« Il faut que tout change pour que rien ne change »

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Dimanche 16 juillet

 Agnès Varda (88 ans) et son ami JR visitent quelques petits villages de France, depuis les corons du nord jusqu’aux ruelles fleuries du Vaucluse. Leur véhicule est un camion transformé en atelier-laboratoire de photographie que JR utilise à merveille pour mettre en scène les gens qu’ils rencontrent. Épatés, ceux-ci livrent leurs témoignages et leurs émotions, transformant ce documentaire en une charmante aventure humaine. Visages Villages a été primé à Cannes dans sa catégorie. On ne peut que saluer la décision du jury. Et le remercier : sans elle, ce film n’aurait pas été projeté dans le circuit des salles commerciales.

Lundi 17 juillet

 Il a suffi que deux sénateurs républicains refusent de voter contre la réforme de la Santé (Obamacare) pour que Trump soit contraint d’abandonner l’une des mesures emblématiques exposées durant sa campagne. Il lui reste la possibilité d’en appeler au congrès mais celui-ci ne votera jamais la suppression d’une assurance-maladie  dont pourront bénéficier une vingtaine de millions de citoyens. Que toutes les droites se le tiennent pour dit : les conquêtes sociales, même aux États-Unis sont considérées comme des acquis inaliénables. Malheur à celui qui les remet en question.

Mardi 18 juillet

 Des milliers d’affidés dans les rues… Des milliers d’opposants dans les prisons… Discours enflammés, menaces permanentes. Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. Comme on le prétendait du temps de Pinochet, il n’y a pas une feuille qui tremble sur un arbre de son pays sans qu’il ne le sache. Et pourtant, tout cela est fragile, friable… Un jour Recep Erdogan va s’effondrer absolument, avec son pouvoir absolu.

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 En janvier 1815, Louis XVIII fit exhumer le corps de Marie-Antoinette. Chateaubriand, dans ses "Mémoires" : « Au milieu des ossements, je reconnus la tête de la Reine, par le sourire que cette tête m’avait adressé à Versailles. » Les grands hommes aussi savent dire des bêtises.

Mercredi 19 juillet

 Parmi les faits inédits sous la Ve République, on notera donc la démission du chef d’état-major des Armées Pierre de Villiers. Faute. Le mot revient dans tous les commentaires à propos d’Emmanuel Macron qui avait déclaré devant les responsables de la Défense nationale, lors de la traditionnelle réception du 13 juillet au ministère, rue de Brienne : « Je suis votre chef… » « Faute juvénile » diront même d’autres hauts gradés qui n’hésitent pas à s’exprimer sur antennes tandis qu’un député socialiste estime qu’il serait bon de rappeler au président « qu’il n’est pas Louis XV ». 850 millions d’euros seront amputés au prochain budget des armées. Le chef d’état-major n’était pas d’accord avec ce coup de hache. Ce sentiment aurait dû accoucher d’une discussion entre son ministre de tutelle (éventuellement le Premier ministre) et lui-même. Le président n’avait pas à s’en mêler d’emblée, même s’il est constitutionnellement le chef des Armées, comme il aime à le rappeler publiquement. Sa réaction sanguine surprend ou dérange. On rapporte que dans les rangs du groupe des députés En marche !, il y aurait aussi de la grogne. Ce n’est qu’une péripétie gonflée par une atmosphère orageuse. Macron veut montrer qu’il se démarque de la méthode Hollande, lequel recherchait le compromis à tout prix. Soit. Les Français ont sans doute besoin d’un président autoritaire, sûrement pas d’un président qui pratique l’autoritarisme.

                                                           *

 Le Conseil supérieur de l’Audiovisuel autorise TF 1 à interrompre ses JT pour diffuser des messages publicitaires. Un jour viendra où il sera possible de capter des messages concernant la marche du monde à travers des émissions consacrées à des annonces publicitaires.

Jeudi 20 juillet

 La semaine dernière, Trump était à peine chez lui, retour de Paris,  que Macron s’était empressé de confier au "Journal du Dimanche" l’essentiel de leurs conversations. Ce que j’ai dit à Donald Trump, c’est un titre qui dope les ventes et qui muscle son homme. Mais voilà : Donald Trump vient d’accomplir un exercice équivalent avec le "New York Times" et apparemment, son témoignage est souvent très différent. On aura tendance à considérer que Macron parlait vrai et que Trump débloque un peu. « Macron adore me tenir la main » devient la phrase emblématique de ces confidences. Oui, Trump déraille, sans aucun doute. Mais précisément, le président des États-Unis a plus d’une fois déjà démontré le caractère improbable voire farfelu de ses attitudes et déclarations. Il n’y a pas de raison pour qu’il soit plus crédible avec Macron qu’avec d’autres. Angela Merkel l’a, quant à elle, perçu depuis longtemps ses élucubrations…

Vendredi 21 juillet

 Ces dizaines (centaines ?) de rassemblements populaires où la gaieté sent bon la joie de vivre, qui éclot grâce à un festival, un concert, ou tout simplement un cadre bucolique propice à la détente quand les beaux jours fleurissent, que d’occasions pour les meurtriers djihadistes d’accomplir un carnage ! On se réjouit que la dynamique de la vie surpasse les craintes du malheur mais chaque fois que des images reflètent des moments de réjouissances, on ne peut retenir une sourde inquiétude qui ramènerait le drame dans l’éblouissement de l’été.

Samedi 22 juillet

 Pour exprimer sa recherche d’une pensée de la nation, Ernest Renan avait publié des textes écrits entre 1869 et 1871 sous le titre La Réforme intellectuelle et morale de la France. Un siècle et demi plus tard, ce projet n’est pas drapé dans l’archaïsme, bien au contraire… Le guépard règne en maître sur la jungle du pouvoir et la phrase que Lampedusa rendit célèbre dans le roman éponyme n’a pas pris une ride : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». (Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Le Guépard, éd. du Seuil, 1959)

Dimanche 23 juillet

 Lorsque l’on évoque le dosage entre personnalités progressistes et conservatrices dans la composition du premier gouvernement du quinquennat Macron, l’exemple de Bercy vient automatiquement. L’Économie et les Finances sont effectivement gérées par la droite, bien campée sur ces portefeuilles-là. Plus capitale toutefois est la désignation de Jean-Michel Blanquer à l’Éducation nationale. On n’est pas ici dans les chiffres mais dans les valeurs, et jusqu’à présent, l’homme n’a pas encore dégagé une fibre républicaine très affirmée. Dans ce département-là, il faut bouger, constamment réformer, être en mouvement. Blanquer consacrera une grande partie de son été à la rentrée scolaire. C’est alors que l’on sera en mesure d’apprécier ses choix et ses pistes d’action. Il vient de dévoiler quelques traits de sa pensée au Journal du Dimanche et des affirmations laissent un peu en attente de concrétisation. Que veut dire le ministre de l’Éducation lorsqu’il affirme : « Le vrai ennemi, c’est l’égalitarisme » ? Que prépare-t-il quand il souligne : « Je ne vois pas pourquoi n ne pourrait pas s’inspirer du privé » ?  Certes, qu’il veuille diriger son ministère très exactement à l’inverse de Najat Vallaud-Belkacem qui l’avait précédé - en laissant du reste un bilan tout à fait acceptable par les syndicats d’enseignants comme par les étudiants - , on le sait déjà depuis deux mois. Mais encore ? S’il souhaite laisser trace, comme tout son itinéraire en témoigne, ce juriste proche de Baroin se distinguera dans quelques semaines. Pour l’heure, un sentiment au moins peut déjà être bien décrypté, c’est son affirmation : « Je perçois Brigitte Macron comme la prof ‘ idéale »

Lundi 24 juillet

 C’était il y a cinquante ans. Du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal, le général de Gaulle s’écriait : « Vive le Québec libre ! » devant une foule en délire. Un demi-centenaire que la France semble ignorer, aussi bien du côté de ses palais dorés que de ses chaînes de télévision. Quelques rares historiens soucieux de défendre la langue française évoquent la sortie du Général, comme le sociologue et enseignant québécois Mathieu Bock-Côté qui signe une tribune dans "Le Figaro", ou Christophe Tardieu qui publie "La dette de Louis XV" (éd. du Cerf), titre rappelant l’abandon du Canada français aux Anglais par les rois de France.

                                                           *

 "Cumhuriyet" est le nom du plus ancien journal turc. Plusieurs membres de sa rédaction sont aujourd’hui en prison. Quant à son rédacteur en chef, il est en exil an Allemagne. Un procès s’ouvre à Istanbul, le quotidien étant accusé de collusion avec les terroristes (cocasse quand on sait que l’an dernier, il avait publié un reportage prouvant que l’État fournissait des armes aux islamistes par le biais de ses services secrets…) Ce matin, une manifestation pour la liberté d’expression rassemblait quelques centaines de courageux devant le Palais de Justice où un tribunal doit juger 17 journalistes appartenant à "Cumhuriyet". Les intellectuels se mobilisent. Trop, c’est trop. Voilà pourquoi l’autoritarisme de Recep Erdogan s’affaissera un jour.

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 Mai 1940. Les troupes allemandes avancent à une vitesse effrénée. La Belgique est envahie, le nord de la France résiste tant bien que mal. C’est la déroute, qui enfante la débâcle. L’armée britannique doit se replier sur son île. Des soldats français tentent de s’infiltrer dans les files d’attente pour traverser la Manche et fuir l’envahisseur impitoyable. Le cinéma nous avait déjà reflété cette ambiance d’angoisse tragique avec Week-end à Zuydcoote (1964, Henri Verneuil, adapté du roman éponyme de Robert Merle). Avec Dunkerque, Christopher Nolan, nous replonge dans l’ambiance, soucieux de retenir le spectateur en haleine en permanence. Seules lueurs positives : on perçoit déjà la volonté  du peuple britannique de résister à tout prix et celle, énergique, tenace et inexorable, de vaincre qui habite Winston Churchill.

Mardi 25 juillet

 La cote de l’euro file en hausse et largue le dollar tandis que le FMI réévalue le taux de croissance de la zone euro. Mais il nous faut quand même enterrer Claude Rich et avoir besoin du vieux Gilles Jacob, président d’honneur du Festival de Cannes, pour lancer une pétition afin que le service public rende hommage à ce merveilleux comédien et acteur.

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 Au chapitre « Quelle époque ? », quand, par la grâce du calme de l’été, on remplace le point d’exclamation par le point d’interrogation, cette réflexion de Régis Debray : « Nos cassandreries ne datent pas d’hier. Montaigne doutait que l’amour des belles-lettres puisse survivre aux guerres de religion ; Voltaire, au règne de Louis XIV ; Joubert, à la tourmente révolutionnaire ; les  frères Goncourt, au vélocipède. Et nous au petit écran… Vais-je continuer, en vieux hibou, la rhapsodie des lamentos ? Quelle époque, me direz-vous, n’a pas aimé proclamer la mort de l’art et de la pensée, de Dieu ou de l’Homme, des paysages, de la bonne cuisine, du cinéma et des lapins de garenne ? Je vous entends. Et j’insiste. Je continue, oui. La fin des haricots, cette fois, c’est du sérieux. Même si, quand on a quitté la cour des grands, les désastres eux-mêmes se font tout petits. » ("Par amour de l’art", éd. Gallimard, 1998)

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