Grogne et rouspétance alimentent une lassitude amère

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Bruxelles a elle-aussi connu des turbulences jaunes mais moins vives qu'en France. Photo © JFH

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Vendredi 7 décembre

  C’est la fidèle amie d’Angela Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer, 56 ans, qui lui succède à la tête du parti conservateur allemand CDU. Cela devrait permettre à la chancelière de gouverner jusqu’à la fin de son mandat en 2021 et surtout de recouvrer les mains libres pour se consacrer à l’Union européenne. La victoire est courte (un peu plus de 51 %) tandis que l’adversaire de l’impétrante optait pour un virage à droite du parti, position inquiétante, tentation fréquente en Europe où l’on constate des rapprochements, voire parfois des partenariats entre la droite et l’extrême droite. Ce ne sera donc pas le cas, en principe, Outre-Rhin et l’on s’en satisfait.

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 Quelques conseils, avis, messages, en passant, aux conseillers élyséens :

  • « Pour aimer la France, disait Simone Weil, il faut sentir qu’elle a un passé », - et plus encore pour la faire aimer de nos gamins et de nos immigrés. (Régis Debray, in Médium. Transmettre pour Innover, n°39, avril-juin 2014)
  • « Retournons au passé, ce sera un progrès » disait Verdi. C’est le mot d’ordre de l’époque. (Régis Debray, in Médium Transmettre pour innover, n°50, janvier-mars 2017)
  • La parole du passé est toujours parole d’oracle : vous ne la comprendrez que si vous devenez les architectes du futur et les interprètes du présent. (Friedrich Nietzsche. Considérations inactuelles, 1876)

Samedi 8 décembre

 Á deux semaines de Noël, Paris est transformé en ville morte. Toutes les boutiques et les grands magasins sont fermés. Le métro ne roule pas et les taxis sont rares, absents dans le centre ville. Au sein de cette tristesse urbaine, il y a 40.000 personnes environ. 30.000 manifestants « Gilets jaunes » (les guillemets s’imposent) et 8000 policiers. Tous ces gens s’affrontent dans un climat de désolation totale. Le gouvernement est en déroute et le président de la République n’a plus qu’à méditer quelques leçons : la manière de gouverner, la manière de faire de la politique, la façon de s’adresser à son peuple, la manière de faire face à une contestation, etc. Bref, Emmanuel Macron découvre qu’être président de la République, ce n’est pas régner en maître absolu. On le sait depuis 1789 mais apparemment, il se croyait au-dessus des évidences comme il se pensait, hautain, au-dessus des contingences. On ne sait trop si la leçon de modestie a porté mais on peut être au moins sûr qu’il ne prononcera plus la sentence « Je ne reculerai pas ».

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 Au Théâtre du Parc à Bruxelles, le chorégraphe José Besprosvany utilise le Petrouchka d’Igor Stravinsky comme moteur d’une histoire narrée sur scène à la manière du cinéma muet. Objet de convoitise entre un agent du KGB et une espionne britannique, un livre, symbole du secret, permet de développer les relations maître / serviteur jusqu’à ce que la mort – qui a toujours le dernier mot – brise l’intrigue et laisse aux avides protagonistes la liberté de s’aimer plutôt que d’achever leur mission. Une fable bien ordonnée sur les superfluités du pouvoir.

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 Un titre dans le journal Le Soir barre toute la première page consacrée à l’Économie : Le Belge paie son Coca plus cher que ses voisins. Eh bien qu’il cesse d’en boire ! Tout bénéfice pour son budget, et surtout pour sa santé !

Dimanche 9 décembre

 On compta en tout et pour tout 125.000 manifestants hier sur l’ensemble du territoire français tandis que 89.000 policiers avaient été mobilisés, soit près d’un membre des forces de l’ordre pour moins de deux « Gilets jaunes ». Á Bruxelles, la proportion était équivalente afin de maîtriser un millier de contestataires. C’est évidemment une situation inédite impossible à reproduire chaque semaine. Or, rien ne dit que Paris ne sera pas de nouveau en état de siège samedi prochain. Macron doit en tenir compte et annoncer au pays une ou deux initiatives de poids. Il a le choix entre plusieurs mesures mais elles sont toutes capitales : remplacer le Premier ministre (Bayrou piaffe…), introduire la proportionnelle et déclencher des élections anticipées, supprimer la réforme de l’impôt sur la fortune… Parler juste et fort est désormais une nécessité. Tergiverser serait pour lui cette fois-ci funeste.

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 Appel aux journalistes : de grâce, faites parler les historiens ! Convoquez-les sur vos plateaux, dans vos rédactions derrière vos micros ! Cessez de courtiser l’immédiateté pour émouvoir, faire de l’audience. Quand l’heure est grave, que les événements créent la panique jusqu’à la tête de l’État, il faut retourner aux archives et méditer les comparaisons afin de mieux comprendre les faits de l’heure. Sous le prétexte d’un cinquantenaire, plusieurs commentateurs malavisés font référence à Mai’68. Rien n’est plus éloigné de la révolte de Mai’68 que celle des Gilets jaunes, à commencer par l’usage de la parole revendicatrice ou contestataire.

Lundi 10 décembre

 Grave, parfois même théâtral, Emmanuel Macron s’adresse au pays. Il a conscience de « l’urgence sociale », il reconnaît qu’il l’a peut-être un peu négligée. Il annonce des mesures et des intentions, mais les intentions, si louables et positives soient-elles, ne sont pas des mesures immédiates. Bref, il n’a sûrement pas satisfait une grande majorité de son peuple

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 Edgar Morin : « Il est difficile de croire que nous allons vers un futur radieux.» Sauf à mettre cette réflexion sur le compte de son grand âge, on ne peut que la prendre au pied de la lettre.

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 Lola et ses frères, de et avec Jean-Paul Rouve est une bonne distraction que l’on rangerait entre Claude Sautet (Vincent, François…) et Yves Robert (Un éléphant…) mais tout de même un cran plus bas. Peut-être deux.

Mardi 11 décembre

 Hier soir, Macron avait commencé son propos par « Françaises, Français… » à la manière du Général de Gaulle. Il avait très vite aussi souligné qu’il devait corriger des tendances à gouverner critiquables « depuis quarante ans ». S’il n’a pas ajouté un « moi ou le chaos », il l’a laissé entendre. La presse y a été sensible, Libération allant jusqu’à le présenter à sa une en train de discourir, avec en titre : Je vous ai UN PEU compris. C’est bien ce « un peu » qui doit désormais déterminer les comportements, en particulier celui des Gilets jaunes, confrontés au dilemme que connaissent tous les groupes de pression : poursuivre sur une lancée qui rapporte et exiger plus, ou bien être satisfait du résultat obtenu et arrêter les actions. Voilà pour le fond. La journée de samedi éclairera l’option dominante. Pour la forme, il n’y a que l’avocat constitutionnaliste bruxellois Marc Uytendaele qui l’a trouvé « brillantissime ». Car il ne s’agit pas de bien s’exprimer, il s’agit de parler vrai et de parler peuple. Et sur ce plan-là, l’imitation du Général était beaucoup trop amidonnée.

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 Il avait d’abord été question que la Chambre des Communes votât pour ou contre le Brexit le 6 décembre. On décida que les débats s’ouvriraient bien à cette date-là mais que le vote aurait lieu le 11. Hier, sentant que celui-ci serait négatif, Theresa May l’a postposé, sine die. Elle espère obtenir d’autres concessions de l’Union mais elle sait que celle-ci – qui l’a d’ailleurs déjà redit – ne sera pas disposée à pareille négociation, s’en tenant à l’accord. La France est en triste suspension de révolte sociale ; la Belgique a vu son gouvernement basculer autour du pacte migratoire ; le Royaume-Uni est bousculé de l’intérieur… Dans la Hongrie de Orban, dans l’Italie de Salvini, dans l’Autriche de Kurz, tout semble bien aller… N’y aurait-il pas un problème de fonctionnement démocratique au sein de l’Union européenne ?

Mercredi 12 décembre

 Pointe à l’horizon le bilan de l’année en cours. Il s’agira aussi de se pencher sur les fausses informations qui ont transformé le monde. On peut considérer que le mensonge ou la fabrication de faits troublants purent, de tous temps, influencer certaines évolutions de la société (l’affaire Dreyfus en est un exemple flagrant). Il faut cependant remarquer que l’année 2016 marqua le début d’une méthode pernicieuse que les moyens de communication amplifièrent considérablement, par-delà même les analyses journalistiques sérieuses et correctement élaborées. En effet, il y a deux ans, madame Hillary Clinton fut, à quelques jours de l’élection présidentielle, accusée de détenir une pizzéria où l’on pratiquait la pédophilie à Washington ; Boris Johnson, le maire de Londres partisan du Brexit, annonça qu’en quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni empocherait chaque semaine 350 millions de livres qui seraient consacrés aux Affaires sociales ; Alain Juppé (surnommé « Ali Juppé » dans la campagne d’affiches pour la circonstance), fut soupçonné d’entretenir des relations étroites avec l’imam de Bordeaux quelques jours avant que n’ait lieu la sélection du candidat de la droite pour l’élection présidentielle. D’autres fausses informations naquirent cette année-là mais ces trois-là furent incontestablement porteuses : Trump fut élu, le Brexit voté qui gangrène toujours le Royaume-Uni, et Juppé s’est retiré sur ses terres (où pas un seul Bordelais ne doute de sa conception laïque du vivre ensemble) après avoir laissé Fillon se casser les dents. Et en 2018, quelles furent les fausses informations qui troublèrent le monde ? Si elles touchaient au devenir de la planète, on pourrait se souvenir de ce que disait l’astrophysicien Hubert Reeves à propos de l’espèce humaine : « Sur les plans de la natalité et de la pensée abstraite, nous sommes sans conteste les champions, à la fois l’espèce la plus répandue chez les mammifères et la seule qui ait pu produire la théorie de la relativité d’Einstein. Mais nous sommes aussi l’espèce la plus destructrice qui soit, celle qui pourrait avoir éliminé la moitié des autres d’ici à la fin du siècle. » Ceci n’est pas une fausse information.

Jeudi 13 décembre

 On estime à un million le nombre de réfugiés syriens expatriés au Liban. Parmi eux, des pauvres dont l’habitation fut détruite, mais aussi une grande partie de la classe moyenne cherchant la sécurité à Beyrouth. Á présent, de premières initiatives de retour au pays se sont opérées. Quelque 80.000 citoyens syriens ont repris le voyage en sens inverse pour rentrer chez eux. Le mouvement se poursuit. Lorsqu’il concernera l’Europe, il devra être analysé. Car à moins d’un long séjour dans le pays d’accueil qui se traduit par une installation complète (emploi, logement, famille, scolarisation, etc.), le souhait d’un réfugié est de retourner dans son pays d’origine dès que la guerre n’y fait plus rage. L’exode forcé n’est jamais source d’épanouissement immédiat. Que celles et ceux qui, dans les pays d’accueil européens, se sont retranchés derrière des barbelés le sachent et le méditent.

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 Certains ménages britanniques feraient des provisions au risque d’un No deal, c’est-à-dire d’un Brexit sans accord. Des grandes voix (Sorbonne, Union européenne, anciens ministres britanniques des Affaires étrangères…) nous disent que 50% de la nourriture britannique est importée, dont 30 % depuis l’Europe. Il en va de même pour les médicaments (par exemple, le Royaume-Uni ne fabrique pas d’insuline). Bon, un peu de sérieux, de lucidité, un peu de décence aussi. Certes, un Brexit sans accord provoquerait un chaos économique et poserait aussi des problèmes humains. Mais on ne fera quand même pas croire que le Royaume-Uni était le Tiers-monde avant d’adhérer à l’Union n’est-ce pas ?. Et un peu de modestie s’il vous plaît : de tous les territoires démocratiques européens, c’est le seul qui ne se laissa pas envahir par les nazis et c’est grâce à sa résistance à l’envahisseur que les alliés purent gagner la guerre contre l’Allemagne nazie. L’ardeur, le courage, l’inflexibilité des Londoniens n’est pas une légende. Un peu de pudeur vis-à-vis de ce grand peuple. Il s’est tiré une balle dans le pied, certes. Il risque de le payer très cher, d’accord. Mais si le triste épilogue se traduisait par le No deal, soyons persuadés que le patriotisme finirait par décupler les forces populaires afin de recouvrer la fierté d’une nation dont la disparition de la puissance impériale n’a pas érodé la capacité de rayonner dans le monde entier. 

Vendredi 14 décembre

 Un hangar est incendié à Kinshasa. Ce vaste dépôt contenait 80 % des machines à voter. Elles seraient toutes détruites. Il est donc possible que les élections du 23 décembre ne puissent avoir lieu. En ce cas, Joseph Kabila devrait se dévouer, accepter que dans l’intérêt de l’État congolais, il continue d’exercer le pouvoir. On le sait capable d’abnégation.

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 May a refait un tour pour rien chez les 27. Elle savait que l’UE ne bougerait plus, que désormais, pour elle, l’accord c’était à prendre ou à laisser. Mais ce tour pour rien lui sera peut-être utile dans son propre parlement. Il s’agit de mesurer ce que le rejet de l’accord entraînera. Que ceux qui s’opposeront à l’accord étudient bien les conséquences d’un No deal. Pour eux, c’est apprendre ou s’abaisser.

                                                          *

 Les Gilets jaunes s’organisent. Ils nomment en leur sein des responsables de rassemblements et de défilés. Á Bordeaux, ils se sont même dotés d’un service d’ordre. Réussiront-ils cette fois-ci à ne plus se laisser infiltrer par l’extrême droite ? Réponse demain.

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 « Le goût de la vérité n’empêche pas de prendre parti ». Albert Camus revient souvent dans les références ces temps-ci. Il finira par être le passage quasiment obligé d’une démonstration à Normal Sup, ainsi que le fut jadis Paul Valéry. Cette citation est désormais celle du Marianne de Natacha Polony. On ne peut qu’y souscrire, tout en étant néanmoins lucide et en sachant qu’en politique, le vrai est parfois l’ennemi du bien.

Samedi 15 décembre

 Tandis qu’à Bruxelles comme à Paris, les manifestations des Gilets jaunes semblent moins nombreuses et plus calmes, les commentaires s’orientent vers la facture des dégâts causés par ce mouvement. « Qui va payer ? » se demandent les commerçants des Champs-Élysées. Les policiers se posent la même question. Ils ne comptent plus leurs heures supplémentaires consacrées, de surcroît, à la bagarre. « Je n’ai pas été élu pour gérer un champ de bataille » déclare Philippe Close, le bourgmestre de Bruxelles. Bref, la grogne et la rouspétance alimentent une lassitude amère.

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 Le Premier ministre australien reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël mais précise qu’il ne modifiera pas le domicile de son ambassade. Le déménagement de Tel-Aviv à Jérusalem ne s’effectuera que lorsqu’un accord de paix sera signé entre les Israéliens et les Palestiniens. En conséquence, le Premier ministre australien déçoit et irrite aussi bien les uns que les autres.

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Dans le cadre des bonnes actions en faveur de la planète, l’idée de ne plus acquérir de sapins fait son chemin. Le commerce de l’épicéa de salon artificiel est en train d’exploser. Oui mais c’est au détriment d’un autre, comme toujours… La Belgique, troisième fournisseur européen de sapins, en produit 5 millions par an ; la France 6. Dans les Ardennes, le mécontentement gagne. Déjà que les cercueils sont de moins en moins utilisés pour le départ des défunts…

 

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