réparateur des femmes », et la jeune irakienne Nadia Murad, esclave sexuelle des djihadistes de l’État islamique, dénonçant ainsi les violences sexuelles utilisées en tant qu’armes de guerre. Le hasard du calendrier veut que le mouvement Me Too, contre le harcèlement sexuel, lancé à la suite de l’affaire Weinstein, fête son premier anniversaire. Le temps est venu d’examiner ou de commenter ce phénomène vieux comme le monde avec sagesse et sérénité. Manon Garcia, philosophe, enseignante et chercheuse à l’université de Chicago, publie sous un titre beauvoirien (On ne naît pas soumise, on le devient, éd. Flammarion) une réflexion sur la soumission des femmes et leur consentement, ce qui ne va pas apaiser certaines prises de positions dans les mouvements féministes.

Dimanche 7 octobre

 On vote au Brésil, élection présidentielle. Des observateurs vont jusqu’à imaginer que le candidat de l’extrême droite pourrait être élu dès le premier tour ! Ce n’est quand même pas pensable ! D’ores et déjà, une remarque fondamentale s’impose : cette semaine, tous les candidats ont participé à un grand débat télévisé traditionnel. Tous, sauf le favori néo-fasciste qui a préféré s’attarder sur les réseaux sociaux. Roosevelt et la radio, Kennedy et la télévision, Trump et le numérique. Ces trois Américains ont initié de nouvelles formes de communication politique. Cette évolution est acceptable tant qu’elle ne pollue pas le suffrage universel. Cela dit même si elle était considérée comme inacceptable, il faudrait bien s’y résoudre et s’y adapter en la dominant le mieux possible.

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 I feel good. Un bel hommage à l’abbé Pierre de Benoît Delépine et Gustav Kervern, où l’inattendu apaise le loufoque, avec la complicité de Jean Dujardin, merveilleux en charlatan bien qu’empâté, et de Yolande Moreau, que la sagesse et le bon sens rendent indispensable à l’histoire. Sans oublier les compagnons d’Emmaüs de Nouvelle Aquitaine qui authentifient le scénario : l’argent n’est pas tout et la beauté des choses est en nos pas, si proche, si présente…

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 Un jour un destin sur France 2 pour achever la soirée. Laurent Delahousse consacre son portrait à Robert Badinter. Même si l’on connaît ses prestations mémorables à la Cour d’Assises de Troyes, son discours à l’Assemblée pour l’abolition de la peine de mort, sa colère lors de la commémoration de la rafle du Vel d’hiv’, son indéfectible amitié avec François Mitterrand et ses devoirs en tant que président du Conseil constitutionnel, la trajectoire rectiligne de cet homme redonne toujours l’espoir en un genre humain guidé par la morale du combat en faveur de la justice et de la fraternité. On reçoit aussi quelques témoignages un peu tus jusqu’ici, en particulier ceux de ses fils Benjamin et Simon, et l’on note  quelques repères à méditer, comme ce proverbe arabe : « Ce que tu n’as pas dit t’appartient ; ce que tu as dit appartient à tes ennemis. » Ce nonagénaire visite encore les prisons à ses heures. Rassemblés, les détenus entendent des propos de confiance et de volonté face aux lendemains. Il leur parle de Victor Hugo, évidemment, et disserte devant eux sur la belle formule du poète qui défendait « le droit de devenir meilleur. » Rectiligne, disions-nous…, de rectus, droit, et linea, ligne.

Lundi 8 octobre

 Ne retenons pas encore le nom du fasciste (un vrai, qui ne s’en cache pas et même qui en revendique les caractéristiques …) et espérons qu’il tombera dans les oubliettes de l’Histoire le 28 octobre lors du second tour de l’élection présidentielle au Brésil. Ce ne sera pas facile de l’écarter. Il a 17 points d’avance sur le candidat de la gauche qui s’est substitué à Lula, toujours en prison, et il use à satiété de fausses informations les plus énormes qui soient pour s’imposer, en particulier chez les citoyens socialement défavorisés.

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 Un peuple et son roi. Pierre Schoeffer a voulu dépeindre la Révolution française vue du côté du peuple. Rien que le procédé mérite déjà d’être souligné. Des scènes de la vie quotidienne mêlées à l’accélération de l’Histoire assurent la dynamique du film qui se devrait un peu plus didactique. Celui qui connaît la cascade des épisodes survenant depuis le 14 juillet 1789 jusqu’au 21 janvier 1793, celui-là s’y retrouve. Le spectateur à la connaissance plus lointaine des événements peut vite être largué. Olivier Gourmet confirme son talent et Adèle Haenel démontre une nouvelle fois qu’elle sera une grande actrice.

 

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